Cour administrative d'appel de Nantes

Ordonnance du 21 juillet 2023 n° 23NT01202

21/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 26 avril 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Guss, représentée par Me Plateaux, demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête d'appel formée contre le jugement du 28 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite née le 20 mai 2019 par laquelle le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) a rejeté son recours contre la décision de la commission locale d'agrément et de contrôle (CLAC) Ouest du 19 décembre 2018 lui infligeant un blâme et une pénalité financière de 5 000 euros, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 634-4 du code de la sécurité intérieure.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en ce qu'elles instituent un cumul de sanctions administratives à raison des mêmes faits.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment en son article 61-1 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. En vertu de l'article R. 771-5 du code de justice administrative : " Sauf s'il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, notification de ce mémoire est faite aux autres parties. () ". Enfin, l'article R. 771-7 du même code dispose que : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

2. Aux termes de l'article L. 634-4 du code de la sécurité intérieure, dans sa version alors applicable : " Tout manquement aux lois, règlements et obligations professionnelles et déontologiques applicables aux activités privées de sécurité peut donner lieu à sanction disciplinaire. Le Conseil national des activités privées de sécurité ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction. / Les sanctions disciplinaires applicables aux personnes physiques et morales exerçant les activités définies aux titres Ier, II et II bis sont, compte tenu de la gravité des faits reprochés : l'avertissement, le blâme et l'interdiction d'exercice de l'activité privée de sécurité ou de l'activité mentionnée à l'article L. 625-1 à titre temporaire pour une durée qui ne peut excéder cinq ans. En outre, les personnes morales et les personnes physiques non salariées peuvent se voir infliger des pénalités financières. Le montant des pénalités financières est fonction de la gravité des manquements commis et, le cas échéant, en relation avec les avantages tirés du manquement, sans pouvoir excéder 150 000 €. Ces pénalités sont prononcées dans le respect des droits de la défense. ".

3. La SAS Guss soutient que ces dispositions méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors qu'elles prévoient, à l'égard des personnes morales, la possibilité d'un cumul de sanctions prononcées par le Conseil national des activités privées de sécurité.

4. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines implique qu'une même personne ne puisse faire l'objet de poursuites différentes conduisant à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux. Le principe de proportionnalité implique que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.

5. Il résulte des dispositions citées au point 2 qu'en cas de manquement aux lois, règlements et obligations professionnelles et déontologiques relatifs aux activités privées de sécurité, la CNAC peut infliger, à une même personne morale, une sanction disciplinaire par un avertissement, un blâme ou une interdiction d'exercer l'activité privée de sécurité à titre temporaire pour une durée qui ne peut excéder cinq ans, mais également une pénalité financière dont le montant est fixé eu égard à la gravité des manquements commis et, le cas échéant, aux avantages tirés du manquement. Dans ces conditions, les dispositions en cause régissent des sanctions qui ne sont pas de même nature et sont infligées à l'issue d'une même procédure. Elles ne méconnaissent donc pas le principe de nécessité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Par suite, la question soulevée est dépourvue de caractère sérieux, et il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er :Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS Guss.

Article 2 :La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Guss et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Nantes, le 21 juillet 2023.

Le président de la 3ème chambre,

D. Salvi

N° 22NT04064 QPC1

Code publication

C