Tribunal administratif de Toulon

Jugement du 10 juillet 2023 n° 2101158

10/07/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 26 avril 2021, la société par actions simplifiée (SAS) La Libération, représentée par Me Maillard, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre du mois de juin 2014, de l'amende prévue au 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts qui lui a été infligée au titre des années 2014 à 2016 et le rétablissement du déficit fiscal reportable dont elle disposait au titre des exercices clos de 2014 à 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet au titre des exercices clos en 2014 et 2015, concernant l'impôt sur les sociétés, et au titre de la période du 1er janvier 2014 au

31 décembre 2016, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, s'est achevée par une proposition de rectification du 27 juin 2017 ; toutefois, la proposition de rectification du 13 décembre 2017 porte sur la remise en cause de la taxe sur la valeur ajoutée déductible et de la déduction de charges ayant déjà fait l'objet d'un contrôle lors de la vérification de comptabilité, ce qui constitue des investigations nouvelles sur les documents comptables examinés au cours des opérations de vérification de comptabilité, en méconnaissance de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales ;

- les fausses factures n'ont pas été établies à son initiative mais à celle de son gérant à des fins personnelles ; dès lors, l'amende prévue au 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts qui lui a été infligée n'est pas fondée ; en outre, cette amende méconnaît " l'instruction 13 N-1-98 du 28 juillet 1998 " ;

- la notification d'une amende pour facture fictive et des majorations pour manœuvres frauduleuses méconnaît le principe " non bis in idem " et le principe de proportionnalité des peines.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2021, le directeur départemental des finances publiques du Var conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958 et notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sportelli,

- et les conclusions de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS La Libération, qui exerce une activité de marchand de bien et dont M. B est le gérant et l'associé unique, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, puis d'un contrôle sur pièces, donnant lieu à deux propositions de rectification en date des

27 juin 2017 et 13 décembre 2017. Par une réclamation du 13 août 2020, rejetée par une décision du 18 février 2021, cette société a contesté les impositions et amendes consécutives au contrôle sur pièces. Par la présente requête, elle demande ainsi au tribunal de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre du mois de juin 2014, de l'amende prévue au 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts qui lui a été infligée au titre des années 2014 à 2016, pour un montant total de 65 512 euros, et le rétablissement du déficit fiscal reportable dont elle disposait au titre des exercices clos de 2014 à 2016.

Sur les conclusions à fin de décharge :

En ce qui concerne la procédure d'imposition :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales : " Lorsque la vérification de comptabilité ou l'examen de comptabilité, pour une période déterminée, au regard d'un impôt ou d'une taxe ou d'un groupe d'impôts ou de taxes, est achevé, l'administration ne peut procéder à une vérification de comptabilité ou à un examen de comptabilité de ces mêmes écritures au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période () ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " I. - Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables () ". Aux termes de l'article R. 13-1 du même livre : " Les vérifications de comptabilité mentionnées à l'article L. 13 comportent notamment : a) La comparaison des déclarations souscrites par les contribuables avec les écritures comptables et avec les registres et documents de toute nature, notamment ceux dont la tenue est prévue par le code général des impôts et par le code de commerce ; b) L'examen de la régularité, de la sincérité et du caractère probant de la comptabilité à l'aide particulièrement des renseignements recueillis à l'occasion de l'exercice du droit de communication, et de contrôles matériels ". Enfin, aux termes de l'article L. 81 de ce livre : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette, le contrôle et le recouvrement des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées. () Le droit prévu au premier alinéa s'exerce sur place ou par correspondance, y compris électronique, et quel que soit le support utilisé pour la conservation des documents () ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du

13 décembre 2017, que les rectifications notifiées à l'issue du contrôle sur pièces résultent uniquement, d'une part, de l'exercice du droit de communication, le 19 septembre 2017, auprès d'une étude notariale et, d'autre part, des renseignements obtenus par l'administration fiscale dans le cadre des opérations de contrôle engagées à l'égard de la société civile immobilière (SCI) France Espace Publicitaires, et notamment des déclarations effectuées lors de ce contrôle par M. B, gérant de fait de cette société, révélant que des factures émises par la SAS La Libération étaient fictives. En conséquence, lors du contrôle sur pièces ayant donné lieu à la proposition de rectification du 13 décembre 2017, l'administration fiscale n'a pas contrôlé sur place la sincérité des déclarations fiscales souscrites par la société requérante en procédant à la comparaison des écritures comptables ou des pièces justificatives dont elle a pris alors connaissance avec les déclarations fiscales de l'intéressée. A ce titre, la circonstance que la taxe sur la valeur ajoutée déductible afférente à deux factures fictives avait été remise en cause lors de la vérification de comptabilité, pour un motif différent de leur caractère fictif, est sans influence. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'administration n'a pas effectué une seconde vérification de comptabilité portant sur les mêmes impôts et les mêmes années. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 51 du livre des procédures fiscales manque en fait et doit être écarté.

En ce qui concerne l'amende prévue au 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 1737 du code général des impôts : " I. - Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : () 2. De la facture, le fait de délivrer une facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de service réelle () ". Si la personne dont le nom figure sur une facture est présumée être celle qui l'a délivrée, cette présomption peut être combattue par l'administration comme par la personne en cause. Si l'une ou l'autre établit qu'une facture fictive a été délivrée non par la personne dont le nom figure sur cette facture, mais par une autre personne, l'amende fiscale ne peut être mise à la charge que de cette dernière.

6. Il résulte de l'instruction que M. B, en sa qualité d'associé unique et de gérant de la SAS La Libération, a émis des factures fictives d'un montant de 35 000 euros en 2014, 36 000 euros en 2015 et 24 000 euros en 2016, qui visaient à augmenter indûment les charges de la société tout en déduisant de la taxe sur la valeur ajoutée et en distribuant de l'argent à son associé-gérant. Ces factures fictives ont ainsi été délivrées puis réglées par la société requérante, en connaissance de cause. Ainsi M. B a agi pour le compte de sa société, lui permettant de majorer ses déficits et de déduire indument de la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, l'administration établit le bien-fondé de l'amende mise à la charge de la société requérante en application du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4, paragraphe 1, du protocole n° 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ". Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ".

8. D'une part, la règle " non bis in idem ", telle qu'elle résulte de ces stipulations, ne trouve à s'appliquer, selon la réserve accompagnant l'instrument de ratification de ce protocole par la France et publiée au Journal officiel de la République française du 27 janvier 1989, à la suite du protocole lui-même, que pour " les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale ", et ne s'applique en conséquence pas aux pénalités et sanctions fiscales. Par suite, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de la règle " non bis in idem ".

9. D'autre part, si la société requérante évoque le principe de proportionnalité des peines, elle n'indique pas les dispositions sur le fondement desquelles elle se prévaut de ce principe. Ainsi, ce moyen est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

10. Au demeurant, à supposer même que la société requérante aurait entendu se prévaloir de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la société requérante n'a pas présenté un mémoire séparé portant la mention " question prioritaire de constitutionnalité ". Par suite, ce moyen n'est pas recevable. En tout état de cause, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, qu'en instituant l'amende en litige, le législateur n'a pas établi une amende fiscale manifestement disproportionnée au manquement et qu'il n'a pas méconnu, ce faisant, les exigences de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Enfin, les dispositions précitées du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts, qui n'ont pas le même objet que la majoration pour manœuvres frauduleuses prévue à l'article 1729 du même code, proportionnent le montant de l'amende à la gravité du manquement et à l'importance des sommes qui font l'objet de l'infraction, et le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir cette amende, soit d'en prononcer la décharge. Or, il ne résulte pas de l'instruction que, eu égard à l'importance des sommes fictivement comptabilisées par la requérante, à la période concernée et aux autres circonstances de l'espèce, le montant des amendes prononcées serait en l'espèce disproportionné.

11. En troisième lieu, si la société évoque " l'instruction 13 N-1-98 du 28 juillet 1998 ", elle ne s'en prévaut pas sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ni même ne la produit. Au demeurant cette instruction, qui constituait un document interne à l'administration, non publié, a été rapportée à compter du 12 septembre 2012.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS La Libération n'est pas fondée à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre du mois de juin 2014, de l'amende prévue au 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts qui lui a été infligée au titre des années 2014 à 2016 et le rétablissement du déficit fiscal reportable dont elle disposait au titre des exercices clos de 2014 à 2016.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

 

D E C I D E :

 

Article 1er : La requête de la SAS La Libération est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société par actions simplifiée La Libération et au directeur départemental des finances publiques du Var.

Délibéré après l'audience du 19 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Bernabeu, présidente,

- M. Sportelli, premier conseiller,

- Mme A, magistrate honoraire.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juillet 2023.

Le rapporteur,

Signé

T. SPORTELLI

La présidente,

Signé

M. BERNABEU

La greffière,

Signé

E. PERROUDON

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice, à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

Et par délégation,

La greffière.

N° 2001158

Code publication

C