Cour d'Appel de Montpellier

Arrêt du 29 juin 2023 n° 23/01317

29/06/2023

Non renvoi

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

 

2e chambre civile

 

ARRÊT DU 29/06/2023

 

REFUS DE TRANSMISSION DE LA

 

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

N° RG 23/01317 - N° Portalis DBVK-V-B7H-PX5I

 

N° Minute :

 

Demandeur à la question prioritaire de constitutionnalité:

 

Monsieur [S] [K]

 

né le [Date naissance 1] 1958 à Decine Charpieu (69150)

 

[Adresse 4]

 

Représenté par Me SLATKIN substituant Me Marina BLANC de la SAS SLATKIN BLANC AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES

 

Défendeurs à la question prioritaire de constitutionnalité:

 

Monsieur [U] [K]

 

né le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 8] ([Localité 3])

 

[Adresse 5]

 

Représenté par Me Sylvain DONNEVE de la SCP DONNEVE - GIL, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES

 

SARL [K] ET SES FILS, SARL au capital de 41 600,00 €, immatriculée au RCS de [Localité 7] sous le n° 310 756 259 dont le siège social est [Adresse 6]), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

 

[Adresse 6]

 

Représentée par Me Sylvain DONNEVE de la SCP DONNEVE - GIL, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES

 

Vu l'avis du ministère public en date du 20/03/23;

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 MAI 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Virginie HERMENT, Conseiller, chargée du rapport.

 

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Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

 

Myriam GREGORI, Conseiller, faisant fonction de Président

 

Nelly CARLIER, Conseiller

 

Virginie HERMENT, Conseiller

 

Greffier lors des débats : Mme Laurence SENDRA

 

ARRET :

 

- Contradictoire ;

 

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

 

- signé par Virgine HERMENT, Conseiller, pour le Président empêché et par Salvatore SAMBITO, Greffier.

 

EXPOSE DU LITIGE

 

Exposant qu'il était associé au sein de la société [K] et ses fils, ayant une activité d'étanchéité, de maçonnerie, de plomberie et de zinguerie, dans laquelle il possédait 780 parts sur 2600, et qu'étant privé de dividendes du fait d'un changement de mode de gestion, il justifiait d'un juste motif pour solliciter son retrait, M. [S] [K] a, par actes en date du 25 juillet 2022, fait assigner en référé la société [K] et ses fils ainsi que M. [U] [K] devant le président du tribunal de commerce de Perpignan, afin qu'il dise et juge que sa demande de retrait constituait un juste motif, qu'il ordonne son retrait pour juste motif et qu'il nomme un expert pour que soit déterminée la valeur de ses droits sociaux d'associé et que soit fixée la valeur de son compte courant d'associé.

 

Aux termes d'une ordonnance rendue le 9 janvier 2023, le président du tribunal de commerce de Perpignan a déclaré l'assignation du 28 juillet 2022 recevable, a mis hors de cause M. [U] [K], a débouté M. [S] [K] de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société [K] et ses fils de sa demande de provision à valoir sur la réparation de son préjudice et a condamné M. [S] [K] à lui verser la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

 

Par déclaration en date du 13 janvier 2023, M. [S] [K] a relevé appel de cette ordonnance en ce qu'elle avait mis hors de cause M. [U] [K], l'avait débouté de l'ensemble de ses demandes et l'avait condamné à verser une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

 

Le 9 mars 2023, M. [S] [K] a, par RPVA, déposé une requête, aux termes de laquelle il était demandé à la cour de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité relative à la constitutionnalité des articles

 

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1869 du code civil et L. 231-6 du code de commerce, en ce qu'ils privent implicitement un associé d'une société commerciale de son droit de retrait de la société.

 

Aux termes de son mémoire communiqué le 9 mai 2023 par voie électronique, M. [S] [K] demande à la cour de:

 

- prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'absence de droit de retrait d'un associé d'une société commerciale, résultant implicitement des articles 1869 du code civil et L. 231-6 du code de commerce, en violation des articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,

 

- constater que la question soulevée est applicable au litige,

 

- constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n'a pas été déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques,

 

- constater que la question soulevée présente un caractère sérieux,

 

- transmettre à la Cour de Cassation sans délai la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.

 

Il explique que depuis la loi n°78-9 du 4 janvier 1978, portant sur la modification du titre IX du livre III du code civil, il n'existe plus de droit pour un associé d'une société commerciale de se retirer volontairement d'une société commerciale, puisque l'article 1869 du code civil qui prévoit le droit de retrait d'une société d'un associé est limité aux sociétés civiles.

 

Il en déduit que dès lors, un associé d'une société commerciale ne peut agir en justice afin de se retirer d'une société pour juste motif, sauf si les statuts prévoient les modalités du retrait.

 

Il explique que les dispositions limitant l'accès à un tribunal aux associés d'une société commerciale sont contraires à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme portant sur le droit d'accès à un tribunal dans un but légitime.

 

De plus, il fait valoir que la réforme du code civil opérée par la loi du 4 janvier 1978 prive un associé d'une société commerciale de son droit de disposer de sa propriété.

 

De surcroît, il soutient que les conditions de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité sont remplies, dès lors que la disposition contestée est applicable au litige, qu'elle n'a pas fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel la déclarant conforme à la Constitution et que le caractère sérieux de la question est caractérisé, l'absence de droit de retrait dans une société commerciale affectant ses droits fondamentaux.

 

Il précise que le débat ne porte que sur le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité et fait valoir qu'il ne peut être soutenu, comme le fait le Procureur général, que dès lors que la constitution serait rédigée en termes généraux, il ne pourrait y avoir lieu à appliquer ses principes, sauf à conclure qu'elle serait dépourvue de valeur juridique.

 

Du reste, il explique que la question n'est pas de savoir s'il est propriétaire ou non de ses parts, mais de déterminer si la loi empêchant un associé d'une société commerciale d'exiger son retrait volontaire de la société, porte atteinte à son droit

 

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de disposer de ses parts. Il souligne que le Conseil constitutionnel a reconnu le droit d'aliéner une propriété comme étant un droit fondamental du droit de propriété.

 

Il rappelle également qu'avant la réforme du droit des sociétés dans le code civil, les associés des sociétés commerciales bénéficiaient du droit de retrait et qu'à la date de constitution de la société [K] et ses fils, en 1977, il ne pouvait connaître les dispositions de la loi du 4 janvier 1978.

 

Au surplus, il fait valoir que rien ne justifie que les sociétés civiles permettent le retrait d'un associé mais qu'un tel droit ne soit pas reconnu pour les sociétés commerciales.

 

Enfin, il précise que la liberté contractuelle d'un associé de renoncer à son droit fondamental d'aliéner ses parts en acceptant de devenir associé d'une société commerciale, se heurte à une incompatibilité avec la loi qui interdit les clauses d'inaliénabilité, au motif que ces clauses sont contraires au droit fondamental de disposer de ses biens.

 

Aux termes d'un mémoire communiqué le 3 avril 2023 par voie électronique, la société [K] et ses fils et M. [U] [K] demandent à la cour de :

 

- constater l'absence de sérieux de la question soulevée par M. [S] [K],

 

- rejeter la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [S] [K],

 

- condamner M. [S] [K] à verser à la société [K] et ses fils une amende civile de 10 000 euros pour procédure abusive,

 

- condamner M. [S] [K] à verser à la société [K] et ses fils la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

 

Ils soutiennent que la question est dépourvue de tout caractère sérieux. Ils précisent qu'en effet, les sociétés civiles et commerciales ont toujours bénéficié de régimes juridiques distincts, ce qui se justifie par la nature différente de leurs activités.

 

En outre, ils expliquent que la SARL est une société commerciale dont la cession des parts sociales est totalement libre, lorsqu'elle est réalisée entre associés, et nécessite seulement l'agrément de la majorité des associés, lorsqu'elle est consentie à un tiers. Ils indiquent qu'en cas de défaut d'agrément par la majorité, les associés pourront être contraints d'acheter les parts, conformément aux dispositions des articles L 223-14 et suivants du code de commerce.

 

Ils en déduisent que dans le cadre d'une société commerciale telle que la SARL, il n'est pas nécessaire d'obtenir une décision de justice autorisant un retrait judiciaire de l'associé pour justes motifs, puisque sa liberté de céder ses parts est déjà acquise, étant donné que l'agrément unanime des associés n'est pas nécessaire pour une cession de parts d'une société commerciale, contrairement à celle d'une société civile, et que par conséquent, aucun droit patrimonial n'est en péril.

 

Ils indiquent que de surcroît, il est offert aux associés d'une SARL la possibilité d'insérer dans ses statuts une clause spécifique organisant le retrait d'un associé.

 

Enfin, ils soulignent que le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe de liberté contractuelle découlant de l'article 4 de la Déclaration et que demander judiciairement le rachat forcé des parts reviendrait à contrevenir gravement à ce principe constitutionnel.

 

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La présente affaire a été communiquée au procureur général près la cour d'appel de Montpellier, qui a le 17 mars 2023, rendu un avis aux termes duquel il considère que la cour doit rejeter la demande de transmission, au motif que la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [S] [K] est dépourvue de caractère sérieux, faisant valoir que l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, relatif à la séparation des pouvoirs, ne peut être valablement invoqué et que le droit de propriété du requérant n'est pas remis en cause.

 

MOTIFS DE LA DECISION

 

En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

 

Selon l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office.

 

Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.

 

L'article 126-2 du code de procédure civile énonce également qu'à peine d'irrecevabilité, la partie qui soutient qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présente ce moyen dans un écrit distinct et motivé.

 

En l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité soutenue par M. [S] [K] l'a été dans un écrit motivé et distinct des conclusions au fond prises dans le cadre de la procédure d'appel formée à l'encontre de l'ordonnance rendue le 9 janvier 2023 par le président du tribunal de commerce de Perpignan et concerne deux dispositions législatives, l'article 1869 du code civil et l'article L. 231-6 du code de commerce, dont il est prétendu qu'ils seraient contraires aux articles 2, 16 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

 

La demande formée par M. [S] [K] est par conséquent recevable.

 

L'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, créé par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009, dispose que la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutonnalité à la Cour de cassation et qu'il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies:

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

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2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

L'applicabilité au litige impose que le contrôle de constitutionnalité exercé sur la disposition contestée soit de nature à modifier l'issue du litige. Elle suppose donc que l'abrogation de la disposition ou une réserve d'interprétation la concernant soient susceptibles de produire un effet sur le litige pour lequel elle est invoquée.

 

En l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité soutenue par M. [S] [K] concerne deux dispositions législatives, l'article 1869 du code civil et l'article L. 231-6 du code de commerce.

 

L'article 1869 du code civil, qui figure au chapitre II du code civil 'De la société civile', à sa section 7 'retrait d'un associé', ne s'applique pas aux sociétés commerciales.

 

L'article L. 231-6, alinéa 1er du code de commerce n'est applicable qu'aux sociétés commerciales à capital variable.

 

Dès lors, la cour ne peut que constater que les dispositions critiquées ne sont pas applicables au litige.

 

Dans ces conditions, les dispositions dont la constitutionnalité est contestée n'étant pas applicables au litige, il n'y a lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. [S] [K]. La demande de ce dernier en ce sens ne peut qu'être rejetée.

 

Sur la demande pour procédure abusive

 

L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à une dette de dommages-intérêts qu'en cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol.

 

Ces éléments ne sont pas établis en l'espèce.

 

La société [K] et ses fils sera donc déboutée de sa demande tendant à la condamnation de M. [S] [K] à une amende civile.

 

Sur les frais irrépétibles et les dépens

 

M. [S] [K] qui succombe en sa demande sera condamné aux dépens, outre le paiement à la société [K] et ses fils d'une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera enfin débouté de sa demande à ce titre.

 

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PAR CES MOTIFS

 

LA COUR

 

Statuant publiquement et contradictoirement, par décision susceptible du seul recours prévu par l'article 126-7 du code de procédure civile,

 

Dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. [S] [K] dans le cadre de la procédure d'appel de l'ordonnance rendue le 9 janvier 2023 par le président du tribunal de commerce de Perpignan,

 

Rejette en conséquence cette demande de transmission à la Cour de cassation,

 

Déboute la société [K] et ses fils de sa demande tendant à la condamnation de M. [S] [K] à une amende civile,

 

Condamne M. [S] [K] à payer à la société [K] et ses fils une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

 

Condamne M. [S] [K] aux dépens.

 

Le greffier Le président

 

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