Tribunal administratif de Paris

Jugement du 12 juillet 2023 n° 2108878

12/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois mémoires, enregistrés les 24 avril, 20 septembre et 30 novembre 2021 et le 14 juin 2023, M. A B doit être regardé comme demandant au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 19 février 2020 par laquelle le président de la mutuelle sociale agricole (MSA) du Limousin a refusé de lui communiquer le rapport annuel rédigé au titre de l'année 2004, en application de l'article L. 722-7 du code rural et de la pêche maritime en vigueur en 2004 ;

2°) d'annuler la décision implicite du 17 septembre 2021 par laquelle le président de la mutuelle sociale agricole (MSA) du Limousin a refusé de lui communiquer le bilan des contrôles de l'année 2004 (toutes pièces et annexes attachées) effectué par l'ex-CMSA, devenue MSA du Limousin, comme prévu à l'article 4 du décret du 17 septembre 2002 relatif au contrôle de l'application de la législation sociale agricole, codifié à l'article R. 724-10 du code rural et de la pêche maritime, ainsi que l'intégralité des pièces de son dossier administratif, le tout certifié conforme, ayant abouti à sa radiation du statut MSA d'agriculteur, intervenue en 2004 ;

3°) d'enjoindre au président de la MSA de lui communiquer ces documents.

Il doit être regardé comme soutenant que les documents demandés présentent un caractère communicable en vertu de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration et que la MSA du Limousin n'établit pas qu'ils seraient inexistants.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 29 octobre 2021 et le 14 juin 2023, le président de la mutuelle sociale agricole (MSA) du Limousin conclut :

1°) au rejet de la requête de M. B ;

2°) à ce que M. B soit condamné à verser à la MSA du Limousin la somme de 500 euros pour recours abusif, sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative ;

3°) à ce qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de M. B sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- la MSA du Limousin a rempli son obligation de communiquer les documents administratifs réclamé par M. B, en conformité avec les dispositions du sixième alinéa de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration, correspondant à la circulaire interne de la CCSMSA précisant les modalités d'application de la circulaire ministérielle elle-même prise pour l'application de la loi du 4 juillet 1989 d'orientation agricole, ainsi que les statuts de la caisse de la MSA de la Corrèze en vigueur en 2004, avec extrait du compte rendu de l'assemblée générale de 6 novembre 2002 ;

- en revanche, les autres documents demandés par M. B ont été détruits à l'issue de leur durée d'utilité administrative, de sorte qu'ils sont inexistants ;

- la demande de M. B caractérise une demande abusive justifiant que lui soit infligée une amende sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 1er août 2022, M. B doit être regardé comme demandant au tribunal, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'État aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article R. 414-2 du code de justice administrative.

Il soutient que ces dispositions sont discriminatoires et contraires au principe d'égalité entre les parties au procès.

Par un mémoire distinct, enregistré le 23 août 2022, le président de la mutuelle sociale agricole (MSA) du Limousin conclut à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le requérant.

Il soutient que la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État est irrecevable.

La requête a été communiquée au préfet de la Vienne, qui n'a pas présenté d'observations en défense.

M. B a produit plusieurs mémoires, enregistrés les 12 mai et 27 octobre 2021 et le 10 mars 2022, qui n'ont pas été communiqués.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789,

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1,

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958,

- le code rural et de la pêche maritime,

- le décret n°2002-1196 du 17 septembre 2002 relatif au contrôle de l'application de la législation sociale agricole,

- le décret n° 2020-1245 du 9 octobre 2020 relatif à l'utilisation des téléprocédures devant le Conseil d'Etat, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs et portant autres dispositions,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Pény, premier conseiller, en application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pény,

- et les conclusions de M. Cicmen, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A B a saisi la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) afin que lui soient communiqués plusieurs documents administratifs, correspondant à la circulaire interne de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCSMSA) précisant les modalités d'application de la circulaire ministérielle elle-même prise pour l'application de la loi du 4 juillet 1989 d'orientation agricole, ainsi que les statuts de la caisse de la MSA de la Corrèze en vigueur en 2004, avec extrait du compte rendu de l'assemblée générale de 6 novembre 2002, et le rapport annuel rédigé au titre de l'année 2004, en application de l'article L. 722-7 du code rural et de la pêche maritime. La CADA a notifié cette saisine au président de la mutuelle sociale agricole du Limousin le 3 décembre 2019 et a émis un avis favorable à cette demande le 16 janvier 2020. Par un courrier du 13 février 2020, la MSA a communiqué ces documents à M. B, à l'exception du rapport annuel rédigé au titre de l'année 2004, dont la MSA n'était plus en possession. Par un courrier du 19 février 2020, la MSA a indiqué à M. B que ses services n'étaient plus en possession du rapport annuel rédigé en 2004. Par plusieurs courriers du 13 mars 2020, M. B a sollicité auprès du ministre de l'agriculture et de l'alimentation le rapport sur les décisions mentionnées au 2 de l'article L. 722-7 du code rural et de la pêche maritime, depuis 1981, ainsi que les circulaires internes de la MSA prises pour l'application de l'article 15 de la loi du 4 juillet 1980 d'orientation agricole, ainsi que les statuts et le règlement intérieur de l'ancienne caisse de mutuelle sociale agricole de la Corrèze en vigueur en 2004. Ces demandes ont été transmises respectivement au préfet de la Vienne, au président du conseil d'administration de la caisse centrale de la mutualité agricole (CCMSA) et au président du conseil d'administration de la MSA du Limousin. M. B a de nouveau saisi la commission d'accès aux documents administratifs, le 17 juillet 2021, à la suite du refus opposé par le président de la MSA du Limousin de lui communiquer le bilan des contrôles réalisés au cours de l'année 2004 (toutes pièces et annexes attachées), en vertu de l'article 4 du décret du 17 septembre 2002 relatif au contrôle de l'application de la législation sociale agricole, codifié à l'article R. 724-10 du code rural et de la pêche maritime, ainsi que l'intégralité des pièces de son dossier administratif, ayant abouti à sa radiation du statut MSA d'agriculteur, intervenue en 2004. Par un avis du 15 septembre 2021, la CADA a déclaré sans objet la demande d'avis de M. B au motif que ces documents étaient inexistants. Par la présente requête, M. B doit être regardé comme demandant, d'une part, l'annulation de la décision du 19 février 2020 par laquelle le président par laquelle le président de la mutuelle sociale agricole (MSA) du Limousin a refusé de lui communiquer le rapport annuel rédigé au titre de l'année 2004, en application de l'article L. 722-7 du code rural et de la pêche maritime en vigueur en 2004 et, d'autre part, l'annulation de la décision implicite née le 17 septembre 2021, soit deux mois après la saisine de la CADA, en vertu des dispositions de l'article R. 345-3 du code des relations entre le public et l'administration, par laquelle le président de la mutuelle sociale agricole du Limousin a refusé de lui communiquer ce même rapport, ainsi que l'intégralité des pièces de son dossier administratif.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. L'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". L'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution prévoit : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État () le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel () ". Selon l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ". Il résulte des dispositions de cet article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. M. B doit être regardé comme demandant au tribunal de transmettre au Conseil d'État aux fins de transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article R. 414-2 du code de justice administrative au motif que ces dispositions sont contraires au principe d'égalité entre les parties à un procès et, plus généralement, au principe d'égalité. Toutefois, ces dispositions, applicables au présent litige, présentent un caractère réglementaire et ne sont, par conséquent, pas au nombre des dispositions législatives visées par l'article 61-1 de la Constitution et l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Elles ne sont, par suite, pas susceptibles de faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité.

4. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Sur les conclusions à fin d'annulation et d'injonction :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues () de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Toutefois, l'obligation légale de communication des documents administratifs ne s'étend pas aux documents que l'administration est dans l'impossibilité matérielle de produire.

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 722-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable en 2004 : " Le régime de protection sociale mentionné à l'article L. 722-4 est applicable aux personnes qui étaient affiliées à la date du 7 juillet 1980 au régime de protection sociale des non salariés des professions agricoles, tout en dirigeant des exploitations ou entreprises agricoles ne répondant pas à la condition d'importance minimale fixée par l'article L. 722-5, sous réserve que leur activité agricole ne se réduise pas ultérieurement dans des proportions précisées par décret ; dans ce cas, la décision de maintien dans le régime est prise par les conseils d'administration des caisses de mutualité sociale agricole. / Un rapport sur les décisions prises au titre de l'alinéa précédent sera présenté chaque année au comité départemental des prestations sociales agricoles. ". Et aux termes de l'article 4 du décret du 17 septembre 2002 relatif au contrôle de l'application de la législation sociale agricole, alors en vigueur, et désormais codifié à l'article R. 724-10 du code rural et de la pêche maritime : " Le directeur de la caisse de mutualité sociale agricole élabore un plan annuel de contrôle, qu'il transmet pour information au conseil d'administration en y annexant le bilan des contrôles de l'année antérieure et un bilan provisoire des contrôles de l'année en cours. Ces documents sont transmis au préfet de région, qui apprécie la pertinence des objectifs quantitatifs par nature de contrôle et par secteur d'activité. Le préfet de région peut demander au directeur d'aménager le plan de contrôle et d'en modifier les objectifs qu'il juge insuffisants. ".

7. M. B a sollicité auprès de la MSA du Limousin le bilan des contrôles effectués au titre de l'année 2004, en vertu de l'article 4 du décret du 17 septembre 2002 relatif au contrôle de l'application de la législation sociale agricole, aujourd'hui codifié à l'article R. 724-10 du code rural et de la pêche maritime, ayant abouti à sa radiation du statut d'agriculteur, intervenue à l'issue de ce contrôle, ainsi que l'intégralité des pièces de son dossier administratif. Il ressort des pièces au dossier, et notamment de l'avis de la commission d'accès aux documents administratifs du 15 septembre 2021, que le président de la MSA du Limousin a informé la commission que les documents sollicités n'existaient plus dans la mesure où ceux-ci, après avoir été conservés pendant la durée d'utilité administrative requise de dix ans, soit de 2004 à 2014, avaient été détruits à l'issue de ce délai de conservation. La MSA du Limousin indique, en outre, que les réorganisations successives de la caisse et la fin du délai de conservation appliqué à certains documents administratifs avaient conduit à la destruction des documents en cause. Ces explications concordent avec le courrier du 19 février 2020 dans lequel la MSA du Limousin indiquait à M. B que ses services n'étaient plus en possession du rapport annuel rédigé au titre de l'année 2004, en application de l'article R. 724-10 du code rural et de la pêche maritime. Au regard des explications apportées par la MSA du Limousin et de l'existence non sérieusement contestée d'une durée d'utilité administrative de dix ans appliquée à ces documents, celle-ci établit suffisamment avoir effectué les diligences nécessaires pour retrouver les documents demandés, lesquels doivent être regardés, en l'espèce, comme n'ayant pas été conservés. Enfin, à supposer même que la reconstitution de ces documents soit possible, celle-ci serait susceptible de faire peser sur la MSA ou l'administration une charge de travail déraisonnable.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B doit être rejetée en toutes ses conclusions.

Sur les frais liés au litige :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la MSA du Limousin présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que la présente instance ait occasionné des dépens pour la MSA du Limousin. Par suite, les conclusions présentées en ce sens doivent être rejetées.

Sur l'amende pour recours abusif :

10. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ". La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions du président de la MSA tendant à ce que M. B soit condamné à une telle amende ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Article 2 : La requête de M. B est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par la MSA du Limousin sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A B, au président de la mutuelle sociale agricole du Limousin et au préfet de la Vienne.

Copie en sera adressée au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2023.

Le magistrat désigné,

A. PényLa greffière,

A. Cardon

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2/6-3

Code publication

C