Tribunal administratif de Pau

Jugement du 12 juillet 2023 n° 2002614

12/07/2023

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 décembre 2020, le 27 décembre 2021 et le 8 mars 2022, M. D G, M. E B, Mme J A, Mme I C, M. F K et M. L H, représentés par Me Cavallaro, demandent au tribunal dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler la décision du 9 décembre 2020 par laquelle le maire de Capbreton a fait publier dans le bulletin municipal hors-série " Capbreton magazine " du mois de décembre 2020 une tribune ne correspondant pas au projet de texte proposé par l'opposition municipale ;

2°) d'enjoindre au maire de Capbreton :

- de suspendre la diffusion de cette édition du bulletin municipal et de retirer les exemplaires disponibles dans les lieux publics ;

- de procéder à la distribution du même bulletin après modification de la tribune correspondant au projet de texte proposé par l'opposition municipale ;

- de procéder au retrait de la tribune erronée et à la diffusion du projet de texte proposé par l'opposition municipale dans le magazine hors-série " Capbreton ", sur la page d'accueil du site internet de la commune à la rubrique " kiosque ", et sur le site du réseau social affecté à la commune de Capbreton.

3°) de mettre à la charge de la commune de Capbreton une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision attaquée révèle une atteinte à la liberté d'expression de l'opposition municipale et un excès de pouvoir du maire qui ne disposait pas du droit de modifier unilatéralement le projet de texte préparé par l'opposition municipale, au regard de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales et de l'article 23 du règlement intérieur ;

- elle constitue une rupture d'égalité à l'avantage de la tribune du groupe majoritaire ;

- elle porte atteinte à l'article 4 de la Constitution.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 décembre 2021 et le 1er juin 2022, la commune de Capbreton, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge solidaire des requérants une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est tardive dès lors d'une part, qu'aucune décision n'est contestée, seulement la mise en page du bulletin municipal en litige, et d'autre part qu'à supposer l'existence d'une décision, elle ne fait pas grief ;

- les autres moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Genty,

- les conclusions de Mme Réaut, rapporteure publique,

- et les observations de Me Cavallaro, représentant les requérants, et de Me Barbier, représentant la commune de Capbreton.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de la préparation de l'édition hors-série du bulletin municipal " Capbreton magazine " du mois de décembre 2020, l'opposition municipale a communiqué à la commune de Capbreton un projet de tribune au titre de son droit d'expression. M. G et autres demandent l'annulation de la décision par laquelle le maire de Capbreton n'a pas fait publier intégralement ce projet dans ce bulletin municipal.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d'information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale. Les modalités d'application de cette disposition sont définies par le règlement intérieur. ". Il résulte des dispositions de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales que l'espace réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale doit présenter un caractère suffisant et être équitablement réparti eu égard aux caractéristiques de la publication. Cet article n'a pas pour objet d'interdire qu'un espace soit attribué à l'expression des élus de la majorité, sous réserve que cette expression n'ait pas pour effet, notamment au regard de son étendue, de faire obstacle à l'expression des élus n'appartenant pas à la majorité. Ni le conseil municipal ni le maire de la commune ne sauraient, en principe, contrôler le contenu des articles publiés, sous la responsabilité de leurs auteurs, dans cet espace. Il en va toutefois autrement lorsqu'il ressort à l'évidence de son contenu qu'un tel article présente un caractère manifestement outrageant, diffamatoire ou injurieux au regard des dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

3. D'autre part, aux termes de l'article 23 du règlement intérieur du conseil municipal de Capbreton : " Les conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale disposent dans chaque publication municipale d'un emplacement réservé : / Caractéristiques de l'espace réservé / - un espace réparti à parts égales entre les conseillers municipaux de la majorité et les conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale, pour chaque publication municipale d'informations (bulletin, magazine, lettre, )/ - le nombre de signes maximum, hors illustrations (photographies, visuels) et titres, sera en fonction de la maquette de chaque publication. Il sera précisé à chaque conseiller n'appartenant pas à la majorité avant la parution de la publication. / Modalités de remise des textes / Chaque conseiller municipal n'appartenant pas à la majorité sera informé par courrier électronique de la parution de la publication. / En raison des obligations liées au délai d'impression, les textes devront obligatoirement être remis dans les 10 jours francs suivant la réception de ce courrier électronique. A défaut, ils ne pourront être publiés et cela sera mentionné sur l'espace réservé aux conseillers municipaux n'appartenant pas à la majorité municipale. Le texte devra être remis au secrétariat général par courrier électronique ou clé USB. ".

4. Il ressort d'abord des pièces du dossier qu'en application de l'article 23 du règlement intérieur, le service compétent de la mairie avait fixé à 1000 le nombre de signes pour l'édition hors-série du bulletin municipal du mois de décembre 2020 et que M. G a transmis le 27 novembre 2020 un texte qu'il désigne comme comportant 997 caractères, ramenés à 988 dans les écritures des requérants. Il n'est ensuite pas contesté que le groupe d'opposition a finalement disposé d'un texte de 874 caractères, au lieu des 988 proposés, alors que la majorité a bénéficié de 1178 caractères. Il est en outre constant que la tribune d'expression elle-même a été publiée, sans être amendée ou modifiée, la différence du texte ainsi publié dans le bulletin municipal par rapport au projet de texte proposé par le groupe d'opposition municipale Nouveau Cap, résidant uniquement dans la circonstance qu'il n'a pas repris les coordonnées téléphoniques ni l'adresse du site internet de ce groupe. Il a toutefois reproduit les coordonnées du compte Facebook et l'adresse permettant d'adresser des courriers électroniques à ces élus, ces informations, quoiqu'incomplètes se révélant au demeurant suffisantes pour s'adresser à ces derniers. Dans ces conditions, si le maire d'une commune ne saurait, en principe, contrôler le contenu des articles publiés dans un bulletin d'information municipal sous la responsabilité de leurs auteurs, les coordonnées permettant de contacter les membres de l'opposition, ne sauraient être regardées comme l'expression d'une opinion ou la communication d'une information par des conseillers municipaux au sens de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales. La liberté d'expression du groupe d'opposition Nouveau Cap ne s'en est dès lors pas trouvée limitée. Par suite, le maire, en prenant la décision de publier le bulletin municipal hors-série " Capbreton magazine " du mois de décembre 2020 n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales, ni de l'article 23 du règlement intérieur.

5. En deuxième lieu, si les requérants se prévalent d'une rupture d'égalité à l'avantage de la tribune du groupe majoritaire, eu égard à l'objet de la décision attaquée, qui ne porte que sur la suppression d'une partie de la publication du groupe Nouveau Cap, le moyen est inopérant.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " () La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. ".

7. Si les requérants font valoir que la décision attaquée porte atteinte à leur liberté d'opinion et d'expression telle qu'elle est garantie par les dispositions précitées de l'article 4 de la Constitution, le droit qui en résulte a été formalisé par les dispositions législatives, précitées au point 2, de l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales. Or, il n'appartient pas au juge administratif de porter une appréciation, même indirecte, sur la constitutionnalité de la loi, en dehors de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité instituée à l'article 61-1 de la Constitution. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le principe constitutionnel de la liberté d'opinion et d'expression aurait été méconnu.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la commune de Capbreton, les conclusions aux fins d'annulation de la requête doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. () ". Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".

10. Le rejet des conclusions aux fins d'annulation de la requête de M. G et autres n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction de cette même requête doivent également être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

12. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par M. G et autres doivent dès lors être rejetées. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de ces derniers une somme globale de 1 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Capbreton et non compris dans les dépens.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de M. G et autres est rejetée.

Article 2 : M. G et autres verseront à la commune de Capbreton une somme globale de 1000 (mille) euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. D G, et à la commune de Capbreton.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Quéméner, présidente,

Mme Genty, première conseillère,

Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 12 juillet 2023.

La rapporteure,

Signé

F. GENTY

La présidente,

Signé

V. QUEMENERLa greffière,

Signé

A. STRZALKOWSKA

La République mande et ordonne à la préfète des Landes en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition :

La greffière,

Code publication

C