Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1056 QPC du 7 juillet 2023

07/07/2023

Conformité - réserve

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 12 mai 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 710 du 11 mai 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Abdelhalim R. par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1056 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des huitième et neuvième alinéas de l’article 181 du code de procédure pénale et de l’article 343 du même code.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code de procédure pénale ;

– l’ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 modifiant et complétant le code de procédure pénale, prise sur le fondement de l’ancien article 92 de la Constitution ;

– la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ;

– l’arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 2011 (chambre criminelle, n° 10-90.126) ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations en intervention présentées pour l’association des avocats pénalistes par la SCP Spinosi, enregistrées le 29 mai 2023 ;

– les observations présentées pour le requérant par Mes Antoine Ory et Bruno Gendrin, avocats au barreau de Paris, enregistrées le 31 mai 2023 ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

– les secondes observations présentées pour le requérant par Mes Ory et Gendrin, enregistrées le 12 juin 2023 ;

– les secondes observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 13 juin 2023 ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Ory, pour le requérant, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association intervenante, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 27 juin 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des huitième et neuvième alinéas de l’article 181 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021 mentionnée ci-dessus et de l’article 343 du même code dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 23 décembre 1958 mentionnée ci-dessus.

2. Les huitième et neuvième alinéas de l’article 181 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021, prévoient :« L’accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d’assises est immédiatement remis en liberté s’il n’a pas comparu devant celle-ci à l’expiration d’un délai d’un an à compter soit de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive s’il était alors détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire.

« Toutefois, si l’audience sur le fond ne peut débuter avant l’expiration de ce délai, la chambre de l’instruction peut, à titre exceptionnel, par une décision rendue conformément à l’article 144 et mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire, ordonner la prolongation de la détention provisoire pour une nouvelle durée de six mois. La comparution de l’accusé est de droit si lui-même ou son avocat en font la demande. Cette prolongation peut être renouvelée une fois dans les mêmes formes. Si l’accusé n’a pas comparu devant la cour d’assises à l’issue de cette nouvelle prolongation, il est immédiatement remis en liberté ».

 

3. L’article 343 du même code, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 23 décembre 1958, relatif aux débats devant la cour d’assises, prévoit :« En tout état de cause la cour peut ordonner d’office, ou à la requête du ministère public ou de l’une des parties, le renvoi de l’affaire à la prochaine session ».

 

4. Le requérant, rejoint par la partie intervenante, reproche d’abord à ces dispositions, dans le cas où la cour ordonne le renvoi de l’affaire à une prochaine session d’assises, de permettre que l’accusé soit maintenu en détention provisoire sans prévoir une durée maximale à cette détention ni un contrôle systématique du juge. Elles méconnaîtraient ainsi la liberté individuelle.

5. Il fait également valoir que ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les accusés détenus qui n’ont pas encore comparu devant la cour d’assises, pour lesquels la durée de la détention provisoire est strictement encadrée, et ceux qui ont déjà comparu mais dont l’audience a été renvoyée à une prochaine session, pour lesquels la durée de la détention est seulement soumise à l’exigence d’une durée raisonnable. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

6. Pour les mêmes motifs, ces dispositions seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes exigences constitutionnelles.

7. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « s’il n’a pas comparu devant celle-ci » figurant au huitième alinéa de l’article 181 du code de procédure pénale.

8. Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.

9. Il résulte de l’article 181 du code de procédure pénale que, lorsque la personne mise en accusation est placée en détention provisoire, le mandat de dépôt décerné à son encontre conserve sa force exécutoire, de sorte qu’elle reste détenue jusqu’à son jugement par la cour d’assises, sous réserve que, en application des dispositions contestées, elle comparaisse dans un délai déterminé.

10. Lorsque, au cours des débats, le renvoi de l’affaire est ordonné par la cour en application de l’article 343 du code de procédure pénale, la détention provisoire de l’accusé peut se poursuivre jusqu’au jugement, sans que les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne prévoient de durée maximale à cette détention. En outre, il n’existe pas d’obligation d’un réexamen périodique du bien-fondé de la détention par un juge.

11. Cependant, en premier lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu’il appartient à la cour, lorsqu’elle ordonne le renvoi de l’affaire, de se prononcer sur le maintien en détention provisoire de l’accusé. Elle doit alors s’assurer que les conditions prévues à l’article 144 du code de procédure pénale demeurent réunies et que la durée de sa détention ne dépasse pas la limite du raisonnable.

12. En second lieu, en application de l’article 148-1 du code de procédure pénale, l’accusé placé en détention provisoire peut à tout moment former une demande de mise en liberté.

13. Toutefois, la liberté individuelle ne saurait être tenue pour sauvegardée si l’autorité judiciaire ne contrôlait pas, à cette occasion, la durée de la détention. Ce contrôle exige que l’autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention excède un délai raisonnable.

14. Dès lors, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution doit être écarté.

15. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent, sous la même réserve, être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – Sous la réserve énoncée au paragraphe 13, les mots « s’il n’a pas comparu devant celle-ci » figurant au huitième alinéa de l’article 181 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, sont conformes à la Constitution.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 juillet 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 7 juillet 2023.

 

Abstracts

4.18.4.7.3

Procédure en matière de détention provisoire

Il résulte de l’article 181 du code de procédure pénale que, lorsque la personne mise en accusation est placée en détention provisoire, le mandat de dépôt décerné à son encontre conserve sa force exécutoire, de sorte qu’elle reste détenue jusqu’à son jugement par la cour d’assises, sous réserve que, en application des dispositions contestées, elle comparaisse dans un délai déterminé. Lorsque, au cours des débats, le renvoi de l’affaire est ordonné par la cour en application de l’article 343 du code de procédure pénale, la détention provisoire de l’accusé peut se poursuivre jusqu’au jugement, sans que les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne prévoient de durée maximale à cette détention. En outre, il n’existe pas d’obligation d’un réexamen périodique du bien-fondé de la détention par un juge. Cependant, en premier lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu’il appartient à la cour, lorsqu’elle ordonne le renvoi de l’affaire, de se prononcer sur le maintien en détention provisoire de l’accusé. Elle doit alors s’assurer que les conditions prévues à l’article 144 du code de procédure pénale demeurent réunies et que la durée de sa détention ne dépasse pas la limite du raisonnable. En second lieu, en application de l’article 148-1 du code de procédure pénale, l’accusé placé en détention provisoire peut à tout moment former une demande de mise en liberté. Toutefois, la liberté individuelle ne saurait être tenue pour sauvegardée si l’autorité judiciaire ne contrôlait pas, à cette occasion, la durée de la détention. Ce contrôle exige que l’autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention excède un délai raisonnable. Dès lors, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution doit être écarté.

2023-1056 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 9 10 11 12 13 14

4.23.10.1

Contrôle de la rigueur nécessaire des actes de procédure pénale

Il résulte de l’article 181 du code de procédure pénale que, lorsque la personne mise en accusation est placée en détention provisoire, le mandat de dépôt décerné à son encontre conserve sa force exécutoire, de sorte qu’elle reste détenue jusqu’à son jugement par la cour d’assises, sous réserve que, en application des dispositions contestées, elle comparaisse dans un délai déterminé. Lorsque, au cours des débats, le renvoi de l’affaire est ordonné par la cour en application de l’article 343 du code de procédure pénale, la détention provisoire de l’accusé peut se poursuivre jusqu’au jugement, sans que les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne prévoient de durée maximale à cette détention. En outre, il n’existe pas d’obligation d’un réexamen périodique du bien-fondé de la détention par un juge. Cependant, en premier lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu’il appartient à la cour, lorsqu’elle ordonne le renvoi de l’affaire, de se prononcer sur le maintien en détention provisoire de l’accusé. Elle doit alors s’assurer que les conditions prévues à l’article 144 du code de procédure pénale demeurent réunies et que la durée de sa détention ne dépasse pas la limite du raisonnable. En second lieu, en application de l’article 148-1 du code de procédure pénale, l’accusé placé en détention provisoire peut à tout moment former une demande de mise en liberté. Toutefois, la liberté individuelle ne saurait être tenue pour sauvegardée si l’autorité judiciaire ne contrôlait pas, à cette occasion, la durée de la détention. Ce contrôle exige que l’autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention excède un délai raisonnable. Dès lors, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution doit être écarté.

2023-1056 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 9 10 11 12 13 14

11.6.3.5.1

Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que les dispositions renvoyées.

2023-1056 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 7

11.6.3.5.2

Détermination de la version de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La rédaction de la disposition renvoyée n'ayant pas été déterminée, le Conseil constitutionnel y procède en déterminant la rédaction applicable au litige.

2023-1056 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 1

11.6.3.5.3

Examen des dispositions telles qu'interprétées par une jurisprudence constante

Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu’il appartient à la cour d'assises, lorsqu’elle ordonne le renvoi de l’affaire, de se prononcer sur le maintien en détention provisoire de l’accusé. Elle doit alors s’assurer que les conditions prévues à l’article 144 du code de procédure pénale demeurent réunies et que la durée de sa détention ne dépasse pas la limite du raisonnable.

2023-1056 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 11

16.22.1.30

Article 181

La liberté individuelle ne saurait être tenue pour sauvegardée si l’autorité judiciaire ne contrôlait pas la durée de la détention lorsque l’accusé placé en détention provisoire forme une demande de mise en liberté, comme il lui est loisible de le faire à tout moment en application de l’article 148-1 du code de procédure pénale. Ce contrôle exige que l’autorité judiciaire fasse droit à la demande de mise en liberté lorsque la durée totale de la détention excède un délai raisonnable.

2023-1056 QPC, 7 juillet 2023, paragr. 13