Tribunal administratif de Montreuil

Jugement du 26 juin 2023 n° 2104846

26/06/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les procédures suivantes :

I°/ Par une requête, enregistrée le 12 avril 2021 sous le n° 2104846, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 22 décembre 2021 et le 1er mars 2022, la société anonyme Axa, représentée par Me Pichot et Me Ullmann, demande au tribunal :

1°) de prononcer, au titre de l'exercice clos en 2017, d'une part, la réduction des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale, de contribution exceptionnelle et de contribution additionnelle à cette contribution exceptionnelle, pour un montant total de 5 650 475 euros et, d'autre part, l'augmentation du déficit reportable du groupe intégré dont elle est la mère pour un montant de 12 716 747 euros, procédant toutes deux de l'application aux dividendes perçus de sa filiale établie en Suisse Axa Versicherung AG d'un taux de quote-part de frais et charges de 1 %, applicable aux sociétés intégrées, en lieu et place de celui de 5 % initialement retenu ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur le point de savoir, notamment, si l'article 63 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne ou l'accord entre la confédération helvétique suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe, autre que l'assurance-vie, conclu le 10 octobre 1989 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition nationale prévoyant un traitement défavorable pour des dividendes distribués par une société de droit suisse qui aurait pu faire partie du même groupe fiscal que la société bénéficiaire des dividendes si elle avait été française par rapport aux dividendes distribués par une société française membre dudit groupe fiscal.

Elle soutient que la fixation, en vertu des dispositions de l'alinéa 2 du I de l'article 216 du code général des impôts, à un taux de 5 %, au niveau du résultat d'ensemble du groupe fiscal dont la société Axa est la société mère, de la quote-part de frais et charges afférente aux distributions réalisées par sa filiale Axa Versicherung AG, détenue à 100 % et établie en Suisse, Etat tiers à l'Union européenne, qui remplirait les conditions pour être membre de ce groupe fiscal si elle était située en France, alors que cette quote-part ne s'établit qu'à 1 % à raison des dividendes perçus par les sociétés membres de ce groupe fiscal, de la part de sociétés françaises membres de ce groupe fiscal ou de la part de sociétés établies au sein de l'Union européenne qui rempliraient les conditions pour être membres de ce groupe si elles étaient situées en France, méconnaît :

- l'article 26 de la convention conclue entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune signée le 9 septembre 1966 modifiée et son protocole ;

- la libre circulation des capitaux garantie par l'article 63 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne ;

- d'une part, les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, d'autre part, celles combinées de ce même article et de l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord entre la confédération helvétique suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe, autre que l'assurance-vie, conclu le 10 octobre 1989.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 octobre 2021, 17 janvier et 24 mars 2022, la directrice chargée de la direction des grandes entreprises conclut au rejet de la requête en soutenant que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, par lettre du 7 avril 2023, qu'en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés mise à la charge de la société requérante au titre de l'exercice clos en 2017, et contestée par cette dernière à hauteur de 635 837 euros, est privée de base légale à raison de la déclaration d'inconstitutionnalité du premier alinéa du I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015, telle que jugée par la décision n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017 du Conseil constitutionnel.

Un mémoire présenté pour la directrice chargée de la direction des grandes entreprises en réponse à la communication de ce moyen d'ordre public, enregistré le 12 avril 2023, a été communiqué le même jour.

Un mémoire présenté pour la société Axa en réponse à la communication de ce moyen d'ordre public, enregistré le 17 avril 2023, a été communiqué le 18 avril 2023.

II°/ Par une requête, enregistrée le 12 avril 2021 sous le n° 2104849, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 22 décembre 2021 et le 1er mars 2022, la société Axa, représentée par Me Pichot et Me Ullmann, demande au tribunal :

1°) de prononcer, au titre de l'exercice clos en 2018, d'une part, la réduction des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale à cet impôt pour un montant de 1 322 651 euros et, d'autre part, l'augmentation du déficit reportable du groupe intégré dont elle est la mère pour un montant de 3 841 195 euros, procédant de l'application aux dividendes perçus de sa filiale établie en Suisse Axa Versicherung AG d'un taux de quote-part de frais et charges de 1 %, applicable aux sociétés intégrées, en lieu et place de celui de 5 % initialement retenu ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur le point de savoir, notamment, si l'article 63 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne ou l'accord entre la confédération helvétique suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe, autre que l'assurance-vie, conclu le 10 octobre 1989 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition nationale prévoyant un traitement défavorable pour des dividendes distribués par une société de droit suisse qui aurait pu faire partie du même groupe fiscal que la société bénéficiaire des dividendes si elle avait été française par rapport aux dividendes distribués par une société française membre dudit groupe fiscal.

Elle soutient, dans les mêmes termes, les mêmes moyens que ceux développés dans la requête n° 2104846 précédemment visée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 octobre 2021, le 17 janvier 2022 et le 24 mars 2022, la directrice chargée de la direction des grandes entreprises conclut au rejet de la requête en soutenant que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 2 mai 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

III°/ Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2021 sous le n° 2113899, et un mémoire complémentaire, enregistré le 23 juin 2022, la société anonyme Axa, représentée par Me Pichot et Me Ullmann, demande au tribunal :

1°) de prononcer l'augmentation de son déficit reportable au titre de l'exercice clos en 2016 d'un montant de 50 699 810 euros, procédant de l'application aux dividendes perçus de sa filiale établie en Suisse, Axa Versicherung AG, d'une quote-part de frais et charges au taux de 1 %, applicable aux sociétés intégrées, en lieu et place de celui de 5 % initialement retenu ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur le point de savoir, notamment, si l'article 63 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne ou l'accord entre la confédération helvétique suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe, autre que l'assurance-vie, conclu le 10 octobre 1989 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une disposition nationale prévoyant un traitement défavorable pour des dividendes distribués par une société de droit suisse qui aurait pu faire partie du même groupe fiscal que la société bénéficiaire des dividendes si elle avait été française par rapport aux dividendes distribués par une société française membre dudit groupe fiscal

Elle soutient, au titre de l'exercice clos en 2016, les mêmes moyens que ceux développés dans la requête n° 2104846 et, en outre, que la fixation, en vertu des dispositions de l'alinéa 2 du I de l'article 216 du code général des impôts, à un taux de 5 %, au niveau du résultat d'ensemble du groupe fiscal dont la société Axa est la société mère, de la quote-part de frais et charges afférente aux distributions réalisées par sa filiale Axa Versicherung AG, détenue à 100 % et établie en Suisse, Etat tiers à l'Union européenne, qui remplirait les conditions pour être membre de ce groupe fiscal si elle était située en France, alors que cette quote-part ne s'établit qu'à 1 % à raison des dividendes perçus par les sociétés membres de ce groupe fiscal, de la part de sociétés françaises membres de ce groupe fiscal ou de la part de sociétés établies au sein de l'Union européenne qui rempliraient les conditions pour être membres de ce groupe si elles étaient situées en France, méconnaît les principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques prévus aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 avril 2022 et le 5 septembre 2022, la directrice chargée de la direction des grandes entreprises conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors qu'elle tend à la majoration du résultat déficitaire que la société requérante avait initialement déclaré, ainsi que l'a jugé, en dernier lieu, la Cour administrative d'appel de Versailles dans un arrêt n° 13VE02686 ;

- à titre subsidiaire :

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution ainsi que des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen par les dispositions de l'article 216 du code général des impôts est irrecevable faute d'avoir été présenté par un mémoire distinct ;

- les autres moyens soulevés par la société Axa ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 4 avril 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution dont notamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord entre la Confédération helvétique suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe, autre que l'assurance-vie, conclu le 10 octobre 1989 ;

- la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 ;

- la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-386/14 de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 septembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Puechbroussou ;

- les conclusions de M. Iss, rapporteur public ;

- et les observations de Me Pichot, pour la société Axa.

Considérant ce qui suit :

1. La société Axa est la société mère d'un groupe fiscalement intégré, au sens de l'article 223 A du code général des impôts, et détient, par ailleurs, la totalité du capital de la société Axa Versicherung AG établie en Suisse, Etat tiers à l'Union européenne et à l'Espace économique européen. Au titre des exercices clos en 2016, 2017 et 2018, la requérante a perçu de cette filiale des dividendes placés sous le régime fiscal des sociétés mères prévu aux articles 145, 146 et 216 du code général des impôts. Conformément à ce dernier article, ces dividendes ont été retranchés du résultat fiscal de la société mère, sous déduction d'une quote-part de frais et charges de 5 %. Par les présentes requêtes, la société Axa demande, s'agissant de l'exercice clos en 2016, de prononcer l'augmentation du déficit reportable du groupe intégré dont elle est la mère, s'agissant de l'exercice clos en 2017, de prononcer la réduction des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale, de contribution exceptionnelle à cet impôt et de contribution additionnelle à cette contribution exceptionnelle et, s'agissant de l'exercice clos en 2018, de prononcer, d'une part, la réduction des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale à cet impôt et, d'autre part, l'augmentation du déficit reportable du groupe intégré dont elle est la mère, procédant, pour l'ensemble des exercices en litige, de l'application aux dividendes perçus de sa filiale établie en Suisse Axa Versicherung AG d'une quote-part de frais et charges au taux de 1 % en lieu et place de celui de 5 % appliqué conformément à ses propres déclarations.

Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées n° 2104846, 2104849 et 2113899 concernent la situation d'un même contribuable, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul jugement.

Sur les conclusions aux fins de réduction des impositions primitives et d'augmentation du déficit fiscal du groupe fiscal intégré :

En ce qui concerne les moyens communs aux trois requêtes :

3. Aux termes de l'article 216 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2019 : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. La quote-part de frais et charges visées au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. Ce taux est fixé à 1 % de ce même produit, crédit d'impôt compris, perçu par une société membre d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis à raison d'une participation dans une autre société membre de ce groupe, ou par une société membre d'un groupe à raison d'une participation dans une société soumise à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales qui, si elle était établie en France, remplirait les conditions pour être membre de ce groupe, en application des articles 223 A ou 223 A bis, autres que celle d'être soumise à l'impôt sur les sociétés en France ".

4. Aux termes de l'article 223 A du même code, dans sa rédaction en vigueur du 8 août 2015 au 1er janvier 2021 : " I. Une société, ci-après désignée par les mots : " société mère ", peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe, ci-après désignés par les mots : " sociétés du groupe ", ou de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les mots : " sociétés intermédiaires ", détenus à 95 % au moins par la société mère de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaires. () III. - Seules peuvent être membres du groupe les sociétés ou les établissements stables qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l'article 214. Seules peuvent être qualifiées de sociétés intermédiaires les sociétés ou les établissements stables qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à un impôt équivalent à l'impôt sur les sociétés dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Pour se constituer société mère dans les conditions du deuxième alinéa du I, une société doit accompagner son option de l'accord de l'entité mère non résidente et des sociétés étrangères mentionnées au même deuxième alinéa. Pour être membre d'un groupe formé dans les conditions dudit deuxième alinéa, une société doit accompagner son accord de celui de l'entité mère non résidente et des sociétés étrangères. Les sociétés membres d'un groupe dans les conditions du même deuxième alinéa ne peuvent simultanément se constituer seules redevables de l'impôt sur les sociétés pour les résultats d'un autre groupe dans les conditions prévues au présent article. Lorsque la société mère opte pour l'application du régime défini au quatrième ou au cinquième alinéa du I, toutes les personnes morales dénuées de capital définies au quatrième alinéa du même I et toutes les banques, caisses et sociétés mentionnées aux articles L. 512-11, L. 512-20, L. 512-55, L. 512-60, L. 512-69 et L. 512-86 du code monétaire et financier ou bénéficiant du même agrément collectif, à l'exception des filiales dont le capital est détenu à 95 % au moins sont obligatoirement membres du groupe et ne peuvent simultanément être mères d'un autre groupe formé dans les conditions prévues au présent article. / Les sociétés du groupe et, sous réserve de la réglementation étrangère qui leur est applicable, les sociétés intermédiaires, l'entité mère non résidente et les sociétés étrangères doivent ouvrir et clore leurs exercices aux mêmes dates ; les exercices ont en principe, une durée de douze mois ". Aux termes de l'article 223 B du même code, dans sa rédaction en vigueur du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2019 : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l'article 214. / Les produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et les produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire, d'une société étrangère ou de l'entité mère non résidente pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa sont retranchés du résultat d'ensemble s'ils n'ouvrent pas droit à l'application du régime mentionné au 1 de l'article 145 () ".

5. En premier lieu, si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient toutefois ensuite, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer, en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office, si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

6. La société anonyme Axa, requérante dans les trois présents litiges, détient intégralement et directement le capital de la société de droit suisse Axa Versicherung AG établie en Suisse, Etat tiers tant à l'Union européenne qu'à l'Espace économique européen. Il s'ensuit, en application des dispositions précitées de l'article 216 du code général des impôts, que les dividendes perçus par la requérante de la part de cette filiale suisse, dont il est constant qu'ils ouvrent droit à l'application du régime des sociétés mères visé à l'article 145 de ce même code, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges, fixée dans ce cas à un taux de 5 %.

7. Aux termes de l'article 26 de la convention fiscale entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifié : " 1. Les nationaux d'un État contractant ne sont soumis dans l'autre État contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujettis les nationaux de cet autre État se trouvant dans la même situation. En particulier, les nationaux d'un État contractant qui sont imposables sur le territoire de l'autre État contractant bénéficient, dans les mêmes conditions que les nationaux de ce dernier État se trouvant dans la même situation, des exemptions, abattements à la base, déductions et réductions d'impôts ou taxes accordés pour charges / () 5. Les entreprises d'un Etat contractant, dont le capital est en totalité ou en partie, directement ou indirectement, détenu ou contrôlé par un ou plusieurs résidents de l'autre Etat contractant, ne sont soumises dans le premier Etat contractant à aucune imposition ou obligation y relative, qui est autre ou plus lourde que celle à laquelle sont ou pourront être assujetties les autres entreprises de même nature de ce premier Etat ".

8. Ces stipulations, ayant pour objet de soumettre à un même traitement les sociétés de même nature résidentes d'un même Etat contractant, sans qu'il soit tenu compte du pays de résidence de la ou des personnes qui en détiennent ou en contrôlent, directement ou indirectement, le capital, ne sauraient être invoquées pour faire obstacle à une règle nationale prévoyant une imposition différenciée des dividendes perçus par une société résident d'un Etat contractant de la part d'une société résidente de l'un ou de l'autre de ces Etats contractants, situations qui ne sont pas de même nature.

9. En l'espèce, la société anonyme Axa, résidente française, n'est pas fondée à invoquer ces stipulations pour contester la différence de traitement réservée aux dividendes perçus de sa filiale suisse Axa Versicherung AG détenue à plus de 95 % avec celui dont la requérante pourrait bénéficier à raison des dividendes perçus d'une filiale détenue à plus de 95 % et établie en France ou dans un autre Etat de l'Union Européenne. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 26 de la convention fiscale franco-suisse modifiée ne peut qu'être écarté.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " () les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites () ". Et aux termes du 1 de l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ".

11. La société Axa soutient que la différence de traitement entre les filiales détenues à plus de 95 % établies hors de l'Union européenne, qui supportent une quote-part de frais et charges au taux de 5 %, et celles présentant un même taux de détention établies en France ou dans un autre Etat de l'Union Européenne, bénéficiant d'un taux de quote-part de frais et charges réduit à 1 %, méconnaît la libre circulation des capitaux garantie par l'article 63 du traité de fonctionnement de l'Union européenne, liberté applicable à sa situation.

12. Toutefois, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne le 13 novembre 2012, dans l'affaire C-35/11, Test Claimants in the FII Group Litigation, dès lors que le traité n'étend pas la liberté d'établissement aux Etats tiers, il importe d'éviter que l'interprétation du paragraphe 1 de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en ce qui concerne les relations avec les pays tiers, permette à des opérateurs économiques qui ne rentrent pas dans les limites du champ d'application territorial de la liberté d'établissement de tirer profit de celle-ci. Dès lors que la société Axa, qui détient la totalité du capital de sa filiale suisse Axa Versicherung AG, niveau de participation traduisant, par nature et sans qu'il soit besoin d'examiner d'autres facteurs, l'exercice d'une influence certaine sur les décisions de cette dernière, l'invocation du bénéfice du taux réduit de quote-part de frais et charges de 1 % sur les dividendes versés par cette filiale est soumis au respect des exigences, notamment territoriales, liées à la liberté d'établissement. Elle ne peut, par suite, se prévaloir de la méconnaissance de la liberté de circulation des capitaux figurant à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

13. En troisième lieu, l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " et aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

14. La société Axa soutient que la différence de traitement entre les filiales détenues à plus de 95 % établies hors de l'Union européenne qui supportent une quote-part de frais et charges au taux de 5 % et celles présentant un même taux de détention établies en France ou dans un autre Etat de l'Union Européenne et bénéficiant d'un taux réduit de quote-part de frais et charges de 1 %, méconnaît, d'une part, les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que la société requérante disposait sur ce fondement d'une espérance légitime de bénéficier de la quote-part de frais et charges au taux réduit de 1% sur les dividendes distribués par sa filiale suisse Axa Versicherung AG, et, d'autre part, les stipulations combinées de l'article 14 de cette convention et de ce même article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, en ce que cette différence de traitement est constitutive d'une discrimination prohibée.

15. D'une part, si la loi, ainsi interprétée dans le respect du droit de l'Union européenne, a pour effet d'exclure du bénéfice du taux réduit de 1 %, les quotes-parts pour frais et charges afférentes aux dividendes provenant de filiales établies en dehors de l'Union européenne, le législateur ne peut être regardé comme ayant fait naître, dans le chef de la requérante, l'espérance légitime de bénéficier d'un tel taux réduit sur les dividendes perçus de ses filiales situées dans des Etats tiers à l'Union européenne, alors surtout que de telles sociétés n'en ont jamais bénéficié. Le moyen tiré de l'atteinte au principe d'espérance légitime tiré de l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne des droits de l'homme doit, par suite, être écarté comme inopérant.

16. D'autre part, ainsi que l'a d'ailleurs relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-699 QPC du 13 avril 2018, Société Life Sciences Holdings France, lors de leur adoption, les dispositions en cause de l'article 223 B du code général des impôts tendaient à définir l'un des avantages attachés à l'intégration fiscale afin de garantir aux groupes se plaçant sous ce régime, qui ne concernait que des sociétés mères et filiales françaises, un traitement fiscal équivalent à celui d'une unique société dotée de plusieurs établissements. Ce faisant, le législateur a entendu inciter à la constitution de groupes nationaux, soumis à des conditions particulières de détention, caractérisant leur degré d'intégration et, par suite, poursuivre un objectif d'utilité publique légitime.

17. Il ne résulte ainsi pas d'une telle restriction une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et les buts poursuivis. Dans ces conditions, la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable en relation avec les principes fondamentaux régissant le marché intérieur de l'Union européenne. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté comme mal fondé.

18. En quatrième et dernier lieu, aux termes du préambule de l'accord entre la confédération helvétique suisse et la Communauté économique européenne concernant l'assurance directe, autre que l'assurance-vie, conclu le 10 octobre 1989 : " La Confédération suisse, d'une part, la Communauté économique européenne, d'autre part, considérant les relations étroites qui existent entre la Suisse et la Communauté, désireuses de consolider, à l'occasion de l'établissement d'un marché unifié en matière d'assurances à l'intérieur de la Communauté, les relations économiques existantes dans ce domaine entre les deux parties et de promouvoir, dans le respect des conditions de concurrence équitables, le développement harmonieux de ces relations, en garantissant la protection des assurés; résolues à cet effet à éliminer, sur une base de réciprocité et de non-discrimination ainsi que sous garantie des conditions juridiques nécessaires en matière de surveillance, les obstacles à l'accès à l'activité et à l'exercice de l'assurance directe, autre que l'assurance sur la vie, et à introduire ainsi, entre eux, la liberté d'établissement en la matière; soulignant que ceci n'affecte en rien leur pouvoir de légiférer dans les limites tracées par le droit international public; s'efforçant de mettre tout en œuvre pour que leurs ordres juridiques internes en la matière évoluent de façon mutuellement compatible; constatant qu'il est dans l'intérêt de leurs économies de développer et d'approfondir ainsi leurs relations dans un domaine qui, jusqu'à présent, n'a pas fait l'objet d'une réglementation conventionnelle, et de contribuer par là à la coordination du droit économique entre les deux parties; se déclarant prêtes à examiner, en fonction de tout élément d'appréciation et notamment de l'évolution du droit communautaire des assurances, la possibilité de la conclusion d'autres accords dans le domaine de l'assurance privée; sont convenues, dans la poursuite de ces objectifs, de conclure le présent accord () ". Et aux termes de l'article 1 " objectif de l'accord " de la Section 1 " Dispositions de base " : " Le présent accord a pour objet de fixer, sur une base de réciprocité, les conditions nécessaires et suffisantes pour permettre aux agences et succursales relevant d'entreprises dont le siège social se trouve sur le territoire d'une partie contractante et qui désirent s'établir ou qui sont établies sur le territoire de l'autre partie contractante d'accéder à l'activité non salariée de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie ou d'exercer cette activité ".

19. Ainsi que le soutient l'administration en défense, les stipulations précitées circonscrivent leur objet à l'accès ou à l'exercice, par des agences et succursales d'assurance d'entreprises dont le siège social est situé sur le territoire d'une partie contractante, à l'activité non salariée de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie sur le territoire de l'autre partie contractante. A supposer même que la société Axa Versicherung AG exerce la totalité de son activité en dehors du champ de l'assurance-vie, ces stipulations sont manifestement sans rapport avec le présent litige, ayant trait au traitement fiscal en France des dividendes perçus par la société requérante de sa filiale suisse.

En ce qui concerne le moyen complémentaire propre à la requête n°2113899 :

20. Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ". Et aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ".

21. La société Axa soutient que l'alinéa 2 du I de l'article 216 du code général des impôts dans sa version applicable aux litiges, en ce qu'il fixe à un taux de 5 % la quote-part de frais et charges afférente aux distributions perçues de filiales établies dans des Etat tiers à l'Union européenne et à l'Espace économique européen, qui rempliraient les conditions pour être membre de son groupe fiscal si elles étaient situées en France, alors que cette quote-part ne s'établit qu'à 1 % à raison des dividendes perçus par les sociétés membres de ce groupe fiscal, de la part de sociétés françaises membres de ce groupe fiscal ou de la part de sociétés établies au sein de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen qui rempliraient les conditions pour être membres de ce groupe si elles étaient situées en France, serait contraire aux principes d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques prévus aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution. Ce moyen, qui n'a pas été soulevé dans un mémoire distinct, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 771-3 du code de justice administrative, est, par suite, irrecevable.

22. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne de question préjudicielle, ni davantage de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense dans l'affaire n° 2113899, que la société Axa n'est fondée à demander ni la réduction des impositions primitives en cause au titre des exercices clos en 2017 et 2018, ni l'augmentation des déficits reportables du groupe intégré dont elle est la mère au titre des exercices clos en 2016, 2017 et 2018.

Sur les frais liés aux litiges :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de la société Axa sont rejetées.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société anonyme Axa et à la directrice chargée de la direction des grandes entreprises.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, à laquelle siégeaient :

M. Toutain, président,

M. Thobaty, premier conseiller,

M. Puechbroussou, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2023.

Le rapporteur,

C. Puechbroussou Le président,

E. Toutain

La greffière,

S. Desplan

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2, 2104849 et 2113899