Conseil d'Etat

Ordonnance du 4 juillet 2023 n° 475122

04/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les procédures suivantes :

Mme B C, agissant en son nom personnel et au nom de sa fille mineure D A a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de respecter les conditions matérielles d'accueil dont bénéficie sa fille mineure et de lui verser sans délai à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, l'allocation de demandeur d'asile (ADA) dont sa fille doit bénéficier, en lui délivrant la carte de paiement prévue à l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Par une ordonnance n° 2312709 du 1er juin 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au directeur général de l'OFII de prendre toute mesure pour que soit attribué un hébergement pour demandeurs d'asile à Mme C et son enfant mineur dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette ordonnance ainsi que de lui verser l'allocation de demandeur d'asile à laquelle a droit sa fille D A, en lui délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette ordonnance et rejeté le surplus des conclusions de la demande. Par une ordonnance n° 2313894 du 15 juin 2023, après avoir constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions portant sur l'attribution d'un hébergement pour demandeurs d'asile à Mme C, a assorti l'injonction de délivrance d'une carte ADA prononcée par sa précédente ordonnance d'une astreinte de 150 euros par jour de retard.

I. Sous le n° 475122, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 juin et 29 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFII demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler l'ordonnance du 1er juin 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris, en tant qu'elle lui a enjoint de verser à Mme C l'allocation pour demandeur d'asile allouée à sa fille, D A, en lui délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue à l'article D. 553-18 du CESEDA, dans un délai de quarante-huit heures.

Il soutient que :

- le versement de l'allocation pour demandeur d'asile sur la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA ne peut être effectué qu'en utilisant un système d'information relatif à l'identité des demandeurs, qui ne permet d'enregistrer que les demandeurs d'asile majeurs, de sorte qu'il se heurte à une impossibilité technique d'exécuter l'ordonnance contestée lui enjoignant de délivrer cette carte à la requérante, non référencée elle-même dans le logiciel faute d'être ou d'avoir été demandeurs d'asile, pour qu'elle puisse percevoir l'allocation en cause au nom de sa fille mineure ;

- il est possible de faire usage de la faculté ouverte par l'article D. 553-18 du CESEDA de déroger au principe du versement de l'allocation pour demandeur d'asile au moyen de la carte de retrait ou de paiement en procédant à ce versement par virement bancaire, sans que la nécessité pour les requérants d'ouvrir un compte bancaire y fasse obstacle dès lors que, d'une part, les vérifications d'identité requises pour ce faire sont identiques à celles effectuées pour la délivrance de la carte et, d'autre part, l'ouverture d'un compte bancaire est facilité par l'accord conclu entre l'OFII et la Banque Postale et par l'accompagnement des structures de premier accueil des demandeurs d'asiles ;

- Mme C n'allègue pas ne pas disposer de compte bancaire ni être dans l'impossibilité d'en ouvrir un.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2023, Mme C conclut, en premier lieu, au rejet de la requête, en deuxième lieu, à ce qu'il soit enjoint au directeur de l'OFII de respecter les conditions matérielles d'accueil dont bénéficie sa fille, D A, et de lui verser l'allocation pour demandeur d'asile allouée à sa fille en lui délivrant la carte de paiement prévue à l'article D. 553-18 du CESEDA, en résolvant, par tout moyen, la difficulté technique l'empêchant de percevoir au nom de sa fille cette allocation, dans un délai de quarante-huit heures, et sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, en dernier lieu, à ce que soit mis à la charge de l'OFII le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 27 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C demande au Conseil d'Etat de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions de l'article L. 553-1 du CESEDA méconnaissent les droits et libertés que la Constitution garantit. Elle soutient que ces dispositions, qui sont applicables au litige, portent atteinte au droit d'asile garanti par l'alinéa 4 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, à l'intérêt supérieur de l'enfant garanti par les alinéas 11 et 12 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et qu'elles méconnaissent l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de ce même texte.

Par un mémoire distinct, enregistré le 29 juin 2023, l'OFII conclut à ce que le juge des référés ne renvoie pas la question prioritaire de constitutionnalité soulevée au Conseil constitutionnel. Il soutient que les dispositions contestées ne sont pas applicables au litige.

La requête a été communiquée à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui n'ont pas produit de mémoire.

II. Sous le n° 475165, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 et 29 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFII demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'annuler l'ordonnance du 15 juin 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris en tant qu'elle lui enjoint de verser à Mme C l'allocation pour demandeur d'asile allouée à sa fille, D A, en lui délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA dans un délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Il soulève les mêmes moyens que ceux présentés à l'appui de la requête n° 475122.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2023, Mme C conclut, d'une part, au rejet de la requête et, d'autre part, à ce que soit mis à la charge de l'OFII le versement de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution et son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'OFII, et d'autre part, Mme C ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 29 juin 2023, à 15 heures :

- Me Poupet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'OFII ;

- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme C ;

- le représentant de Mme C ;

- Mme C ;

A l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

Sur la jonction :

1. Les requêtes visées ci-dessus, présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du même code par des mesures qui présentent un caractère provisoire le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

3. Aux termes de l'article L. 551-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, comprennent les prestations et l'allocation prévues aux chapitres II et III ". Aux termes de son article L. 553-1 : " Le demandeur d'asile qui a accepté les conditions matérielles d'accueil proposées en application de l'article L. 551-9 bénéficie d'une allocation pour demandeur d'asile s'il satisfait à des conditions d'âge et de ressources. Le versement de cette allocation est ordonné par l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". Aux termes de son article L. 553-2 : " Un décret définit le barème de l'allocation pour demandeur d'asile, en prenant en compte les ressources de l'intéressé, son mode d'hébergement et, le cas échéant, les prestations offertes par son lieu d'hébergement. Ce barème prend en compte le nombre d'adultes et d'enfants composant la famille du demandeur d'asile et accompagnant celui-ci. Ce décret précise, en outre, les modalités de versement de l'allocation pour demandeur d'asile. Il peut prévoir une adaptation du montant de l'allocation pour demandeur d'asile et de ses modalités d'attribution, de calcul et de versement pour tenir compte de la situation particulière des départements et collectivités d'outre-mer ". Aux termes de son article D. 553-18 : " L'allocation pour demandeur d'asile est versée mensuellement sur la base de la transmission prévue à l'article D. 553-21, à terme échu, par alimentation d'une carte de retrait ou de paiement. De manière transitoire ou par dérogation, notamment dans les départements d'outre-mer, l'allocation peut être versée par virement sur un compte bancaire du bénéficiaire ". Aux termes de son article D. 553-19 : " L'agence de services et de paiement est chargée, pour le compte de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de verser l'allocation aux bénéficiaires dont l'éligibilité a été déterminée préalablement par l'office ". Enfin, aux termes de l'article D. 553-20 du même code : " L'Office français de l'immigration et de l'intégration communique, mensuellement, à l'agence de services et de paiement / 1° La liste nominative des personnes bénéficiaires de l'allocation / 2° Les éléments propres à identifier les allocataires : sexe, nom, prénom, date de naissance, adresse associée au dossier le cas échéant, ainsi que les numéros de dossier attribués aux allocataires dans le traitement automatisé de l'office ayant pour objet d'assurer la gestion et le pilotage du dispositif des centres d'accueil des demandeurs d'asile et dans l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France / 3° Le montant de l'allocation à verser et le numéro de carte de retrait ou de paiement ou, le cas échéant les coordonnées bancaires des allocataires ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en défense par Mme C :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. L'article 23 de cette ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ".

5. Il résulte de la combinaison des dispositions organiques citées au point 10 avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 de ce même code. Si le juge des référés ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel. Même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère.

6. A l'appui de son mémoire en défense, Mme C soulève une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article L. 553-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) citées au point 3. Elle soutient que ces dispositions, en tant qu'elles font obstacle à la délivrance aux parents d'un enfant mineur demandeur d'asile de la carte de paiement prévue par l'article D. 553-18 du même code en vue du versement de l'allocation pour demandeur d'asile, dès lors que les parents de l'enfant n'ont pas eux-mêmes déposé une demande d'asile, portent atteinte au droit d'asile garanti par l'alinéa 4 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, à l'intérêt supérieur de l'enfant garanti par les alinéas 11 et 12 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et méconnaissent l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de ce même texte.

7. Toutefois, il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, que les enfants mineurs demandeurs d'asile bénéficient, au même titre que les personnes majeures et sous les mêmes conditions de revenus, de l'allocation instituée à l'article L. 553-1 du CESEDA. La circonstance que, dans l'hypothèse où les parents de l'enfant n'ont pas eux-mêmes déposé une demande tendant à l'obtention de l'asile, cette allocation leur est versée en leur qualité de représentants légaux de l'enfant par virement sur un compte bancaire ouvert à leur nom pour des motifs liés à la lutte contre la fraude et le blanchiment d'argent n'est pas de nature à caractériser une méconnaissance des droits ou libertés garantis par la Constitution que Mme C invoque.

8. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme C, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les requêtes en référé :

9. Si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile, compte tenu notamment de l'âge du demandeur d'asile, de son état de santé et de sa situation familiale. Dans cette hypothèse, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier au regard de la situation du demandeur d'asile et en tenant compte des moyens dont l'administration dispose et des diligences qu'elle a déjà accomplies.

10. Il résulte de l'instruction que Mme C, de nationalité ivoirienne, a déposé une demande d'asile, enregistrée le 6 mars 2023, pour le compte de sa fille mineure, D A, née le 2 novembre 2013 à Mahapleu (Côte d'Ivoire). Mme C a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de respecter les conditions matérielles d'accueil dont sa fille bénéficie et de leur attribuer un hébergement ainsi que de verser l'allocation pour demandeur d'asile allouée à sa fille en lui délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA, sans délai, et sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par deux ordonnances des 1er et 15 juin 2023, le juge des référés de première instance a, d'une part, enjoint à l'OFII de verser à Mme C l'allocation pour demandeur d'asile allouée à sa fille, D A, en lui délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue à l'article D. 553-18 du CESEDA dans un délai de quarante-huit heures et, d'autre part, par sa seconde ordonnance, assorti cette injonction d'une astreinte de 150 euros par jour de retard. L'OFII relève appel, d'une part, de l'ordonnance du 1er juin 2023 en tant seulement que le juge des référés du tribunal administratif de Paris lui a enjoint de délivrer à Mme C la carte de retrait ou de paiement permettant de bénéficier de l'aide pour demandeur d'asile et, d'autre part, de l'ordonnance du 15 juin 2023 en tant que le juge de première instance a assorti cette injonction d'une astreinte de 150 euros par jour de retard.

11. L'OFII fait valoir qu'il est dans l'impossibilité technique de verser l'allocation sur une telle carte dans le cas, comme en l'espèce, d'une demande d'asile présentée au nom d'un enfant mineur dont les représentants légaux n'ont jamais été demandeurs d'asile. Il soutient qu'il y a lieu, dans cette hypothèse très particulière, de recourir à la dérogation prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA en procédant au versement de l'allocation par virement sur un compte bancaire ouvert au nom de Mme C ou qu'elle doit ouvrir. L'OFII relève que cette modalité de versement n'est, en tout état de cause, pas moins favorable pour les intéressés dès lors que la carte prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA n'est en l'état actuel qu'une carte de paiement et non de retrait. L'OFII précise encore qu'il a conclu depuis 2019 une convention tripartite avec La Poste et la Banque Postale pour faciliter les ouvertures de compte des demandeurs d'asile, ce qui a conduit cet établissement bancaire à mettre en place 360 bureaux référents, et que dans le cadre de leur mission d'accompagnement des demandeurs d'asile dans les démarches d'accès au droit, les structures de premier accueil et les centres d'hébergement peuvent apporter une aide aux demandeurs d'asile dans leurs démarches en vue de l'ouverture d'un compte bancaire.

12. D'une part, il résulte des explications fournies par l'OFII que, notamment pour des motifs de sécurité liés à la lutte contre la fraude, le système d'information lui permettant d'attribuer à un demandeur d'asile la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA est alimenté par les données relatives à l'identité du demandeur enregistrées par le ministère de l'intérieur lors du dépôt de la demande de son propre système informatique et que, du fait de la configuration actuelle de celui-ci, l'attribution d'une telle carte implique qu'un demandeur d'asile majeur soit référencé dans le logiciel, qu'il soit actuellement ou ait précédemment été demandeur d'asile, ce qui n'est pas le cas de la mère de la jeune D A.

13. D'autre part, Mme C, qui indique ne pas détenir de passeport et ne disposer que d'un extrait d'acte de naissance établi dans son pays d'origine, fournit un courrier de l'intervenant social qui l'a accompagnée dans sa démarche, attestant de ce qu'elle n'a pas été en mesure d'ouvrir un livret A en l'absence de pièces d'identité officielles et originales. Il résulte effectivement de l'instruction qui s'est poursuivie à l'audience que les règles du droit bancaire imposent, pour l'ouverture d'un compte bancaire ou d'un livret A, lequel peut être assorti de la mise à disposition d'une carte de retrait, la présentation de pièces d'identité en original. Ces exigences s'appliquent également au demeurant à l'établissement de monnaie électronique qui est en charge de la gestion des " cartes ADA " mises à disposition des bénéficiaires de l'allocation pour demandeurs d'asile. Toutefois, dans ce dernier cas, l'attestation de demande d'asile délivrée par les autorités françaises permet d'attester de l'identité du demandeur d'asile. En revanche, les parents majeurs d'un enfant mineur, seul demandeur d'asile, doivent, pour leur part, justifier de pièces justifiant de leur identité par un document officiel et en cours de validité. La délivrance de ces documents peut avoir lieu en France par le consulat ou l'ambassade du pays d'origine. La circonstance que Mme C, mère de la jeune D A, a déposé pour son compte une demande d'asile fondée sur un risque d'excision en cas de retour dans son pays, ne la place pas, de ce seul fait, dans l'impossibilité de s'adresser pour elle-même, qui n'est pas demandeuse d'asile, à l'ambassade ou au consulat de son pays d'origine pour solliciter la délivrance des pièces d'identité nécessaires à l'ouverture d'un compte bancaire. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme C aurait accompli une quelconque diligence en ce sens auprès de l'ambassade de Côte d'Ivoire ou d'un consulat de cet Etat en France. Il résulte enfin de l'instruction, d'une part, que l'OFII a demandé au gestionnaire du centre d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile de Gargenville où Mme C et sa fille sont hébergées d'accompagner l'intéressée dans ses demandes de renouvellement de passeport et, d'autre part, que dans l'attente de l'aboutissement de leurs démarches, des bons et denrées alimentaires leur ont été distribués.

14. Dans les circonstances très particulières de l'espèce et en l'état de l'instruction, il n'apparaît pas que le comportement de l'administration serait de nature à révéler, eu égard aux diligences déjà accomplies, une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile. Il résulte de ce qui précède que l'OFII est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que, par les ordonnances attaquées, le juge des référés du tribunal administratif de Paris lui a, d'une part, enjoint de délivrer à Mme C la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA en vue du versement de l'allocation pour demandeur d'asile allouée à la fille mineure et, d'autre part, assorti cette injonction d'une astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de sa première ordonnance. Il y a seulement lieu d'enjoindre à l'OFII d'assurer le versement des sommes dues au titre de l'allocation pour demandeurs d'asile de la jeune D A par l'intermédiaire de sa mère sur un compte bancaire ouvert à son nom et dans cette attente d'accompagner Mme C à très bref délai dans les démarches destinées à l'obtention des papiers d'identité nécessaires à cette ouverture de compte. Il y a lieu, par conséquent, de réformer l'ordonnance du 1er juin 2013 dans le sens de ce qui précède et d'annuler l'ordonnance du 15 juin 2023 en tant qu'elle assortit d'une astreinte l'injonction précédemment prononcée par le juge des référés de première instance.

Sur les frais du litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'OFII, qui n'est pas la partie perdante, le versement des sommes que Mme C demande à ce titre.

O R D O N N E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme C.

Article 2 : Il est enjoint à l'OFII de verser à Mme C l'allocation pour demandeur d'asile allouée au nom de sa fille mineure et d'assurer, à très bref délai, l'accompagnement destiné à faciliter l'ouverture du compte destiné à assurer ce versement.

Article 3 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 1er juin 2023 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 4 : L'article 2 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 15 juin 2023 est annulé.

Article 5 : Les conclusions présentées par Mme C au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi qu'à Mme B C.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre ainsi qu'au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Paris, le 4 juillet 2023

Signé : Benoît Bohnert

Code publication

C