Conseil d'Etat

Décision du 20 juillet 2023 n° 471769

20/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 février, 16 mai et 23 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des familles de victimes du Covid-19 en EHPAD (FAVICOVID EHPAD), M. A E, en son nom propre et en sa qualité de tuteur de Mme D F, M. C B et Mme G B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 décembre 2022 relatif aux prix des prestations d'hébergement de certains établissements accueillant des personnes âgées ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2023-568 du 7 juillet 2023 ;

- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka, Prigent, Drusch, avocat de l'association FAVICOVID EHPAD et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, en vertu du deuxième alinéa du I de l'article 17-1 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, lorsque le contrat de location d'un logement régi par ces dispositions prévoit la révision du loyer, la variation qui en résulte ne peut, dans les cas où ces dispositions sont applicables, excéder, à la hausse, la variation d'un indice de référence des loyers publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques chaque trimestre et qui correspond à la moyenne, sur les douze dernier mois, de l'évolution des prix à la consommation hors tabac et hors loyers. Cette limite de variation est également applicable, en vertu des dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 442-1 et du premier alinéa des articles L. 353-9-2 et L. 353-9-2-3 du code de la construction et de l'habitation, à la révision des loyers dus par les locataires du parc social ainsi que de tout logement faisant l'objet d'une convention conclue au titre de l'aide personnalisée au logement. L'article 12 de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat a toutefois prévu que, pour la fixation des indices de référence des loyers entre le troisième trimestre de l'année 2022 et le deuxième trimestre de l'année 2023, la variation en glissement annuel de l'indice de référence des loyers ne pourrait, dans ces différentes hypothèses, excéder 3,5 %. Cette échéance a été repoussée au premier trimestre de l'année 2024 par la loi du 7 juillet 2023 maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs.

2. D'autre part, en vertu de l'article L. 342-1 du code de l'action sociale et des familles, les établissements accueillant des personnes âgées qui ne sont pas habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale et qui ne sont pas non plus conventionnés au titre de l'aide personnalisée au logement ou, lorsqu'ils sont conventionnés, pour ce qui concerne les prestations qui ne sont pas prises en compte dans le calcul de la part de la redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables au titre de ces conventions, ainsi que les établissements qui n'accueillent pas à titre principal des bénéficiaires de l'aide sociale, pour la fraction de leur capacité au titre de laquelle ils ne sont pas habilités à cette fin, sont soumis aux dispositions spécifiques des articles L. 342-2 à L. 342-6 de ce code. A ce titre, en particulier, l'article L. 342-3 de ce code prévoit que les prix des prestations d'hébergement, qu'il s'agisse du " socle de prestations " que doivent proposer les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes en vertu du troisième alinéa de l'article L. 342-2 du même code, qui fait l'objet d'un prix global et dont l'annexe 2-3-1 du même code prévoit qu'il est constitué des prestations d'administration générale, d'accueil hôtelier, de fluides, de restauration, de blanchissage et d'animation de la vie sociale, ou des autres prestations d'hébergement, sont librement fixés lors de la signature du contrat qui doit être passé entre l'établissement et la personne âgée préalablement à son hébergement en vertu du sixième alinéa de l'article L. 342-1 du même code et que ces prix " varient ensuite, dans des conditions fixées par décret, dans la limite d'un pourcentage fixé au 1er janvier de chaque année par arrêté des ministres chargés des personnes âgées et de l'économie, compte tenu de l'évolution des coûts de la construction et des loyers, des produits alimentaires et des services et du taux d'évolution des retraites de base prévu à l'article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale ". Pour les établissements conventionnés au titre de l'aide personnalisée au logement et non habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale, relevant du 3° de l'article L. 342-1 du même code, le prix du socle de prestations pris en compte dans le calcul de la part de redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables évolue conformément à ce que prévoit la convention conclue au titre de l'aide personnalisée au logement, c'est-à-dire qu'il est révisé au 1er janvier de chaque année en fonction de l'indice de référence des loyers du deuxième trimestre de l'année précédente, en vertu des dispositions des articles L. 353-9-2 et L. 353-9-3 du code de la construction et de l'habitation ; seules les autres prestations évoluent en fonction de l'arrêté interministériel mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 342-1 du code de l'action sociale et des familles.

3. Conformément aux dispositions de l'article D. 342-5 du code de l'action sociale et des familles, l'annexe 2-3-3 du même code fixe la formule permettant de déterminer le taux maximal d'évolution des prix du socle de prestations et des autres prestations d'hébergement. Cette annexe prévoit que le pourcentage d'évolution maximale des prix est calculé compte tenu, d'une part, de l'évolution des charges des établissements, évaluée à partir d'un panier pondéré d'indices de charges qui reflètent le taux d'évolution des charges des établissements liées à l'entretien et à l'amélioration des bâtiments, aux loyers que les établissements versent au propriétaire des murs, aux services administratifs, aux services de nettoyage, à la consommation d'énergie et aux produits alimentaires et, d'autre part, du taux d'évolution des retraites de base prévu à l'article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale. S'agissant du taux d'évolution des charges des établissements liées aux loyers qu'eux-mêmes versent, il est calculé à partir de l'indice des loyers des activités tertiaires.

4. En application des dispositions citées aux point 2 et 3, l'arrêté du 23 décembre 2022 relatif aux prix des prestations d'hébergement de certains établissements accueillant des personnes âgées fixe le taux d'évolution maximale du prix de ces prestations pour 2023 à 5,14 % par rapport à 2022. L'association FAVICOVID EHPAD, M. E, en son nom propre et en sa qualité de tuteur de Mme F, M. B et Mme B demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

6. Les requérants soutiennent que les dispositions de l'article 12 de la loi du 16 août 2022 méconnaissent le principe d'égalité devant la loi en tant qu'elles ne prévoient pas de plafonner, de la même manière que dans les hypothèses auxquelles elles s'appliquent, l'évolution du prix du socle de prestations et des autres prestations d'hébergement dont doivent s'acquitter les personnes âgées hébergées dans les établissements visés à l'article L. 342-1 du code de l'action sociale.

7. En vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

8. Il résulte des dispositions citées au point 2 que les personnes âgées hébergées dans les établissements visés à l'article L. 342-1 du code de l'action sociale et des familles ne s'acquittent pas d'un loyer mais d'un prix global correspondant à un ensemble de prestations d'hébergement comprenant des prestations " socle ", d'administration générale, d'accueil hôtelier, de fluides, de restauration, de blanchissage et d'animation de la vie sociale ainsi que, le cas échéant, d'autres prestations d'hébergement, dont l'évolution reflète celle des charges supportées par ces établissements pour la fourniture de ces prestations, notamment l'évolution des charges de loyer pesant sur l'établissement, calculée à partir de l'indice des loyers des activités tertiaires. Elles ne sont ainsi pas, au regard de l'objet de l'article 12 de la loi du 16 août 2022, qui est de plafonner provisoirement la variation de l'indice de référence des loyers à compter du troisième trimestre 2022 afin de limiter l'impact de la forte inflation sur les hausses de loyer, placés dans la même situation que les locataires du parc privé ou du parc social.

9. En outre, si les personnes âgées hébergées dans un établissement conventionné au titre de l'aide personnalisée au logement et non habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale bénéficient, pour les seules prestations qui sont prises en compte dans le calcul de la part de la redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables conformément aux conventions conclues avec l'Etat au titre de l'aide personnalisée au logement, du plafonnement à 3,5 % de l'indice de référence des loyers, à l'évolution duquel elles sont habituellement soumises, prévu par l'article 12 de la loi du 16 août 2022, elles ne sont pas non plus placées dans la même situation que les personnes âgées hébergées dans les autres catégories d'établissements visés à l'article L. 342-1 du code de l'action sociale et des familles qui, ainsi qu'il a été dit au point 8, ne s'acquittent pas d'un loyer mais d'un prix global correspondant à un ensemble de prestations.

10. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

11. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article 12 de la loi du 16 août 2022 porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en tant qu'il ne prévoit pas que le plafonnement qu'il instaure s'applique à l'évolution du prix du socle de prestations et des prix des autres prestations d'hébergement dont doivent s'acquitter les personnes âgées hébergées dans les établissements visés à l'article L. 342-1 du code de l'action sociale et des familles, doit être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

12. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur intérêt pour agir, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté qu'ils attaquent.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association FAVICOVID EHPAD et autres.

Article 2 : La requête de l'association FAVICOVID EHPAD et autres est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Association nationale des familles de victimes du Covid-19 en EHPAD, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées.

Copie en sera adressé au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 20 juillet 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Ariane Piana-Rogez

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber

Code publication

C