Cour administrative d'appel de Paris

Décision du 7 juillet 2023 n° 21PA02267

07/07/2023

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en commandite par actions (ci-après SCA) Rubis a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contributions sociales et de contributions exceptionnelles sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie à raison des redressements de sa filiale intégrée, la société Rubis Energie, au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014 pour un montant de 3 651 262 euros dont, au titre de l'impôt sur les sociétés, 3 028 745 euros en droits et 318 107 euros en intérêts de retard, au titre de la contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés, 99 949 euros en droits et 10 498 euros en intérêts de retard, et au titre de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, 239 465 euros en droits et 23 206 euros en intérêts de retard.

Par un jugement n° 1906995 du 25 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement le 28 avril, le 6 septembre 2021, le 20 décembre 2022 et le 6 juin 2023, la SCA Rubis, représentée par Me Zoubritzky, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme à déterminer sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'erreur d'appréciation des faits et d'erreur de droit ;

- les impositions en litige méconnaissent les stipulations de la convention fiscale

franco-mauricienne ;

- en tant que l'article 209 B du code général des impôts crée une distinction entre les entreprises établies dans l'Union européenne, et celles établies dans les Etats tiers, à fiscalité privilégiée et non coopératifs, il porte atteinte au principe d'égalité et est inconstitutionnel ;

- en cumulant les notions d'effet et d'objet de transfert de bénéfices, cet article instituerait une présomption irréfragable de délocalisation des bénéfices, également inconstitutionnelle ;

- l'application de l'article 209 B du code général des impôts heurte en l'espèce nécessairement le principe de liberté de circulation des capitaux, qui est principalement en jeu dans le litige en cause ;

- les impositions en litige méconnaissent le champ d'application de l'article 209 B ;

- elle a apporté la preuve de l'objet et de l'effet non principalement fiscal de l'implantation et des opérations de la société Eccleston Co Ltd à l'Île Maurice, conformément à la clause de sauvegarde générale de l'article 209 B III du même code, ainsi que du caractère effectif de son activité commerciale, malgré l'absence de personnel sur place ;

- elle s'offre à produire les traductions certifiées conformes des documents comptables ;

- elle se prévaut de l'interprétation de la loi fiscale exprimée par les paragraphes 290 et 300 du BOI-IS-base-60-10-40-20120912 ;

- le service a procédé à un abus de droit rampant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 août 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet à la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par une ordonnance n° 21PA02267 du 11 mai 2021, la présidente de la 2ème chambre de la Cour a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par la SCA Rubis sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ;

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention fiscale franco-mauricienne du 11 décembre 1980 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Soyez,

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public ;

- et les observations de Me Zoubritzky, pour la SCA Rubis.

Une note en délibéré, enregistrée le 23 juin 2023, a été présentée pour la SCA Rubis par Me Zoubritzky.

Considérant ce qui suit :

1. La SCA Rubis, société-mère intégrante du groupe auquel appartient la société Rubis Energie, relève régulièrement appel du jugement du tribunal administratif de Montreuil en date du 25 février 2021, en tant qu'il a rejeté ses conclusions en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales et exceptionnelles sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2012, 2013 et 2014, au motif qu'en délocalisant ses bénéfices dans l'Île Maurice, elle relevait du régime de taxation prévue à l'article 209 B du code général des impôts.

2. Au titre de l'article 238 A du code général des impôts : " () les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. ". Et au titre de l'article 209 B du même code, dans sa rédaction en vigueur au titre des exercices en litige : " I.-1. Lorsqu'une personne morale établie en France et passible de l'impôt sur les sociétés exploite une entreprise hors de France ou détient directement ou indirectement plus de 50 % des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique : personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable, établie ou constituée hors de France et que cette entreprise ou entité juridique est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A, les bénéfices ou revenus positifs de cette entreprise ou entité juridique sont imposables à l'impôt sur les sociétés. Lorsqu'ils sont réalisés par une entité juridique, ils sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers imposable de la personne morale établie en France dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement. () III.- En dehors des cas mentionnés au II, le I ne s'applique pas lorsque la personne morale établie en France démontre que les opérations de l'entreprise ou de l'entité juridique établie ou constituée hors de France ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié. / Cette condition est réputée remplie notamment lorsque l'entreprise ou l'entité juridique établie ou constituée hors de France a principalement une activité industrielle ou commerciale effective exercée sur le territoire de l'Etat de son établissement ou de son siège ".

3. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La SCA Rubis ne peut donc utilement soutenir que le tribunal a entaché sa décision d'erreur d'appréciation des faits et d'erreur de droit pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur l'inconstitutionnalité des dispositions précitées :

4. En vertu de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit, le conseil constitutionnel peut être saisi sur ordre du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ".

5. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 28-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant une juridiction relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté , présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de Cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige, à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

6. D'une part, par une ordonnance du 11 mai 2021, la présidente de la 2ème chambre de la Cour a déjà traité, sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, et refusé de transmettre, la question prioritaire de constitutionnalité, reprise présentement par la SCA Rubis, tirée de ce que, dans sa rédaction applicable au litige, l'article 209 B du code général des impôts instituerait une présomption irréfragable des transferts de bénéfices à l'étranger.

7. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (). Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé () ". La SCA Rubis n'a pas présenté dans un mémoire distinct le moyen tiré de ce qu'en prévoyant des règles fiscales différentes selon que les transferts suspectés de bénéfices auraient lieu vers les Etats membres de l'Union européenne et dans les pays tiers, l'article 209 B du code général des impôts porte atteinte au principe d'égalité garanti par les articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Ce moyen n'est, par suite, pas recevable et ne peut qu'être écarté.

Sur l'inconventionnalité des dispositions précitées :

8. Aux termes de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne, repris à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " () les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre () ". Aux termes du 1 de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne, repris à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " () toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres () sont interdites ". Ainsi il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'une législation nationale ayant vocation à s'appliquer aux seules participations permettant d'exercer une influence déterminante certaine sur les décisions d'une société et de déterminer les activités de celle-ci relève des stipulations du traité relatives à la liberté d'établissement. En revanche, des dispositions nationales qui trouvent à s'appliquer à des participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d'influer sur la gestion et le contrôle de l'entreprise doivent être examinées exclusivement au regard de la liberté de circulation des capitaux. En conséquence, pour apprécier si une législation relève de l'une ou l'autre de ces libertés, il y a lieu de prendre en compte l'objet de la législation en cause.

9. D'une part, l'article 209 B du code général des impôts a pour objet de dissuader les entreprises passibles de l'impôt sur les sociétés de localiser une partie de leurs bénéfices dans des sociétés établies dans des Etats ou territoires à fiscalité privilégiée au sens de l'article 238 A du code général des impôts, c'est-à-dire dans des Etats ou territoires où elles sont soit non imposables soit soumises à des impôts sur les bénéfices ou les revenus inférieurs de plus de la moitié à ceux pratiqués en France. A cet effet, il subordonne à l'impôt sur les sociétés en France les bénéfices réalisés hors de France, soit par une entreprise exploitée directement par une entreprise passible de cet impôt établie en France, soit par une entreprise détenue directement ou indirectement à plus de 50 % de ses actions, parts, droits financiers ou droits de vote, si l'entreprise à l'origine de ces produits bénéficie d'un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du même code. L'objet de cet article vise donc à assujettir à l'impôt en France les bénéfices dégagés par des entreprises, effectivement contrôlées par des sociétés françaises, mais établies dans des Etats à fiscalité privilégiée et non coopératifs. Il s'ensuit qu'il est susceptible, par les conditions qu'il institue, d'interférer principalement ou exclusivement avec le principe communautaire de liberté d'établissement dont les entreprises des pays tiers ne sauraient se prévaloir.

10. D'autre part, il résulte de l'instruction que la SCA Rubis détient, depuis 1997, la totalité du capital de la société Eccleston Co Ldt, filiale de la société requérante, domiciliée sur l'Île Maurice, et soumise comme telle à un régime d'imposition privilégié au sens de l'article 238 A de ce code, à savoir un taux d'imposition effectif de 3 %. La requérante fait valoir que cette société qu'elle contrôle, a obtenu le statut de Global Business Company Category 1 et gère, en qualité de holding au sens du droit mauricien, des filiales du groupe en Afrique. Il est constant que la holding a acquis le 31 mai 2011 les titres de la société Rubis Nicaragua, qu'elle a revendus à la fin de cette année, réalisant une plus-value exonérée de toute imposition en vertu du droit mauricien. Il s'ensuit qu'à travers la holding Eccleston Co Ltd, la SCA Rubis exerçait un contrôle déterminant sur les filiales de cette dernière et principalement sur leur établissement. Ainsi, dans les faits de l'espèce, la requérante ne saurait utilement se prévaloir d'une atteinte au principe communautaire de liberté de circulation des capitaux.

Sur le champ d'application des dispositions de l'article 209 B du code général des impôts :

11. Si la SCA Rubis soutient qu'en appliquant les dispositions en cause à des éléments isolés du bénéfice d'ensemble de la société Eccleson Co Ltd, à savoir des plus-values de cession de titres d'une filiale nicaraguayenne, le service a méconnu leur champ d'application, lequel vise à taxer l'ensemble des bénéfices réalisés au travers d'une entité étrangère en remplissant les conditions, il résulte de l'instruction que les impositions en cause ont été établies à raison d'opérations constituant un élément du bénéfice imposable d'ensemble de la filiale, sans qu'il soit établi ni même allégué que ce bénéfice n'aurait pas été correctement déterminé. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur la méconnaissance des dispositions du III de l'article 209 B du code général des impôts :

12. En premier lieu, la SCA Rubis soutient qu'en agissant auprès de ses sous-filiales dans les pays tiers grâce à la holding Eccleston Co Ltd, elle a eu en vue de leur fournir des prestations d'assistance à ses sous-filiales par une société géographiquement proche, situé dans un Etat offrant une stabilité politique, sociale et financière, des infrastructures développées, un personnel qualifié bilingue français-anglais, et un droit des affaires approprié. En outre, la société mauricienne en cause, qui n'exerce pas d'activité civile ou libérale, et relève de la législation locale relative aux sociétés dénommées " Global Business Company Category 1 ", est tenue de justifier, sur place, de deux administrateurs, d'un compte bancaire, de la tenue de ses opérations comptables, et d'un statut de résident fiscal à jour. Toutefois, parmi les filiales de la holding, dont le dossier fait état, seules celles ayant leur siège aux Comores et à Madagascar sont situées dans l'océan Indien, à la différence de celles établies au Sénégal, au Maroc, et, en 2011 et 2012, au Nicaragua. En se bornant à soutenir que son personnel, pour des raisons d'intérêt économique, exerce son activité au siège des filiales et sous leur contrôle, à fournir des contrats en langue étrangère et un contrat d'emploi d'un directeur général d'une filiale comorienne, traduit en français, au demeurant dépourvu de tout justificatif des fonctions exactes de l'intéressé eu égard à l'organisation interne de ladite filiale, et à faire valoir les diligences effectuées auprès de l'autorité locale de la concurrence de l'Etat de la filiale dont les titres ont été cédés, la SCA Rubis n'apporte pas d'éléments permettant de présumer la réalisation d'une activité commerciale effective exercée à l'Île Maurice, alors même que cette activité s'exercerait en direction de filiales étrangères, non plus qu'elle ne l'allègue. A cet égard, la requérante ne conteste pas ne pas avoir de personnel demeurant ou exerçant son activité à l'Île Maurice. Elle ne saurait en particulier se prévaloir du développement du télétravail, qui est consécutif à l'épidémie de la Covid et est postérieur aux exercices en litige. Au surplus, les recettes de la société Eccleston Co Ltd, au cours de deux des exercices en cause, s'élèvent à 6 401 287 euros en 2011, dont 80 % proviennent de la plus-value de cession des titres de sa filiale nicaraguayenne, et à 11 568 329 euros, en 2012, dont 85,7 % proviennent de l'autre partie de la plus-value de cession à court terme de cette filiale et de la plus-value à long terme de cession des titres de la filiale Vitogaz Sénégal. Ainsi, seules 15 à 20 % des recettes de la société Eccleston Co Ltd proviennent des dividendes de ses filiales au cours des années en litige. Elle a comme activité principale la réalisation de plus-values d'achat et de revente de sociétés, produits exonérés grâce à sa localisation dans l'Île Maurice. Dans ces conditions, la SCA Rubis, qui n'établit pas que les opérations réalisées par sa filiale mauricienne ont pour objet ou effet principal la localisation à l'Île Maurice d'un bénéfice résultant d'une activité ou de moyens déployés dans cet Etat ou depuis cet Etat, ne démontre pas relever de la clause de sauvegarde prévue au premier alinéa du III des dispositions précitées de l'article 209 B du code général des impôts.

13. En second lieu, la requérante se prévaut en vain, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des paragraphes 290 et 300 du

BOI-IS-base-60-10-40-20120912, qui, à supposer même qu'ils s'appliquent aux exercices litigieux, ne comportent pas une interprétation de la loi fiscale différant de celle qui a été faite en l'espèce par l'administration.

Sur la méconnaissance des stipulations de la convention fiscale

franco-mauricienne :

14. Aux termes de l'article 3.2 de la convention fiscale visée ci-dessus : " Pour l'application de la Convention par un Etat, toute expression qui n'y est pas définie a le sens que lui attribue le droit de cet Etat concernant les impôts auxquels s'applique la Convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente. ". Aux termes de l'article 10.6 de cette convention : " Le terme " dividendes " employé dans le présent article désigne les revenus provenant d'actions, actions ou bons de jouissance, parts de mine, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances, ainsi que les revenus d'autres parts sociales soumis au même régime fiscal que les revenus d'actions par la législation de l'Etat dont la société distributrice est un résident. ". Aux termes de l'article 22.1 de cette convention : " Les éléments du revenu d'un résident d'un Etat, d'où qu'ils proviennent, qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente Convention, ne sont imposables que dans cet Etat ".

15. Si la SCA Rubis soutient qu'en taxant à l'impôt sur les sociétés comme revenus de capitaux mobiliers les bénéfices dégagés par sa filiale mauricienne, la société Eccleson Co Ltd, imposables seulement à l'Île Maurice en application des stipulations de l'article 7 de la convention (" Bénéfices des entreprises "), le service a méconnu les stipulations de cette convention, il résulte de l'instruction que le service a regardé les bénéfices en cause, réalisés au cours des exercices 2011, 2012 et 2013, comme constituant, pour l'application des dispositions précitées de l'article 209 B du code général des impôts, en tant qu'ils avaient été soumis à l'Île Maurice à un impôt inférieur de plus de moitié à celui qui leur aurait été applicable s'ils avaient été réalisés en France, des revenus de capitaux mobiliers imposables de la société Rubis Energie, taxés au titre des exercices 2012, 2013 et 2014 entre les mains de la société requérante, société intégrante. Ainsi, les revenus taxés en cause, qui ne sont pas définis à l'article 3 de la convention franco-mauricienne, et doivent en conséquence recevoir l'acception que leur donne le droit fiscal français, relèvent des stipulations précitées de l'article 22.1 de la convention, lequel réserve leur imposition à l'Etat dont le redevable est un résident. Par suite, la SCA Rubis n'est pas fondée à soutenir que les impositions en litige méconnaissent les stipulations conventionnelles précitées.

Sur la méconnaissance de la procédure de répression des abus de droit :

16. Par l'article 209 B du code général des impôts, le législateur a entendu instaurer une présomption de délocalisation des bénéfices taxables dans des Etats à fiscalité privilégiée lorsque les conditions objectives, rappelées plus haut, étaient réunies, présomption qui peut être renversée par la société redressée sur ce fondement dans les conditions exposées ci-dessus. Dès lors que l'administration a, comme en l'espèce, rapporté les premiers éléments de preuve que ces conditions objectives de délocalisation des bénéfices étaient réunies, elle peut légalement rectifier, comme en l'espèce, le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés sur le fondement de cet article, sans qu'elle soit tenue de recourir à la procédure de répression des abus de droit à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de cette procédure dans la présente rectification ne peut qu'être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la SCA Rubis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a refusé de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contributions sociales et des contributions exceptionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014. Par suite, ses conclusions aux fins d'annulation et de décharge, et, en tout état de cause, celles présentées au titre des frais d'instance, doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SCA Rubis est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société en commandite par actions (SCA) Rubis et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée pour information à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI).

Délibéré après l'audience du 23 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Carrère, président,

M. Soyez, président assesseur,

Mme Lorin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 7 juillet 2023.

Le président assesseur,

J.-E. SOYEZLe président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C