Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 27 juin 2023 n° 21/02067

27/06/2023

Non renvoi

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

 

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

COUR D'APPEL DE PARIS

 

Pôle 4 - Chambre 4

 

ARRET DU 27 JUIN 2023

 

(n° , 5 pages)

 

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02067 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDBDK

 

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Décembre 2020 -Juge des contentieux de la protection de Villejuif - RG n° 1119002606

 

APPELANTE

 

Madame [X] [W]

 

[Adresse 2]

 

[Localité 5]

 

Représentée par Me Victor BILLEBAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1209

 

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/000671 du 25/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

 

INTIMEE

 

S.A. IMMOBILIERE 3F

 

[Adresse 3]

 

[Localité 4]

 

Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

 

Assistée par Me Camille CHEVALLIER de la SELARL Jeanine HALIMI, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, toque : 397

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mars 2023, en audience publique, double rapporteur, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Michel CHALACHIN, président de chambre, et de Mme Marie MONGIN, Conseillère, chargée du rapport.

 

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

 

Michel CHALACHIN, président

 

Anne-Laure MEANO, président

 

Marie MONGIN, conseiller

 

Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE

 

ARRET :

 

- contradictoire

 

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

 

- signé par Michel CHALACHIN, Président de chambre et par Gisèle MBOLLO, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

 

EXPOSÉ DU LITIGE

 

Par acte sous seing privé en date du 16 octobre 1990, il a été donné en location à Mme [X] [W] un logement à usage d'habitation sis [Adresse 2] à [Localité 5] (Val de Marne).

 

L'immeuble au sein duquel se trouve ce logement est inclus dans un projet de renouvellement urbain prévoyant sa démolition dans le cadre d'une opération menée par l'agence nationale pour la rénovation urbaine ( ci-après ANRU). La bailleresse, la société Immobilière 3F, en application de l'article L. 442-6 II du code de la construction et de l'habitation, a formulé trois propositions de relogement à Mme [W] et à sa fille [G], propositions qui n'ont pas été acceptées.

 

Considérant Mme [W] comme occupante sans droit ni titre de ce logement, la société bailleresse a saisi le juge des contentieux de la protection près le tribunal de proximité de Villejuif lequel, par jugement rendu le 1er décembre 2020, a :

 

-Dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme [X] [W] concernant les dispositions de l'article L.442-6 II du code de la construction et de l'habitation ;

 

- Constaté que Mme [W] est déchue de tout titre d'occupation du local portant le numéro 192 situé [Adresse 2] à [Localité 5] depuis le 6 octobre 2019 ;

 

- Ordonné la libération des locaux loués et la remise des clefs des locaux par Mme [W] ;

 

- Dit qu'à défaut pour Mme [W] d'avoir volontairement quitté le logement, il sera procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son fait, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier si besoin est, et au transport des meubles laissés dans les lieux aux frais de l'expulsé dans tel garde-meuble désigné par ce dernier ou à défaut par le bailleur conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

 

- Ordonné la suppression du délai de deux mois prévu par l'article L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

 

- Fixé l'indemnité mensuelle d'occupation au montant des loyers et charges qui auraient été dus en cas de non-résiliation du bail, augmentée des charges dûment justifiées, révisable selon les conditions prévues au bail ;

 

- Condamné Mme [W] à payer à la SA d'HLM Immobilière 3F cette somme à compter du 6 octobre 2019 et jusqu'à la libération effective des locaux dans les mêmes conditions et à la même date que le loyer prévu au contrat de bail ;

 

- Débouté la SA d'HLM Immobilière 3F de sa demande en dommages et intérêts ;

 

- Débouté Mme [W] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

 

- Condamné Mme [W] à payer à la SA d'HLM Immobilière 3F la somme de 350 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

 

- Condamné Mme [W] aux entiers dépens lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.

 

- Ordonné l'exécution provisoire de sa décision.

 

Par déclaration reçue au greffe le 30 janvier 2021, Mme [W] a interjeté appel de cette décision et, dans ses conclusions notifiées par la voie électronique le 30 avril 2021, elle demande à la cour de :

 

- Infirmer le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection le 1er décembre

 

2020 ;

 

Statuant à nouveau sur la question prioritaire de constitutionnalité

 

- Transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « L'article L. 442-6, II du code de la construction et de l'habitation est-il conforme aux droits et

 

libertés constitutionnellement garantis, notamment au droit au maintien de l'économie des conventions et des contrats et à la liberté contractuelle découlant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ' »

 

- Surseoir à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été

 

saisi, du Conseil constitutionnel.

 

Statuant à nouveau au fond

 

- Constater le vice de forme affectant la décision du Préfet du Val-de-Marne prenant en considération le projet de démolition d'Immobilière 3 F ;

 

- Constater l'absence de prise en compte par Immobilière 3 F des besoins personnels de Mme [W] ;

 

En conséquence ;

 

- Juger le congé donné par Immobilière 3 F inopposable à Mme [W] ;

 

- Condamner Immobilière 3 F aux dépens ;

 

- Condamner Immobilière 3 F à verser à Maître Victor Billebault la somme de deux mille (2 000) euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

 

Dans ses dernières conclusions notifiées le 27 février 2023, la société Immobilière 3 F demande à la cour de :

 

A titre principal :

 

- Déclarer sans objet l'appel interjeté par Mme [X] [W], et ce eu égard au fait que la reprise des lieux a été réalisée en date du 16 décembre 2020 selon procès-verbal de reprise des lieux manifestement abandonnés et produit au débat ;

 

A titre subsidiaire :

 

- Rejeter purement et simplement toute les demandes, fins et conclusions de Mme [W].

 

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge des contentieux de la proximité du tribunal de Villejuif le 1er décembre 2020,

 

A titre reconventionnel :

 

- Condamner Mme [W] au versement de la somme de 10 000 euros en raison de la procédure abusive diligentée à l'encontre de la société Immobilière 3F sur le fondement de l'article 559 du code de procédure civile.

 

- Condamner Mme [X] [W] au versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Jacques Bellichach, Avocat aux offres de droit.

 

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 février 2023.

 

SUR CE,

 

Considérant qu'il doit être relevé en premier lieu que, contrairement à ce que soutient la société intimée, l'appel ne saurait être déclaré sans objet au motif que le jugement entrepris aurait été exécuté du fait de l'expulsion de Mme [W] le 16 décembre 2020 ;

 

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

 

Considérant que Mme [W] a demandé au juge des contentieux de la protection de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

 

« L'article L. 442-6, II du code de la construction et de l'habitation est-il conforme aux droits et libertés constitutionnellement garantis, notamment au droit au maintien de l'économie des conventions et des contrats et à la liberté contractuelle découlant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ' » ;

 

Considérant que le premier juge a, à bon droit, jugé recevable la question prioritaire de constitutionnalité formulée dans un écrit distinct et considéré que l'article L.442-6 du code de la construction et de l'habitation était applicable au litige opposant la société Immobilière 3F à Mme [W] ;

 

Considérant s'agissant de la déclaration de conformité de la disposition en cause par le conseil constitutionnel et du changement de circonstance invoqué par l'appelante que, comme le relève le jugement entrepris, le conseil constitutionnel a déclaré conforme à la constitution, dans sa décision du 18 mars 2009, les modifications apportées au texte susvisé par la loi n°2009-323 du 25 mars 2009 ;

 

Que si ce texte a ultérieurement été modifié par l'article 88 de la loi n°2017-86 du 27 janvier 2017, afin d'en élargir le champ d'application, en ajoutant les conventions mentionnées à l'article 10-3 de la loi du 1er août 2003 à celles mentionnées à l'article 10 de ladite loi, cet élargissement n'est pas de nature à modifier le fond des dispositions contestées et, partant, à caractériser une modification des circonstances de droit ;

 

Que, s'agissant de la modification des circonstances de fait, comme l'a estimé le juge des contentieux de la protection, les affirmations de l'appelante concernant une telle modification de ces circonstances sont bien trop générales et imprécises pour caractériser une circonstance nouvelle au sens de l'article 23-2, 2° de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

 

Considérant de surcroît qu'il doit être relevé que la question posée est dépourvue de caractère sérieux, dès lors que n'est pas démontrée l'atteinte à la liberté contractuelle et à l'économie des conventions que l'appelante déduit de l'obligation pour le bailleur de proposer trois autres logements et de la conséquence du refus de ces propositions par la fin du bail et l'expulsion ;

 

Qu'en effet, la rénovation urbaine invoquée pour motiver la démolition de l'immeuble occupé par l'appelante est justifiée par ce qui est considéré comme l'intérêt général et la proposition de trois logements de remplacement est encadrée par la loi en ce que le texte en cause fait référence aux dispositions de l'article 13bis de la loi du 1er septembre 1948, soit la correspondance aux besoins personnels, familiaux, éventuellement professionnels, ainsi que les possibilités du locataire concerné et la proximité géographique ;

 

Que le respect de ces conditions n'est pas, comme le soutient l'appelante, soumis à la seule appréciation du bailleur mais fait l'objet d'un contrôle juridictionnel ;

 

Considérant en conséquence que le jugement sera confirmé en ce qu'il a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité demandée par Mme [W] ;

 

Sur le fond

 

Considérant s'agissant de l'erreur matérielle affectant la date du courrier du préfet du Val de Marne par lequel il informe la société Immobilière 3F de sa prise en considération du projet de démolition de 200 logements sociaux parmi lesquels ceux situés au [Adresse 1] à [Localité 5], à la date du 30 décembre 2016, que, comme l'a relevé le jugement entrepris, cette erreur de plume est dépourvue de conséquence pour l'appelante ;

 

Considérant quant aux logements de remplacement proposés à Mme [W] que celle-ci considère que le premier juge n'a pas pris en considération la nécessité où elle se trouvait de se rapprocher de [Localité 6] où se trouvent les médecins qui la soignent ;

 

Que cependant deux des logements proposés étaient situés sur la commune de [Localité 7], commune plus proche de [Localité 6] que [Localité 5] et traversée par une ligne de métro permettant de rejoindre facilement la capitale ;

 

Qu'en toute hypothèse, les trois logements proposés étaient dans une commune limitrophe de [Localité 5] et à moins de 5 kilomètres de l'ancien logement de l'appelante ;

 

Considérant que c'est à juste titre que le premier juge a constaté que le bail était résilié depuis le 6 octobre 2019, a ordonné l'expulsion de l'appelante et l'a condamnée à verser une indemnité d'occupation ;

 

Considérant s'agissant de la demande formulée par la bailleresse tendant à obtenir des dommages-intérêts pour procédure abusive que le caractère abusif de la présente procédure n'est pas démontré et le jugement sera également confirmé de ce chef par substitution de motifs ;

 

Considérant quant aux mesures accessoires que Mme [W] sera condamnée aux dépens d'appel, ni la situation économique des parties ni l'équité ne justifiant l'application de l'article 700 du code de procédure civile ou celle de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

 

PAR CES MOTIFS

 

LA COUR,

 

- Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

 

Y ajoutant,

 

-Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

 

- Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

 

- Condamne Mme [X] [W] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par Maître Jacques Bellichach dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

La Greffière Le Président