Cour d'Appel de Lyon

Arrêt du 4 juillet 2023 n° 22/00423

04/07/2023

Non renvoi

AFFAIRE

 

PROTECTION SOCIALE

 

DOUBLE RAPPORTEUR

 

N° RG 22/00423 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OB4E

 

POLE EMPLOI

 

C/

 

[R]

 

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

 

Pole social du TJ de SAINT-ETIENNE

 

du 07 Juillet 2020

 

RG : 19/00846

 

COUR D'APPEL DE LYON

 

CHAMBRE SOCIALE D (PS)

 

ARRET DU 04 Juillet 2023

 

APPELANT :

 

POLE EMPLOI

 

[Adresse 1]

 

[Localité 4]

 

représenté par Me Aymen DJEBARI de la SELARL LEVY ROCHE SARDA, avocat au barreau de LYON substituée par Me Bérengère BIER, avocat au barreau de LYON

 

INTIME :

 

[D] [R]

 

[Adresse 2]

 

[Localité 3]

 

représenté par Me Jules teddy FRANCISOT, avocat au barreau de MONTPELLIER

 

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 23 Mai 2023

 

Présidée par Nathalie PALLE, présidente de chambre et Françoise CARRIER, conseiller honoraire, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistées pendant les débats de Malika CHINOUNE, greffier

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

 

- Nathalie PALLE, présidente de chambre

 

- Vincent CASTELLI, conseiller

 

- Françoise CARRIER, conseiller honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

 

ARRET : CONTRADICTOIRE

 

rendu publiquement le 04 Juillet 2023 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

 

Signé par Nathalie PALLE, présidente, et par Malika CHINOUNE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 

* * * *

 

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

 

Le 17 décembre 2019, M. [R] a formé opposition devant le tribunal de grande instance, devenu le tribunal judiciaire de Saint-Etienne, à une contrainte décernée par Pôle emploi Auvergne Rhône-Alpes, le 24 octobre 2019 et signifiée le 2 décembre 2019, d'un montant total de 25'192,77 euros correspondant à la révision de sa situation du 1er octobre 2016 au 31 janvier 2019.

 

Par jugement du 7 juillet 2020, le tribunal a :

 

' déclaré recevable l'opposition,

 

' annulé la contrainte,

 

' condamné Pôle emploi à payer à M. [R] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

 

' a dit que chacune des parties conserve la charge de ses dépens.

 

Le 22 juillet 2020, Pôle emploi a relevé appel de ce jugement.

 

Les parties ont été convoquées à l'audience du 25 janvier 2022.

 

En cours d'instance, le 3 décembre 2021, M. [R] a déposé un mémoire distinct présentant une question prioritaire de constitutionnalité aux termes de laquelle il demande à la cour d'appel de transmettre au Conseil constitutionnel la question libellée comme suit:

 

Les dispositions des articles L. 5426-8-2 du code du travail sont-elles conformes à la Constitution et au bloc de constitutionnalité dès lors qu'elles sont susceptibles de priver les justiciables d'un droit au procès équitable au sens de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 '

 

Par observations écrites adressées à la cour le 10 novembre 2021, Pôle emploi Auvergne Rhône-Alpes a demandé à la cour de dire n'y avoir lieu de transmettre à la Cour de cassation la question posée. Il en conteste le caractère sérieux, rappelant que l'article L. 5426-8-2 du code du travail a été créé par la loi de finances n°2011-1977 du 28 décembre 2011 modifiée par la loi de finances n°2016-1918 du 29 décembre 2016, lequelles ont toutes les  deux  été soumises à  un  contrôle constitutionnalité préalablement leur promulgation

 

(décision n°2011-644 DC du 28 décembre 2011) le Conseil constitutionnel, après avoir censuré certaines de leurs dispositions, ayant considéré qu'il n'y avait lieu de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution.

 

Il ajoute que les critiques formulées ne visent qu'à remettre en cause les prérogatives de puissance publique dont est doté Pôle emploi, en qualité d'établissement public chargé d'une mission de service public et gérant des fonds publics.

 

Il souligne que le pouvoir de contrainte dont dispose Pôle emploi est encadré par des dispositions législatives et réglementaires assurant des garanties procédurales égales. En effet, en vertu de l'article R. 5426-20 du code du travail, la contrainte ne peut être délivrée que si le débiteur a été préalablement mis en demeure de régler les sommes dues et la contrainte n'est pas incontestable dès lors que l'opposition devant la juridiction judiciaire est admise, de sorte que l'article L. 5426-8-2 du code du travail garanti aux intéressés un droit de recours effectif devant une juridiction judiciaire.

 

Par mention au dossier du 1er février 2022 la cour a ordonné la réouverture des débats à l'audience collégiale du 28 mars 2023 à 13h30 afin de recueillir l'avis du ministère public sur la question prioritaire de constitutionnalité dont l'examen est préalable.

 

Par des observations écrites du 29 août 2022, notifiées aux parties par le greffe le lendemain, Madame la Procureure générale près la cour d'appel de Lyon conclut à la non transmission de la question, la condition préalable du caractère sérieux de la question n'étant pas remplie.

 

Elle souligne que si le conseil constitutionnel a reconnu un droit au procès équitable sur le fondement de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen comprenant notamment le droit au recours, consacré comme une garantie essentielle des droits de la défense, résultant de l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, pour autant, il n'apparaît pas que l'article L. 5426-8-2 du code du travail contrevienne à ce droit garanti par la Constitution, d'une part, compte tenu de la nature de l'organisme chargé de délivrer cette contrainte, d'autre part au regard du recours pouvant être exercé par le débiteur contre la contrainte.

 

Ainsi, d'une part, en vertu de l'article L. 5312-1 du code du travail, Pôle emploi est une institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière qui a pour mission d'assurer pour le compte de l'organisme gestionnaire du régime d'assurance-chômage, le service de l'allocation d'assurance et, pour le compte de l'État, le service des allocations de solidarité. Remplissant une fonction à caractère exclusivement sociale, fondée sur le principe de solidarité et dépourvue de tout but lucratif, les organismes de protection sociale agissent au titre d'une mission de service public.

 

Pôle emploi bénéficie à cet égard du monopole de remboursement des allocations, aide au retour à l'emploi, ainsi que de toute prestation indûment versée, pouvoir conférer par le législateur pour des raisons d'intérêt général.

 

D'autre part, les articles R. 5426-18 et suivants du code du travail, issue du décret du 18 septembre 2012, relatif à la répétition des prestations indues versées par Pôle emploi, précisent le régime de la contrainte prévue par l'article L.5426-8-2 du code du travail.

 

Pôle emploi peut, pour obtenir le remboursement d'allocations, aides ou autres prestations indûment versées pour son propre compte, pour le compte de l'État ou des employeurs, délivrer au débiteur, après mise en demeure, une contrainte, qui à défaut d'opposition de celui-ci devant la juridiction compétente comporte tous les effets d'un jugement.

 

Premièrement, la mise en demeure peut faire l'objet d'un recours gracieux.

 

Deuxièmement, la contrainte est notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception ou signifiée par acte d'huissier et mentionne à peine de nullité le montant et la nature des sommes réclamées, le délai dans lequel l'opposition doit être formée, l'adresse du tribunal compétent et les formes requises pour sa saisine, conformément à l'article R.5426-2. La décision rendue sur opposition est susceptible de voies de recours. Troisièmement, d'après l'avis rendu par le Conseil d'État, le 26 octobre 2013, il résulte de l'ensemble des articles précités que les contraintes délivrées par Pôle emploi ne constituent pas en elles-mêmes des actes de poursuite et n'ont un effet exécutoire qu'à l'expiration du délai d'opposition ou en cas d'opposition si celle-ci est rejetée.

 

Enfin, la Cour de cassation s'est prononcée quant à la constitutionnalité des dispositions autorisant le directeur d'une URSSAF organisme de sécurité sociale à délivrer une contrainte pour le recouvrement des cotisations (2e Civ., 20 septembre 2012, n°12-40.055).

 

Par conséquent, l'exercice par Pôle emploi de la faculté de délivrer des contraintes ne prive pas le débiteur d'un recours effectif du droit à un procès équitable. Dès lors, il ne peut être sérieusement soutenu que l'article L. 5426-8-2 du code du travail viole les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789.

 

Le 17 novembre 2022, M. [R] a déposé un second mémoire distinct présentant une question prioritaire de constitutionnalité aux termes de laquelle il demande à la cour d'appel de transmettre à la Cour de cassation la question libellée comme suit :

 

«Les dispositions des articles L. 5426-8-2 du code du travail sont-elles conformes à la Constitution et au bloc de constitutionnalité dès lors qu'elles sont susceptibles de priver les justiciables d'un droit au procès équitable au sens de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 '

 

Les dispositions des articles L. 5426-8-2 du code du travail sont-elles conformes à la Constitution et au bloc de constitutionnalité dès lors qu'en renvoyant au pouvoir réglementaire des éléments fondamentaux du droit au procès équitable, tels que l'organisation des conditions de publicité, d'indépendance, d'impartialité et d'égalité des armes, du contradictoire, du droit à la défense, le droit au recours effectif, dans la production d'une décision comportant tous les effets d'un jugement et bénéficiant de l'hypothèque judiciaire, le législateur n'a pas épuisé l'étendue de ses compétences au sens de l'article 34 de la constitution de 1958 '»

 

Par des observations écrites du 3 mai 2023 , notifiées aux parties par le greffe le lendemain, Madame la Procureure générale près la cour d'appel de Lyon conclut à la non transmission de la question, la condition préalable du caractère sérieux de la question n'étant pas remplie pour trois raisons.

 

D'une part, la procédure de délivrance d'une contrainte par le directeur de Pôle emploi ne saurait être assimilée à un procès. En effet la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation a considéré, s'agissant des décisions des organismes de sécurité sociale ordonnant le reversement de prestations sociales indûment perçues, que les stipulations de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au droit à un procès équitable ne sont pas applicables aux décisions purement administratives prises par les services des organismes de sécurité sociale et de leurs commissions de recours amiable (2e Civ., 4 mai 2017, n°16-15.948). De même, dans un avis du 25 novembre 2013, n°369051, le Conseil d'Etat, a rappelé que la contrainte ne constitue pas en elle-même un acte de poursuite. Trois éléments successifs sont nécessaires pour conférer à la contrainte les effets d'un jugement et le bénéfice de l'hypothèque judiciaire: la mise en demeure préalable, la contrainte et le défaut d'opposition par le débiteur. En conséquence la contrainte est une décision purement administrative ayant pour but de rendre le paiement exécutoire dans l'hypothèse de prestation indûment versée qui n'est pas un procès et n'est dès lors pas soumis aux règles du procès équitable.

 

D'autre part, l'opposition à la contrainte ou l'exercice des voies de recours permettent la saisine des juridictions civiles devant lesquelles s'exercent les règles du procès équitable, fixées par voie réglementaire s'agissant du code de procédure civile. Les dispositions du code de procédure civile, applicables en matière sociale ou prud'homale conformément à l'article 749 du code de procédure civile, sont de nature réglementaire contrairement aux règles de procédure pénale (Crim. 19 janvier 1982, n°80-94.321). Ainsi, l'ensemble des principes directeurs du procès civil énoncé aux articles 1 à 24 du code de procédure civile, concernant la preuve, la contradiction, la défense et les débats, sont énoncées par voie réglementaire. En effet par un arrêt du 3 décembre 1969, le Conseil d'État a considéré que la représentation obligatoire des parties par ministère d'avoué devant le tribunal de grande instance ne constitue pas une des garanties fondamentales pour l'exercice des libertés publiques visées par l'article 34 de la Constitution et qu'il appartient au pouvoir réglementaire de fixer les règles de procédure autre que celle de la procédure pénale (CE, 3 décembre 1969, n°74936).

 

Enfin, le Conseil constitutionnel a jugé que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la constitution garantit (DC 2010-5 QPC 2010-5 et DC 2012-254 QPC, 18 juin 2012, cons.6). Par suite, le seul grief tiré de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le législateur ne peut être retenu, à défaut de méconnaissance d'un droit ou liberté que la Constitution garantit . Dès lors il ne peut être sérieusement soutenu que que l'article L. 5426-8-2 du code du travail viole les dispositions de l'article 34 de la Constitution.

 

MOTIVATION

 

Il convient d'ordonner la jonction des procédures 22/00423 et 23/02630 sous le seul numéro 22/00423.

 

Etant présenté par un écrit motivé et distinct de ses conclusions, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, soutenu par l'intimé, est recevable.

 

L'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que la juridiction transmet sans délai et dans la limite de deux mois la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

L'article L. 5426-8-2 du code du travail, dans sa rédaction modifiée par la loi de finances n°2016-1918 du 29 décembre 2016, est applicable au litige qui est afférent à la contestation de la régularité et au bien fondé d'une contrainte décernée par Pôle emploi et il n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

S'agissant de l'examen du caractère sérieux de chacune des deux questions, la cour retient :

 

- d'une part, que la disposition critiquée qui permet à Pôle emploi, établissement public chargé d'une mission de service public et gérant des fonds publics, de décerner une contrainte pour le recouvrement d'allocations, aides ainsi que toutes autres prestations indûment versées, pour son propre compte, pour le compte de l'organisme chargé de la gestion du régime d'assurance chômage, pour le compte de l'Etat ou des employeurs, elle ne prive pas celui auquel est notifié la contrainte d'un recours effectif et du droit à un procès équitable, qui implique l'égalité de traitement des parties au procès, dès lors que la contrainte doit être précédée d'une mise en demeure de payer et qu'elle ne produit tous les effets d'un jugement qu'après que les voies de recours ouvertes au débiteur, à tous les stades de la procédure, pour contester le montant des créances qu'elles contiennent, ont été épuisées ou que la contrainte a été validée par le juge,

 

- d'autre part, alors que la notification par le directeur général de Pôle emploi d'une contrainte pour le recouvrement d'allocations, aides ou toutes autres prestations indûment versées, n'est pas une sanction à caractère de punition, les règles et principes de valeur constitutionnelle n'imposent pas, par eux-même, à la décision exécutoire délivrée par une autorité administrative de faire l'objet d'une procédure contradictoire préalable, soumise aux règles du procès équitable, et qu'il revient au pouvoir réglementaire de fixer les règles de procédure autre que celle de la procédure pénale sans que le législateur ne méconnaisse sa compétence.

 

Il s'ensuit que les questions n'ont, dès lors, pas de caractère sérieux et il n'y a pas lieu de les transmettre à la Cour de cassation.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour,

 

Statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,

 

ORDONNE  la  jonction  des  procédures RG n° 22/00423 et 23/02630 sous le seul numéro

 

RG n°22/00423.

 

REJETTE la demande de transmission à la Cour de cassation des deux questions prioritaires de constitutionnalité.

 

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE