Conseil d'Etat

Décision du 13 juillet 2023 n° 453229

13/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La commune de Nanterre a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, du 14 juin 2017 fixant le montant de sa contribution au fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF), ainsi que la décision du ministre de l'intérieur rejetant son recours hiérarchique formé le 21 juillet 2017, et d'enjoindre à l'Etat de lui reverser les sommes indument perçues au titre du FSRIF. A l'appui de cette demande, la commune de Nanterre a demandé au tribunal administratif de Paris de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du G du XV de l'article 59 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Par une ordonnance n° 1717988 du 6 mars 2019, la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Nanterre. Par un jugement n° 1717988 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 19PA04260 du 1er mars 2021, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de ces mêmes dispositions. Par un arrêt n° 19PA04260 du 2 avril 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la commune de Nanterre contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 5 novembre 2019.

Par un pourvoi, enregistré le 2 juin 2021, la commune de Nanterre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Autret, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Nanterre ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Nanterre a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du préfet de la région Ile-de-France du 14 juin 2017 fixant à 7 434 310 euros le montant de sa contribution au fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF) et lui a demandé, par un mémoire distinct, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du G du XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, lues avec le XI de l'article L. 5219-5 du code général des collectivités territoriales, en ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Par une ordonnance du 6 mars 2019, la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a refusé de transmettre cette question, au motif qu'elle ne présentait pas un caractère sérieux. Par un jugement du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la commune de Nanterre. Par une ordonnance du 1er mars 2021, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la cour et dirigée contre ces mêmes dispositions en ce qu'elles méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi, le principe d'égalité devant les charges publiques ainsi que les principes d'autonomie financière et de libre administration des collectivités territoriales, au motif que ces dispositions n'étaient pas applicables au litige. Par un arrêt du 2 avril 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la commune contre le jugement du 5 novembre 2019 du tribunal administratif de Paris. La commune de Nanterre se pourvoit en cassation contre cet arrêt et conteste le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Sur le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité présentée en appel :

2. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient que lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Aux termes du dernier alinéa de cet article 23-2 : " () Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Aux termes de l'article R. 771-12 du code de justice administrative : " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission () ". Selon l'article R. 771-16 du même code : " Lorsque l'une des parties entend contester devant le Conseil d'Etat, à l'appui d'un appel ou d'un pourvoi en cassation formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité précédemment opposé, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai de recours dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission () ".

3. A l'appui de son pourvoi, la commune de Nanterre demande au Conseil d'Etat, d'une part, d'annuler l'ordonnance du 1er mars 2021 par laquelle le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait soulevée à l'encontre des dispositions du G du XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dans leur version applicable au litige et, d'autre part, de renvoyer la question ainsi posée au Conseil constitutionnel.

4. Aux termes du G du XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dans sa version applicable au litige : " -1. La métropole du Grand Paris verse à chaque commune située dans son périmètre une attribution de compensation. Elle ne peut être indexée. / Pour chaque commune située dans le périmètre de la métropole du Grand Paris, l'attribution de compensation versée ou perçue, à compter de 2016, par la métropole du Grand Paris est égale : / a) Pour les communes qui étaient membres en 2015 d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité professionnelle unique : à l'attribution de compensation que versait ou percevait l'établissement public de coopération intercommunale au titre de l'exercice 2015 majorée ou corrigée dans les conditions prévues aux deuxième à septième alinéas du 2° du V de l'article 1609 nonies C du code général des impôts ; / b) Pour les autres communes : à la somme des produits mentionnés au I et aux 1 et 2 du I bis du même article 1609 nonies C et de la taxe sur les surfaces commerciales prévue à l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 précitée, perçus par la commune ou par l'établissement public de coopération intercommunale préexistant l'année précédant celle au cours de laquelle la création de la métropole du Grand Paris a produit pour la première fois ses effets au plan fiscal. Cette somme est diminuée du coût net des charges transférées à la métropole du Grand Paris, calculé dans les conditions définies au IV dudit article 1609 nonies C () ".

5. Aux termes de l'article L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable au litige : " () II. - 1. Le potentiel fiscal d'une commune membre d'un groupement à fiscalité propre faisant application du régime fiscal défini aux articles 1609 nonies C ou 1609 quinquies C du code général des impôts est majoré de l'attribution de compensation perçue par la commune l'année précédente. () / IV. - Le potentiel financier d'une commune est égal à son potentiel fiscal majoré du montant perçu par la commune l'année précédente au titre de la dotation forfaitaire définie à l'article L. 2334-7 du présent code () ". Aux termes du II de l'article L. 2531-13 du même code : " II. - Le fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France est alimenté par des prélèvements sur les ressources des communes de la région d'Ile-de-France selon les modalités suivantes : / 1° Sont contributrices au fonds les communes de la région d'Ile-de-France dont le potentiel financier par habitant est supérieur au potentiel financier moyen par habitant des communes de la région d'Ile-de-France. Ce dernier est égal à la somme des potentiels financiers des communes de la région d'Ile-de-France rapportée à la population de l'ensemble de ces communes ; / 2° Le prélèvement, calculé afin d'atteindre chaque année le montant fixé au I du présent article, est réparti entre les communes contributrices en fonction du produit d'un indice synthétique porté au carré, multiplié par la population de la commune. () / 3° Ce prélèvement respecte les conditions suivantes : () / f) Pour les communes dont le prélèvement calculé conformément au présent II augmente de plus de 25 % par rapport à celui opéré au titre de l'exercice précédent, la différence entre le prélèvement ainsi calculé et 125 % du prélèvement opéré au titre de l'année précédente est divisée par deux ".

6. Pour refuser de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité des dispositions citées au point 4 au principe d'égalité devant la loi, au principe d'égalité devant les charges publiques et aux principes d'autonomie financière et de libre administration des collectivités territoriales, le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris s'est fondé sur la circonstance que ces dispositions n'étaient pas applicables au litige, dès lors que l'arrêté litigieux n'avait pas pour objet de fixer le montant de l'attribution de compensation de la commune de Nanterre mais seulement celui de son prélèvement en faveur du fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France en application des dispositions combinées des articles L. 2531-13 et L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales, seules applicables au litige. La commune de Nanterre est fondée à soutenir que, ce faisant, il a commis une erreur de droit, dès lors que le montant de l'attribution de compensation étant pris en compte dans le calcul du potentiel financier de la commune déterminant sa contribution au fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France, les dispositions du G du XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui déterminent les modalités de calcul de l'attribution de compensation, soulèvent une question non dénuée de rapport avec les termes du litige et doivent par suite être regardées comme étant applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

7. Toutefois, il résulte des dispositions citées au point 2 que lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion de l'appel formé contre le jugement qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte du jugement, dont il joint alors une copie, ou directement par ce jugement. Les dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre à celui qui a déjà présenté une question prioritaire de constitutionnalité devant une juridiction statuant en première instance de s'affranchir des conditions selon lesquelles le refus de transmission peut être contesté devant le juge d'appel puis, le cas échéant, devant le juge de cassation. Elles lui permettent, en revanche, de former directement devant le juge d'appel ou, le cas échéant, le Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les mêmes dispositions, mais comportant des moyens nouveaux.

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Nanterre n'a saisi la cour administrative d'appel de Paris que le 29 septembre 2020 d'un mémoire, intitulé " mémoire QPC ", demandant la transmission de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions contestées, en soutenant qu'elles méconnaissaient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ainsi que les principes d'autonomie financière et de libre administration des collectivités territoriales. Dès lors qu'il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, d'une part, l'ordonnance de la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant le tribunal a été régulièrement notifiée à la commune de Nanterre par un courrier réceptionné le 8 mars 2019, qui mentionnait, conformément aux dispositions de l'article R. 771-9 du code de justice administrative, que cette décision ne pourrait être contestée, par un mémoire distinct et motivé, qu'à l'occasion d'un recours formé contre la décision réglant tout ou partie du litige et que, d'autre part, le jugement du tribunal administratif de Paris du 5 novembre 2019 a été régulièrement notifié à la commune de Nanterre par un courrier réceptionné le 6 novembre 2019, mentionnant les voies et délais de recours, ce " mémoire QPC ", enregistré postérieurement à l'expiration du délai de recours contre ce jugement, ne peut être regardé comme une contestation de ce refus de transmission et doit être regardé comme posant une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité devant la cour administrative d'appel.

9. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'il ne pouvait être fait droit à cette demande en tant qu'elle portait sur la même question que celle soumise au tribunal administratif de Paris et qu'elle était fondée sur les mêmes moyens que ceux invoqués devant les premiers juges, tirés de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et du principe d'égalité devant les charges publiques.

10. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les dispositions contestées du G du XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République aient pour effet, que ce soit directement, ou indirectement du fait de leur application combinée avec les dispositions des articles L. 2531-13 et L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales, de restreindre les ressources des collectivités concernées au point de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.

11. Ces motifs, qui n'appellent l'appréciation par le juge de cassation d'aucune circonstance de fait, justifient le dispositif de l'ordonnance attaquée en ce qu'elle refuse de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité et doivent être substitués au motif retenu par le président de la 6ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris. Dès lors, la commune de Nanterre n'est pas fondée à demander l'annulation du refus de transmission opposé par la cour.

Sur le pourvoi :

12. En premier lieu, la cour, a mentionné, dans les visas de l'arrêt attaqué, l'ordonnance du 1er mars 2021 par laquelle le président de la 6ème chambre de cette cour a écarté le moyen tiré de ce que les dispositions du G du XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Dans ces conditions, quand bien même elle n'a pas à nouveau écarté ce moyen dans les motifs de l'arrêt attaqué, ce dernier doit être regardé comme suffisamment motivé.

13. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 10 que c'est sans erreur de droit que la cour a écarté le moyen tiré de l'illégalité de l'arrêté attaqué à raison de la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution par les dispositions du G du XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Nanterre n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Nanterre est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Nanterre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 juin 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Julien Autret, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 13 juillet 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Julien Autret

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin

Code publication

C