Conseil d'Etat

Décision du 13 juillet 2023 n° 471743

13/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 28 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Ile-de-France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1706 du 29 décembre 2022 portant diverses mesures relatives au reversement des sommes du fonds de solidarité régional et à la composition du comité des finances locales ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la Charte européenne de l'autonomie locale ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 ;

- la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 ;

- le décret n° 2022-1706 du 29 décembre 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er juillet 2023, présentée par la région Ile-de-France ;

Considérant ce qui suit :

1. Le I de l'article 196 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 a modifié les dispositions de l'article L. 4332-9 du code général des collectivités territoriales et a créé à compter du 1er janvier 2022 un fonds de solidarité régional destiné à renforcer la solidarité financière entre les régions, les collectivités territoriales de Corse, de Martinique et de Guyane et le Département de Mayotte, qui se substitue au fonds de péréquation des ressources perçues par les régions et la collectivité territoriale de Corse créé par l'article 113 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013. Les modalités d'application des dispositions ainsi modifiées de l'article L. 4332-9 ont été définies par le décret du 29 décembre 2022 portant diverses mesures relatives au reversement des sommes du fonds de solidarité régional et à la composition du comité des finances locales, dont la région Ile-de-France demande l'annulation pour excès de pouvoir. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, sa requête doit être regardée comme dirigée seulement contre l'article 1er de ce décret modifiant les dispositions de l'article R. 4332-17 du code général des collectivités territoriales.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 4332-9 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022, " I. - Il est créé un fonds de solidarité régional destiné à renforcer la solidarité financière entre les régions et le Département de Mayotte. / En 2022, le montant total prélevé au titre de ce fonds est égal à 0,1 % de la fraction de taxe sur la valeur ajoutée attribuée en 2021 aux collectivités mentionnées au premier alinéa du présent I en application du A du IV de l'article 8 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021. Les années suivantes, le montant total prélevé au titre du fonds est égal au montant prélevé l'année précédente, majoré d'un montant égal à 1,5 % de la différence, si elle est positive, entre le montant de la fraction de taxe sur la valeur ajoutée attribuée aux collectivités mentionnées au premier alinéa du présent I en application de l'article 8 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 précitée l'année précédant la répartition et ce même montant attribué la pénultième année. / II. - Le fonds est alimenté par un prélèvement réparti entre les collectivités qui y sont éligibles, au prorata de la population de ces collectivités. Les prélèvements sont effectués mensuellement, à compter de la date de notification, sur les douzièmes prévus à l'article L. 4331-2-1 du présent code. / Les collectivités éligibles au prélèvement sont définies en fonction d'un indice de ressources. Pour chaque collectivité, cet indice est déterminé en additionnant les montants suivants : / 1° Le produit perçu l'année précédente par la collectivité au titre de la fraction de taxe sur la valeur ajoutée attribuée en application du A du IV de l'article 8 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 précitée ; / 2° Le montant résultant de l'application du 1.3 de l'article 78 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 perçu l'année précédente par la collectivité ; / 3° Le produit perçu l'année précédente par la collectivité au titre des impositions forfaitaires prévues aux articles 1599 quater A, 1599 quater A bis, 1599 quater B et 1519 HB du code général des impôts ; / 4° Le produit perçu l'année précédente par la collectivité au titre des impositions prévues à l'article 1599 quindecies du même code. / Les collectivités pour lesquelles cet indice, rapporté au nombre d'habitants, est inférieur à 0,8 fois l'indice par habitant moyen constaté pour l'ensemble des collectivités mentionnées au premier alinéa du I du présent article ne sont pas éligibles à ce prélèvement. / III. - Sont éligibles au reversement des sommes prélevées en application du II les collectivités qui ne sont pas éligibles au prélèvement mentionné au même II. Après prélèvement d'un montant correspondant aux régularisations effectuées l'année précédant la répartition, les sommes sont réparties entre les collectivités éligibles en tenant compte de la population, du revenu par habitant, du nombre de personnes âgées de quinze à dix-huit ans établi lors du dernier recensement et de la densité de population. / IV. - Les modalités d'application du présent article sont précisées par décret en Conseil d'Etat ".

4. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, la région Ile-de-France soutient que les dispositions de l'article L. 4332-9, en particulier celles de son II, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, le principe d'égalité devant les charges publiques et le principe de libre administration des collectivités territoriales, en tant que le mécanisme de péréquation qu'elles instituent se base sur les seules ressources des collectivités concernées, sans tenir compte des charges qu'elles supportent pour l'exercice des compétences obligatoires qui leur sont confiées par la loi et de leur évolution.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. En deuxième lieu, aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet d'un traitement différent, sous réserve que le législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. En troisième lieu, il résulte du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, que si les collectivités territoriales " s'administrent librement ", chacune d'elles le fait " dans les conditions prévues par la loi ". En outre, l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. Les règles fixées par la loi sur le fondement de ces dispositions ne sauraient toutefois avoir pour effet de restreindre les ressources des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration.

6. Par les dispositions contestées de l'article L. 4332-9 du code général des collectivités territoriales, le législateur a modifié le dispositif de péréquation financière entre les régions pour tirer les conséquences de la réforme de la fiscalité locale résultant de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, et plus spécifiquement de la suppression de la part du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui revenait aux régions et de son remplacement par l'affectation à ces collectivités, à compter du 1er janvier 2021, d'une fraction du produit national de la taxe sur la valeur ajoutée, en remplaçant le fonds de péréquation des ressources régionales institué par l'article 113 de la loi de finances pour 2013 par un nouveau fonds de solidarité régional. En prévoyant que le montant total de ce fonds serait égal en 2022 à 0,1 % de la fraction de taxe sur la valeur ajoutée attribuée aux régions en 2021, actualisé chaque année par un abondement, le cas échéant, de 1,5 % de l'évolution annuelle, si elle est positive, du montant de cette fraction, que la distinction entre les collectivités soumises à prélèvement au titre de ce fonds et les collectivités bénéficiant du reversement des sommes en provenance de celui-ci se ferait en fonction d'un indice de ressources, agrégeant diverses ressources précisément identifiées, pondéré par la population, que le prélèvement demandé aux collectivités contributrices serait établi au prorata de leur population, et que les sommes versées seraient réparties entre les collectivités éligibles en tenant compte de la population, du revenu par habitant, du nombre de personnes âgées de quinze à dix-huit ans et de la densité de population, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif d'intérêt général auquel répond le dispositif de péréquation ainsi institué, sans restreindre les ressources des collectivités contributrices au point d'entraver leur libre administration. Il n'a, dès lors, méconnu ni le principe d'égalité devant la loi, ni le principe d'égalité devant les charges publiques, ni le principe de libre administration des collectivités territoriales, lesquels n'imposaient pas, contrairement à ce que soutient la région requérante, que le dispositif de péréquation en cause tienne compte, en sus des critères de ressources et de population ainsi retenus, des charges incombant aux collectivités concernées pour l'exercice des compétences obligatoires qui leur sont conférées par la loi. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, que le moyen tiré de ce que les dispositions contestées de l'article L. 4332-9 du code général des collectivités territoriales porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur les autres moyens :

8. Aux termes de l'article 1er du décret du 29 décembre 2022 portant diverses mesures relatives au reversement des sommes du fonds de solidarité régional et à la composition du comité des finances locales : " L'article R. 4332-17 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé : / () I. - Pour l'application de l'article L. 4332-9 : / 1° La population prise en compte est la population municipale de la région, telle qu'elle résulte du recensement de la population légale authentifiée par décret au 1er janvier de l'année au titre de laquelle est effectuée la répartition. Pour le Département de Mayotte, la population prise en compte est celle définie au premier alinéa de l'article L. 3334-2 ; / 2° Le revenu pris en considération est le dernier revenu imposable connu au 1er janvier de l'année au titre de laquelle est effectuée la répartition ; / 3° La densité de population est celle qui résulte du rapport entre la population telle que définie au 1° et la superficie de cette collectivité. / II. - Pour la répartition des ressources du fonds de solidarité régional prévue au III de l'article L. 4332-9, un indice synthétique de charges est défini pour chaque collectivité éligible au reversement de ces ressources. Cet indice, qui ne peut excéder 3,5, est composé : / 1° A hauteur de 55 %, du rapport entre le revenu moyen par habitant de l'ensemble des collectivités mentionnées au I du même article et le revenu par habitant de la collectivité ; / 2° A hauteur de 40 %, du rapport entre la proportion de personnes âgées de quinze à dix-huit ans domiciliées dans les communes de la collectivité dans la population totale de la collectivité et cette même proportion constatée dans l'ensemble des collectivités mentionnées au I du même article ; / 3° A hauteur de 5 %, du rapport, qui ne peut excéder 3, entre la densité de population constatée pour l'ensemble des collectivités mentionnées au I du même article et la densité de population de la collectivité. / III. - Le montant attribué à chaque collectivité éligible est calculé en fonction du produit de sa population par son indice synthétique de charges () ".

9. En premier lieu, si aux termes des stipulations des paragraphes 1 et 2 de l'article 9 de la Charte européenne de l'autonomie locale : " 1. Les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences. / 2. Les ressources financières des collectivités locales doivent être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution ou la loi ", ces stipulations, en tout état de cause, n'ont pas pour effet de garantir aux collectivités territoriales un droit à une compensation spécifique des charges liées à l'exercice de chacune de leurs compétences. Par suite, la région requérante n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'exception, que les dispositions de l'article L. 4332-9 du code général des collectivités territoriales, dont l'objectif est, ainsi qu'il a été dit au point 6, d'instaurer un mécanisme de péréquation entre les régions tenant compte des effets sur leurs ressources de la réforme résultant de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, serait, en ce qu'il ne prendrait pas en compte les charges supportées par les collectivités concernées, incompatible avec ces stipulations.

10. En second lieu, si la région requérante soutient que le décret attaqué méconnaît le principe d'égalité devant la loi, faute de tenir compte lui-même des charges effectivement supportées par les collectivités concernées, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que les dispositions réglementaires attaquées se bornent à cet égard à mettre en œuvre les critères institués par la loi elle-même, à l'article L. 4332-9 du code général des collectivités territoriales, pour déterminer les prélèvements et versements du fonds de solidarité régional.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la région Ile-de-France n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 1er du décret du 29 décembre 2022 portant diverses mesures relatives au reversement des sommes du fonds de solidarité régional et à la composition du comité des finances locales. Ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la région Ile-de-France.

Article 2 : La requête de la région Ile-de-France est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la région Ile-de-France et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 juin 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 13 juillet 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Autret

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin

Code publication

C