Tribunal administratif de Strasbourg

Décision du 25 juillet 2023 n° 2006124

25/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 29 septembre 2020 et 15 avril 2021, M. D B demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la délibération numéro 1.18 du 30 juillet 2020 par laquelle le conseil municipal de la commune de Marly a accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. A, maire de la commune ;

2°) d'enjoindre au maire de la commune de Marly de rembourser les sommes déjà engagées et celles qui le seront jusqu'au jugement à intervenir ;

3°) de mettre à la charge du maire de la commune de Marly une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est recevable dès lors qu'il agit en sa qualité de conseiller municipal, et qu'au demeurant, il a été désigné par le groupe politique " S'unir et agir pour Marly ", reconnu par le règlement intérieur du conseil municipal et constituant une association " de fait " ;

- la délibération contestée est entachée d'erreurs de fait, en ce qu'elle fait mention, à tort, d'une demande de protection fonctionnelle du maire dans le cadre d'une plainte déposée à son encontre devant le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Metz, et en ce que les indications sur les personnes qui auraient publié et distribué des tracts en août 2019 et en juin 2020 sont erronées ;

- faute de poursuites pénales déclenchées à l'encontre du maire, la délibération en litige, en tant qu'elle lui accorde le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre d'une plainte, a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales ;

- la protection fonctionnelle ne pouvait pas être accordée a posteriori sur le fondement des dispositions de l'article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales, alors que le maire avait illégalement engagé dès le 22 novembre 2019 une somme de 1 500 euros à partir du budget communal pour la consigner auprès des services de la Caisse des dépôts et consignations, dans le cadre de la plainte avec constitution de partie civile qu'il a déposée le 16 septembre 2019 ;

- les faits de détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l'autorité publique, qui ont fait l'objet d'un signalement auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Metz, constituent une faute détachable de l'exercice des fonctions de maire.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 8 décembre 2020 et 16 juin 2023, la commune de Marly, représentée par la SCP Iochum et Guiso, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme globale de 3 000 euros soit mise à la charge du groupe politique " S'unir et agir pour Marly " en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable, dès lors qu'elle a été introduite au nom du groupe politique " S'unir et agir pour Marly ", dépourvu de la personnalité juridique et ne pouvant ainsi pas ester en justice ;

- les moyens soulevés par M. B ne sont, en tout état de cause, pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 14 décembre 2020, la commune de Marly, représentée par la SCP Iochum et Guiso, demande au tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et en défense de la requête de M. B tendant à l'annulation de la délibération du 30 juillet 2020 par laquelle le conseil municipal de la commune de Marly a accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. A, maire de la commune, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du deuxième alinéa de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales.

Il soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2023, M. C A, représenté par la SCP Iochum et Guiso :

1°) demande au tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et en défense de la requête de M. B tendant à l'annulation de la délibération du 30 juillet 2020 par laquelle le conseil municipal de la commune de Marly lui a accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du deuxième alinéa de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales ;

2°) conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme globale de 3 000 euros soit mise à la charge du groupe politique " S'unir et agir pour Marly " en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il se prévaut des mêmes moyens que ceux qui ont été développés par la commune de Marly dans son mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2020, et dans son mémoire en question prioritaire de constitutionnalité, enregistré le 14 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Alexandre Therre,

- les conclusions de Mme Julie Devys, rapporteure publique,

- les observations de Me Hurault, avocat de la commune de Marly et de M. A.

Considérant ce qui suit :

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

1. Il ressort des termes mêmes de la requête qu'elle est présentée pour le groupe " S'unir et agir pour Marly ". Aucune disposition législative ou réglementaire n'a conféré à un groupe politique au sein d'un conseil municipal, dépourvu de la personnalité morale, qualité pour ester en justice. Ainsi, la requête, en tant qu'elle émane de ce groupe, n'est pas recevable. Toutefois, il ressort également des termes de cette requête que M. B se prévaut, outre sa qualité de représentant du groupe politique, de celle de conseiller municipal de la commune de Marly, laquelle lui donne qualité pour contester les délibérations de l'assemblée dont il est membre. La requête étant donc recevable en tant qu'elle émane de M. B à ce dernier titre, la fin de non-recevoir opposée en défense doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la délibération du 30 juillet 2020 portant octroi de la protection fonctionnelle :

2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales : " La commune est tenue d'accorder sa protection au maire () lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions ". En outre, aux termes de l'article L. 2123-35 du même code : " Le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la commune conformément aux règles fixées par le code pénal, les lois spéciales et le présent code. / La commune est tenue de protéger le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion ou du fait de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / () ".

3. M. A, maire de la commune de Marly, a été mis en cause et a été entendu en audition libre dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Metz, après que ce dernier a été destinataire d'un signalement effectué le 13 août 2019 par deux conseillers municipaux, parmi lesquels compte M. B. Ce signalement porte sur des faits de détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l'autorité publique. Il est ainsi reproché au maire d'avoir ouvert un séminaire de formation des élus municipaux du groupe politique majoritaire " Ensemble pour Marly " organisé le 21 novembre 2018, financé par la commune pour un montant estimé à 5 900 euros selon le devis produit, et portant sur " la communication préélectorale, les règles et les enjeux de la dernière période du mandat ", à des militants du même groupe qui n'exerçaient pas de mandat de conseiller municipal. Par ailleurs, ces mêmes faits ont donné lieu à la diffusion, le 29 août 2019 sur le réseau social Facebook et dans des boîtes aux lettres d'habitants de la commune, d'un tract émanant de deux autres groupes du conseil municipal, dont le groupe " Agir pour Marly " auquel appartient M. B. La publication de ce tract a entraîné le dépôt par le maire d'une plainte avec constitution de partie civile, le 16 septembre 2019, pour des faits de diffamation publique à l'encontre d'un citoyen chargé d'un mandat public temporaire ou permanent. Par la délibération contestée, le conseil municipal de la commune de Marly a accordé, en application des dispositions citées au point 2, le bénéfice de la protection fonctionnelle au maire, d'une part, au titre de poursuites pénales dont il fait l'objet suite à la saisine du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Metz et, d'autre part, en raison de violences, menaces ou outrages dont il soutient être victime en raison des faits de diffamation pour lesquels il a porté plainte.

En ce qui concerne le caractère de faute détachable de l'exercice des fonctions de maire des faits considérés :

4. Pour l'application de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales, relatif à la protection fonctionnelle que la commune est tenue d'accorder au maire lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions, présentent le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, qui procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité. En revanche, ni la qualification retenue par le juge pénal ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l'intéressé ne suffisent par eux-mêmes à regarder une faute comme étant détachable des fonctions, et justifiant dès lors que le bénéfice du droit à la protection fonctionnelle soit refusé au maire qui en fait la demande.

5. En l'espèce, il ressort des courriers électroniques produits à l'appui du signalement adressé le 13 août 2019 au procureur de la République que le maire de la commune de Marly a proposé, le 12 octobre 2018, d'ouvrir le séminaire de formation d'élus municipaux qu'il organisait à des militants ou sympathisants, qui n'étaient pas membres du conseil municipal. En outre, sont jointes à ce signalement des photographies dont il ressort, selon le requérant, que neuf militants qui n'avaient pas la qualité de membre du conseil municipal ont effectivement participé à cette journée de formation, aux frais de la commune. De tels faits, dont la matérialité n'est contestée ni par la commune ni par le maire, révèlent des préoccupations d'ordre privé de ce dernier, notamment dans la perspective de la campagne électorale à venir, en ce que la participation à cette action financée par la commune n'a pas été limitée aux seuls conseillers municipaux. Ils sont ainsi incompatibles avec l'obligation de probité qui s'impose dans l'exercice de fonctions publiques et revêtent une particulière gravité eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis. Aussi, ces faits présentent ainsi le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions de maire. Il suit de là que ce dernier ne pouvait se voir accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans la procédure pénale, laquelle au demeurant fait suite à un simple signalement, les disposions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales excluant du champ de cette protection les poursuites pénales à l'occasion de faits qui ont le caractère de faute détachable de l'exercice des fonctions.

6. En outre, il ressort des termes mêmes de la plainte déposée par le maire, produite en défense, qu'elle vise uniquement la diffusion, le 29 août 2019, d'un tract portant entièrement sur la formation organisée, le 21 novembre 2018, pour des élus et finalement ouverte à des militants ne détenant pas un mandat de conseiller municipal. Pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, ces faits, non sérieusement contredits, sont constitutifs d'une faute détachable du service. Il suit de là que le conseil municipal ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, accorder au maire le bénéfice de la protection fonctionnelle contre des injures ou diffamations dont il se prévaut dans l'exercice de ses fonctions, en application de l'article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales, alors que les propos faisant l'objet du dépôt de plainte ont seulement trait à des faits détachables du service.

7. Il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à soutenir que la délibération en litige est entachée d'une erreur de droit, en raison du caractère de faute détachable de l'exercice des fonctions de maire des faits qui ont justifié l'octroi de la protection fonctionnelle à ce dernier.

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la commune de Marly et par M. A :

8. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".

9. La commune de Marly et son maire soutiennent que les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales sont contraires au principe constitutionnel d'égalité, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'elles subordonnent l'octroi de la protection fonctionnelle à la mise en œuvre de poursuites pénales, privant les élus du bénéfice de cette protection dans le cadre d'une enquête préliminaire dans laquelle ils sont mis en cause et entendus en audition libre, ou dans celui de la garde à vue.

10. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 5, les faits pour lesquels le maire a été mis en cause dans le cadre d'une enquête préliminaire et a ainsi été entendu en audition libre présentent le caractère d'une faute personnelle détachable de ses fonctions. Aussi, le maire ne pouvait légalement pas se voir accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle dans cette procédure pénale, que des poursuites pénales aient été mises en œuvre ou non. Par suite, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales ne sont pas applicables au présent litige. Ainsi, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la délibération contestée doit être annulée.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent jugement implique nécessairement le remboursement des sommes acquittées, le cas échéant, par la commune de Marly au titre de la protection fonctionnelle accordée à M. A par la délibération du 30 juillet 2020. Aussi, il y a lieu d'enjoindre à la commune de Marly de procéder au recouvrement auprès de M. A de ces sommes, dans un délai deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

13. D'une part, M. B, qui ne justifie pas avoir exposé de frais non compris dans les dépens, n'est pas fondé à obtenir que soit mise à la charge du maire de la commune de Marly une somme à ce titre. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la commune de Marly et par M. A et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Marly et par M. A.

Article 2 : La délibération numéro 1.18 du conseil municipal de la commune de Marly en date du 30 juillet 2020 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la commune de Marly de recouvrer les sommes versées, le cas échéant, en exécution de la délibération numéro 1.18 en date du 30 juillet 2020, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Marly et de M. A présentées au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. D B, à la commune de Marly et à M. C A. Copie en sera adressé au directeur départemental des finances publiques de la Moselle.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Bonifacj, présidente,

M. Therre, premier conseiller,

Mme Perabo Bonnet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juillet 2023.

Le rapporteur,

A. Therre

La présidente,

J. Bonifacj

La greffière,

N. Adjacent

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Code publication

C