Tribunal administratif de Melun

Ordonnance du 5 juillet 2023 n° 2007503

05/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 septembre 2020 et 2 février 2022, la société Iffen Certification, représentée par Me Seno, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 16 juillet 2020 par laquelle le préfet de la région

d'Ile-de-France, préfet de Paris a annulé l'enregistrement de la déclaration d'activité de l'organisme de formation Iffen Certification, lui a fait obligation : de verser au Trésor public la somme de 191 281,17 euros au titre de l'inexécution d'actions de formation au titre de l'année 2015 ; de verser solidairement avec Madame A B et Monsieur C, la somme de 191 281,17 euros au motif de l'utilisation intentionnelle de documents comportant des mentions inexactes de nature à obtenir indûment le paiement du prix de prestations de formation professionnelle ; de verser solidairement avec ces mêmes personnes au Trésor public la somme de 384 704,95 euros au titre de dépenses non justifiées ou dont le caractère rattachable ou encore le bien-fondé ne sont pas démontrés, en ce qui concerne les années 2015 et 2016.

2°) d'enjoindre au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris de procéder au réexamen de sa situation administrative au titre des exercices clos en 2015 et 2016, dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2022, le préfet de la région

d'Ile-de-France, préfet de Paris, conclut au rejet de la requête.

Par un mémoire distinct, enregistré le 27 juin 2023, la société Iffen Certification demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 6362-7-2 du code du travail.

La société Iffen Certification soutient que :

- ces dispositions sont applicables au litige dès lors que la décision attaquée a mis solidairement à sa charge avec deux personnes physiques la somme totale

de 575 986,12 euros sur leur fondement ;

- elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- les questions posées présentent un caractère sérieux : les dispositions

de l'article L. 6362-7-2 du code du travail méconnaissent les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines, garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, à l'égard de l'organisme de formation concerné dès lors qu'elles prévoient l'infliction automatique d'une sanction administrative sans que puissent être prises en compte les circonstances propres à chaque espèce et sans qu'existe une possibilité de modulation en fonction de la gravité du comportement incriminé, le fait que le juge puisse constater l'absence d'un manquement ne permettant pas de garantir que cette sanction soit proportionnée à la faute reprochée ; ces dispositions méconnaissent les mêmes principes à l'égard des dirigeants dès lors que la solidarité qu'elles prévoient n'est pas facultative, qu'elle revêt une finalité dissuasive et répressive en sorte qu'elle a le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et qu'elle joue indépendamment de tout comportement fautif personnel et de toute intentionnalité.

En application de l'article R. 771-5 du code de justice administrative, ce mémoire distinct n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code pénal ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. La société Iffen Certification demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 6362-7-2 du code du travail, aux termes desquelles : " Tout employeur ou organisme chargé de réaliser tout ou partie des actions mentionnées à l'article L. 6313-1 qui établit ou utilise intentionnellement des documents de nature à obtenir indûment le versement d'une aide, le paiement ou la prise en charge de tout ou partie du prix des prestations de formation professionnelle est tenu, par décision de l'autorité administrative, solidairement avec ses dirigeants de fait ou de droit, de verser au Trésor public une somme égale aux montants indûment reçus ".

3. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

4. En premier lieu, la sanction instaurée par les dispositions de l'article L. 6362-7-2 du code du travail réprime l'établissement ou l'utilisation intentionnelle de documents de nature à obtenir indûment le versement d'une aide en ce domaine. En instituant une sanction d'un montant correspondant aux sommes indûment reçues par le moyen de tels documents, le législateur a instauré une sanction dont la nature présente un lien avec celle du manquement réprimé et dont le montant n'est pas manifestement disproportionné. Il suit de là que les dispositions critiquées ne sont pas contraires aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines.

5. En deuxième lieu, d'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 6362-7-2 du code du travail que le montant de la sanction qu'elles établissent est fonction de l'importance des sommes qui ont été imputées sur l'obligation en matière de formation ou reçues du fait de l'établissement ou de l'usage frauduleux de documents à cette fin. D'autre part, la décision de sanction doit être prise en tenant compte des observations de l'intéressé et celui-ci peut en saisir le juge, lequel peut, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, annuler la décision prononçant la sanction dans la mesure où son montant ne serait pas proportionné aux sommes indûment reçues du fait du comportement réprimé. Ainsi, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

du 26 août 1789.

6. En dernier lieu, les dispositions précitées de l'article L. 6362-7-2 du code du travail prévoient que les dirigeants de fait ou de droit de l'employeur ou de l'organisme chargé de réaliser tout ou partie des actions mentionnées à l'article L. 6313-1 du code de ce code visé par la sanction sont solidairement tenus au paiement de la pénalité. La solidarité est fondée sur les fonctions exercées par les dirigeants au moment du fait générateur de la sanction. Elle constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public. Conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité, le dirigeant qui s'est acquitté du paiement de la pénalité dispose d'une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires. Ainsi, cette solidarité ne revêt pas le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Il s'ensuit que la société requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance du principe, résultant de cet article, selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Iffen Certification relative aux dispositions de l'article L. 6362-7-2 du code du travail est dépourvue de caractère sérieux et que, par suite, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Iffen Certification.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Iffen Certification et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Copie en sera transmise au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris.

Fait à Melun, le 5 juillet 2023.

Le président de la 1ère chambre

T. Gallaud

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière