Tribunal administratif de Rouen

Ordonnance du 3 juillet 2023 n° 2204549

03/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire enregistré le 13 juin 2023, M. A Comtesse, représenté par Mes Croix et Langlais, demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête enregistrée le 9 novembre 2022, tendant à l'annulation de la décision n° 1206/2022 du préfet de la Région Normandie du 23 juin 2022 prononçant à son égard le paiement d'une amende administrative de 1500 euros, l'attribution de 6 points de pénalité en qualité d'armateur du navire " An Daouzeg Abostol " immatriculé DP 561 949, l'attribution de 6 points de pénalité en qualité de capitaine du navire " An Daouzeg Abostol " immatriculé DP 561 949, la suspension de la licence de pêche européenne du même navire pour une durée de 7 jours du 12 décembre 2022 au 18 décembre 2022 inclus et la publication de cette décision pour une durée de 30 jours auprès des représentants de la profession, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux articles 4 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 tels qu'interprétés par le Conseil constitutionnel en combinaison avec l'article 34 de la Constitution, ainsi qu'à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, de l'article L. 946-1 2° du code rural et de la pêche maritime en ce qu'elles instituent, à titre de sanction administrative, la possibilité d'ordonner " la suspension ou le retrait de toute licence ou autorisation de pêche ou titre permettant l'exercice du commandement d'un navire délivré en application de la réglementation ou du permis de mise en exploitation " sans aucune limite de durée.

Il soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent la nécessité pour le législateur de déterminer le quantum des sanctions administratives encourues au risque de voir son incompétence négative censurée par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, l'article L. 946-1-2° porte atteinte à la liberté d'entreprendre en méconnaissance de l'article 4 de la Constitution dès lors que l'abstention du législateur à prévoir la durée des mesures de suspension des licences de pêches indispensables à toute activité des navires de pêche porte atteinte à cette liberté fondamentale, aucune autre disposition législative ne précise la durée maximale de la mesure de suspension ou de retrait des licences et autorisations de pêche détenues par l'armateur pour l'exploitation du navire.

Le mémoire relatif à la question prioritaire de constitutionnalité a été communiqué au préfet de la région Normandie qui n'a pas produit.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1.Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".

2.Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

3.L'article L. 946-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que : " Indépendamment des sanctions pénales qui peuvent être prononcées et sous réserve de l'article L. 946-2, les manquements à la réglementation prévue par les dispositions du présent livre, les règlements de l'Union européenne pris au titre de la politique commune de la pêche et les textes pris pour leur application, y compris les manquements aux obligations déclaratives et de surveillance par satellite qu'ils prévoient, et par les engagements internationaux de la France peuvent donner lieu à l'application par l'autorité administrative d'une ou plusieurs des sanctions suivantes ()2° La suspension ou le retrait de toute licence ou autorisation de pêche ou titre permettant l'exercice du commandement d'un navire délivré en application de la réglementation ou du permis de mise en exploitation ;() ".

4.Ces dispositions sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

5.M. Comtesse demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux articles 4 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 tels qu'interprétés par le Conseil constitutionnel en combinaison avec l'article 34 de la Constitution, ainsi qu'à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, de l'article L. 946-1 2° du code rural et de la pêche maritime en ce qu'il institue, à titre de sanction administrative, la possibilité d'ordonner " la suspension ou le retrait de toute licence ou autorisation de pêche ou titre permettant l'exercice du commandement d'un navire délivré en application de la réglementation ou du permis de mise en exploitation " sans aucune limite de durée.

6.La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

7.En premier lieu, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de cet objectif est dépourvu de caractère sérieux.

8.En second lieu, d'une part, le principe de légalité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789, s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition. D'autre part, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, résultant de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

9.Il résulte des principes énoncés au point précédent que le moyen tiré de ce que les dispositions du 2° de l'article L. 946-1, en tant qu'elles prévoient que l'autorité administrative peut, pour les manquements auxquels elles renvoient, prononcer la suspension ou le retrait de toute licence ou autorisation de pêche ou titre permettant l'exercice du commandement d'un navire délivré en application de la réglementation ou du permis de mise en exploitation, sans préciser la durée de la sanction, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe de légalité des peines qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et à la liberté d'entreprendre résultant de l'article 4 de la même Déclaration, pose une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. Comtesse.

O R D O N N E :

Article 1er : Il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A Comtesse.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A Comtesse et au préfet de la Région Normandie.

Fait à Rouen, le 3 juillet 2023.

La présidente de la 4ème chambre

Signé : C. BOYER

La République mande et ordonne au préfet de la Région Normandie en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.