Tribunal administratif de Grenoble

Décision du 22 juin 2023 n° 22LY01628

22/06/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A B a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2016.

Par un jugement n° 1907142 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 mai 2022 et 30 janvier 2023, Mme B, représentée par Mes Quévreux et Giroux, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé faute de répondre à tous les moyens soulevés, en particulier celui tiré de l'incohérence du nombre de factures sans numéro retenu par l'administration et de se prononcer sur le caractère sérieux du montant du chiffre d'affaires reconstitué par le service ;

- les rectifications la concernant doivent être abandonnées en conséquence de celles notifiées à la SELARL Pharmacie de Barby, qui font l'objet d'une requête actuellement pendante devant la cour, et dont elle s'approprie les moyens ;

- l'administration s'étant fondée sur le 2° de l'article 109-1 du code général des impôts, elle ne peut faire état de sa qualité de maître de l'affaire pour déclencher la présomption d'appréhension des revenus distribués correspondant au rehaussement du résultat imposable de la SELARL Pharmacie de Barby, mais doit démontrer cette appréhension, ce qu'elle ne fait pas ;

- les rectifications mises à sa charge, qui correspondent au bénéfice non déclaré par la SELARL Pharmacie de Barby, ne constituent pas des rémunérations occultes imposables entre les mains du maître de l'affaire sur le fondement du c de l'article 111 du même code, ainsi que l'a jugé la cour administrative d'appel de Nancy dans un arrêt n° 09NC02597 du 18 février 2021 ;

- la substitution de base légale sollicitée par l'administration sur le fondement du 1° de l'article 109-1 du code général des impôts ne peut concerner que la fraction du rehaussement aboutissant à un résultat bénéficiaire soumis à l'impôt sur les sociétés, soit 58 676 euros, le somme de 103 363 euros, qui a effacé le déficit déclaré, n'étant, quant à elle taxable que sur le fondement du 2° du même article, qui implique la démonstration de sa mise à la disposition de l'associé ; la rectification devra par conséquence, en tout état de cause, être limitée à la somme de 73 345 euros en base, correspondant à la somme de 58 676 euros majorée de 25 % en application du 7° de l'article 158 du code général des impôts ;

- la pénalité de 40 % pour manquement délibéré qui lui a été appliquée n'est pas justifiée en l'absence de démonstration de son intention d'éluder l'impôt ;

- cette pénalité a été établie en méconnaissance de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et plus généralement, du principe du respect des droits de la défense, en l'absence d'information sur l'intention de l'administration d'appliquer cette pénalité avant la notification de la proposition de rectification, qui constitue, à cet égard, la décision infligeant cette pénalité ; la Cour de justice de l'Union européenne peut être saisie, en tant que de besoin, d'une question préjudicielle sur ce sujet ;

- la pénalité de 40 % appliquée aux impositions mises à la charge de la SELARL Pharmacie de Barby est également contestée.

Par des mémoires, enregistré les 5 décembre 2022 et 17 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il convient de substituer aux bases légales initialement retenues, à savoir le 2° de l'article 109-1 du code général des impôts et le c de l'article 111 du même code, les dispositions du 1° de l'article 109-1 de ce code, Mme B étant le maître de l'affaire et présumée, en cette qualité, avoir appréhendé les revenus distribués par la SELARL Pharmacie de Barby ;

- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Mme B a produit un mémoire le 2 mai 2023, qui n'a pas été communiqué.

Par un mémoire distinct enregistré le 2 février 2023, Mme B demande à la Cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 1° de l'article 109-1 du code général des impôts.

Elle soutient que :

- ces dispositions, qui constituent la nouvelle base légale de l'imposition revendiquée par l'administration, sont applicables au litige ;

- ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

- elles méconnaissent les articles 6, 13 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui garantissent, respectivement, l'égalité devant la loi, l'égalité devant les charges publiques et le droit à un recours effectif.

Par un mémoire, enregistré le 17 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Il soutient que la question présentée est dépourvue de caractère sérieux.

Mme B a produit un mémoire le 2 mai 2023, qui n'a pas été communiqué.

Par ordonnance du 20 avril 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 11 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la Constitution, notamment son Préambule ainsi que son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure,

- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. La SELARL Pharmacie de Barby, qui exploite une officine de pharmacie à Barby (Savoie) et dont Mme B était la gérante et l'unique associée, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2016. A l'issue de ce contrôle, qui a notamment donné lieu à la réintégration, dans ses bases imposables à l'impôt sur les sociétés des exercices clos en 2015 et 2016, de recettes omises, l'administration a, dans le cadre d'un contrôle sur pièces, imposé entre les mains de Mme B les revenus distribués correspondants à ces minorations de recettes dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le double fondement du 2° de l'article 109-1 et du c de l'article 111 du code général des impôts et l'a, en conséquence, assujettie, selon la procédure contradictoire, à des suppléments d'impôt sur le revenu et à des cotisations de contributions sociales au titre de l'année 2016. Mme B relève appel du jugement du 31 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ". Mme B conteste la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de ces dispositions, que le ministre demande à la cour de substituer à celles du 2° du 1 du même article et du c de l'article 111 du code général des impôts retenues dans la proposition de rectification comme fondement légal de l'imposition à l'impôt sur le revenu mise à sa charge.

3. Mme B soutient, d'une part, qu'en soumettant le maître de l'affaire à la présomption irréfragable qu'il a disposé des revenus distribués par une société, ces dispositions, telles qu'interprétées par la jurisprudence, permettent à l'administration, lorsqu'elle est en présence d'un bénéficiaire identifié en la personne du gérant et unique associé d'une société, de choisir le mode de preuve applicable selon qu'elle décide de recourir, ou non, à la qualification de maître de l'affaire, aboutissant à un traitement différencié des contribuables qui se trouvent dans une même situation objective, en méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques consacrés par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle fait valoir, d'autre part, que la substitution de base légale demandée par le ministre en appel, qui ne peut être discutée qu'au cours de la procédure juridictionnelle devant la cour administrative d'appel, la place dans une situation défavorable par rapport à l'administration et l'empêche de présenter tous les éléments utiles à sa défense, en méconnaissance des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

4. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

5. En premier lieu, est qualifiée de maître de l'affaire une personne qui exerce la responsabilité effective de l'ensemble de la gestion administrative, commerciale et financière de la société et dispose sans contrôle de ses fonds. Si l'administration fiscale entend imposer des revenus réputés distribués sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts au nom du maître de l'affaire, elle doit justifier de cette qualification, qui nécessite une analyse des circonstances propres à l'affaire et notamment du fonctionnement spécifique de l'entreprise. Le contribuable peut établir que les éléments apportés par l'administration sont insuffisants pour justifier de cette qualification. S'il est reconnu maître de l'affaire, il est réputé avoir appréhendé la totalité des revenus distribués par la société. Alors que la qualité de gérant et unique associé d'une personne ne suffit à établir ni qu'elle était la bénéficiaire effective des revenus distribués par la société, ni qu'elle en était le maître de l'affaire, le choix de l'administration de recourir, ou non, à la présomption du maître de l'affaire dans une telle hypothèse, ne peut être regardé comme entrainant, au regard du mode de preuve applicable, un traitement différent de contribuables placés dans une même situation objective, une personne ayant la qualité d'associée unique et gérante reconnue comme étant le seul maître de l'affaire n'étant pas placée dans la même situation qu'un autre associé unique et gérant qui n'est pas reconnu comme tel. Il s'ensuit que la présomption du maître de l'affaire à laquelle l'administration peut recourir lorsqu'elle fonde l'imposition de revenus distribués sur les dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général d'impôt ne méconnaît ni le principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni le principe d'égalité devant les charges publiques, protégé par l'article 13 de la même Déclaration.

6. En second lieu, le principe des droits de la défense, qui résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne trouve à s'appliquer qu'aux peines et aux sanctions ayant le caractère d'une punition, notamment aux sanctions fiscales. La substitution de base légale demandée par le ministre, qui permet à l'administration, qui ne peut renoncer à l'application de la loi fiscale, d'invoquer, à tout moment de la procédure contentieuse, une base légale différente de celle initialement retenue pour fonder l'imposition, porte sur des dispositions, celles du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, qui ont pour objet de fonder les seules impositions en litige, à l'exclusion des sanctions dont elles ont été assorties, et notamment de la majoration pour manquement délibéré de 40 %, laquelle a été appliquée sur le fondement du a. de l'article 1729 du code général des impôts. Par suite, et en tout état de cause, Mme B ne peut utilement soutenir que cette substitution de base légale porte atteinte à la garantie des droits de la défense qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

7. Il suit de là que la condition tenant au caractère sérieux de la question soulevée n'est pas satisfaite. Ainsi, et sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité, le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur la régularité du jugement :

8. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

9. Contrairement à ce que soutient Mme B, le tribunal administratif a répondu, de manière suffisamment circonstanciée, au point 4 du jugement contesté, au moyen de première instance tiré de ce que l'administration n'était pas fondée à rejeter la comptabilité de la SELARL Pharmacie de Barby, en évoquant, pour les valider, chacun des motifs de rejet retenu par le service, notamment celui résultant du nombre de factures sans numéro, étant précisé, à cet égard, que les premiers juges n'étaient pas tenus de répondre à chacun des arguments exposés par Mme B à l'appui de son moyen. Le tribunal a par ailleurs répondu, au point 5 du jugement, au moyen tiré de ce que la reconstitution du chiffre d'affaires de la SELARL Pharmacie de Barby aboutissait à un résultat largement surestimé, par une motivation, certes succincte, mais en adéquation avec l'argumentation développée devant lui sur ce point dans les écritures de Mme B. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement contesté doit être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

10. L'administration a imposé entre les mains de Mme B les revenus réputés distribués correspondant au rehaussement du résultat imposable de la SELARL Pharmacie de Barby au titre de l'exercice clos en 2016 résultant de minorations de recettes de 160 039 euros, majorés de 25 % en application du 7° de l'article 158 du code général des impôts, sur le double fondement du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts et du c de l'article 111 du même code. Le ministre demande en appel qu'à ces dispositions soient substituées celles du 1° du 1 de l'article 109 de ce code.

11. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital () ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". En cas de refus des propositions de rectifications par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

En ce qui concerne l'existence et le montant des revenus distribués :

12. Il résulte de l'instruction que la SELARL Pharmacie de Barby, qui dispose d'une comptabilité informatisée, utilise un système de caisses centralisées sur un serveur central fonctionnant avec le logiciel Caduciel. A partir des données de ce logiciel, la gérante, Mme B procède mensuellement à un récapitulatif sous format papier, envoyé au comptable qui procède alors à la saisie manuelle dans le logiciel Coala. A la suite de la demande du vérificateur de procéder, sur le fondement du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, à des retraitements informatiques sur les données du logiciel de caisse, la SELARL a choisi de réaliser elle-même ces retraitements.

13. Il est constant, en premier lieu, que la société n'a pas produit l'inventaire des stocks au 1er avril 2014 et au 1er avril 2015. Si Mme B indique avoir présenté, dans le cadre des traitements informatiques, des fichiers détaillés incluant pour chaque jour le code article, le libellé produit, la journée, la quantité initiale en début de journée, les approvisionnements, la quantité finale en fin de journée et les mouvements de stock hors approvisionnements, ces fichiers ne peuvent pallier l'absence de l'inventaire physique prévu à l'article L. 123-12 du code de commerce, qui seul permet le contrôle de l'existence et de la valeur de tous les éléments d'actif et de passif à la date de clôture et qui doit être produit en cas de contrôle. Le vérificateur a constaté, en deuxième lieu, l'existence, dans les fichiers transmis, de factures non numérotées, représentant 42 % du nombre total de factures pour l'exercice 2015 et 41 % pour l'exercice 2016, élément non contesté par Mme B, qui se borne, à cet égard, à faire valoir que seules les factures concernant des produits délivrés sur ordonnance se voient attribuer un numéro de facture. Le vérificateur a relevé, en troisième lieu, des ruptures dans la séquentialité des numéros des factures avec ordonnance, aboutissant au constat de près de 500 factures manquantes par exercice, circonstance que la requérante explique par les modalités de fonctionnement du logiciel Caduciel, lequel réserve un numéro dès la réalisation d'une vente et ne permet pas sa réaffectation en cas d'annulation de l'opération, explication peu convaincante dans la mesure où une facture annulée doit être libellée comme telle dans la liste des factures issue du retraitement, ce qui est d'ailleurs le cas pour un certain nombre d'entre elles. Le vérificateur a noté, en quatrième lieu, que les écritures étaient validées une seule fois par an, en fin d'exercice, ce qui était matériellement impossible en raison de l'heure de la fermeture de la pharmacie les 31 mars 2015 et 2016, que cette validation annuelle contrevenait à l'article 921-2 du plan comptable général selon lequel les écritures des journaux doivent être récapitulés au livre journal au jour le jour ou, à défaut, mensuellement et qu'elle avait pour conséquence de permettre la modification des écritures pendant tout l'exercice. A cet égard, Mme B ne peut soutenir utilement que l'administration ne démontre pas l'existence de corrections postérieures au dépôt des déclarations fiscales. Le vérificateur a relevé, en cinquième lieu, que dans la colonne " numéro pièce " du grand livre, de nombreuses lignes (3 419 lignes sur 11 576 en 2015 et 2 489 lignes sur 11 677 en 2016) ne comportaient aucune référence à une pièce justificative (mention " NS ") et que, par conséquence, la permanence du chemin de révision comptable n'était pas assurée. En se bornant à faire valoir que cet état de fait résulte du logiciel, qui renseigne " NS " par défaut et qu'il ne lui a pas été reproché de ne pas produire des justificatifs, Mme B ne conteste pas utilement ce constat. En sixième lieu, le vérificateur a constaté l'existence d'écritures globalisées, retracées dans l'annexe 2 à la proposition de rectification, sans qu'il soit possible d'identifier chaque opération en l'absence de journal auxiliaire ou de référence à une pièce justificative, constat non contesté par la requérante, qui admet également qu'il existe des ruptures dans la séquentialité des numéros d'écritures comptables. Ces nombreuses anomalies sont de nature à ôter à la comptabilité de la SELARL Pharmacie de Barby son caractère probant. Par suite, l'administration a pu, à bon droit, l'écarter et procéder à la reconstitution extracomptable de ses chiffres d'affaires et de ses résultats.

14. Le chiffre d'affaires de la SELARL Pharmacie de Barby a été reconstitué à partir des retraitements informatiques réalisés par cette dernière, et notamment ceux détaillant l'ensemble de la facturation des exercices 2015 et 2016. Le vérificateur a, d'une part, déterminé le chiffre d'affaires omis correspondant à des factures numérotées manquantes, identifiées à partir des ruptures constatées dans la séquentialité des numéros de facture, auxquelles il a appliqué le prix moyen par facture ressortant des factures numérotées, soit 45,80 euros HT en 2015 et 44,30 euros HT en 2016, aboutissant à un chiffre d'affaires omis de 22 241 euros en 2015 et de 22 066 euros en 2016. Il a ensuite identifié une minoration de recettes déclarées en comparant le résultat déclaré par la société à celui ressortant du détail de la facturation, après prise en compte des pratiques particulières de la pharmacie, explicitées au cours du contrôle, à savoir les factures doublons non comptabilisés, les factures annulées, les régularisations des " avances de vignettes ", les régularisations des " mises en crédit " et les factures dites " recyclées ", examen qui a fait ressortir une insuffisance de 38 865 euros en 2015 et de 135 463 euros en 2016.

15. S'agissant des factures manquantes, Mme B fait valoir que la rectification conduit à un double redressement sur le même chiffre d'affaires de sa société, dans la mesure où le chiffre d'affaires est également recalculé à partir du chiffre d'affaires global issu du logiciel, qui comprend à la fois des ventes avec un numéro de dossier et d'autres ventes sans numéro de dossier. Toutefois, et alors que le chiffre d'affaires global ressortant du logiciel de caisse comprend toutes les factures enregistrées dans ce dernier, qu'elles soient ou non numérotées, selon qu'elles correspondent, selon la requérante, à des ventes sur ordonnance ou des ventes sans ordonnance, les factures manquantes correspondent uniquement à des factures numérotées mais qui ne figurent pas dans la liste détaillée des factures issue des retraitements, utilisée pour déterminer le chiffre d'affaires réalisé. Ces factures manquantes, en l'absence de tout élément tendant à démontrer qu'elles correspondraient, de fait, à des factures non numérotées, ne sont donc pas incluses dans le chiffre d'affaires global ressortant du logiciel de caisse et ne peuvent, dès lors, être regardées comme ayant été comptabilisées deux fois par le service.

16. Les " doublons ", qui sont des factures portant le même numéro mais qui ont des dates et des heures de création différentes, ont été prises en compte par le vérificateur, lequel, selon les termes de la proposition de rectification, n'a pas remis en cause la comptabilisation opérée à ce titre par la SELARL Pharmacie de Barby et a retenu, sans le corriger, le retraitement réalisé par cette dernière dans le fichier intitulé (CDT-2*TRT-4) pour justifier de la comptabilisation ou non des factures doublons. Les factures doublons non comptabilisées ont, par conséquent, été valorisées et extournées de la liste des factures ayant servi à déterminer le chiffre d'affaires de chaque exercice. Mme B soutient qu'elle justifie d'un montant supérieur à retrancher du chiffre d'affaires et produit, à l'appui de cette allégation, pour chaque exercice, un fichier Excel intitulé " détail des doublons ", qui ferait ressortir, selon elle, un total de chiffre d'affaires en doublon de 36 946 euros en 2015 et de 42 445 en 2016. Toutefois, ces fichiers, qui ne sont assortis d'aucun justificatif, ni d'aucun détail permettant d'expliquer le mode de calcul du chiffre d'affaires global censé en résulter, et qui, au surplus, contredisent les éléments comptabilisés par la société elle-même, sont insuffisants, à eux seuls, et alors que le vérificateur a déjà pris en compte les explications apportées par la société au cours du contrôle, pour remettre en cause les montants retenus à ce titre et déjà retranchés des chiffres d'affaires reconstitués.

17. Les " avances de vignette ", qui correspondent à l'hypothèse où le pharmacien délivre un médicament sans facturation immédiate, laquelle intervient ultérieurement, une fois l'ordonnance présentée, et les " mises en crédit ", qui recouvrent les cas où le patient ne règle pas immédiatement alors que la remise du médicament implique le constat d'une vente dans le logiciel de caisse, ont été prises en compte par le vérificateur, qui a retranché des chiffres d'affaires reconstitués les factures ayant une taxe sur la valeur ajoutée nulle ou négative. Il en va de même des factures " recyclées ", qui concernent des ventes de produits bénéficiant du tiers-payant, dans le cas où le paiement est rejeté par la sécurité sociale ou la mutuelle, le vérificateur ayant retiré les factures ayant un numéro inférieur à celui de la première facture de l'exercice. Si Mme B fait valoir que ces corrections sont insuffisantes, elle se borne à indiquer que le vérificateur aurait dû procéder à une comparaison avec les fichiers détaillés des ventes et de variation des stocks produits au cours du contrôle, et ce alors que ces fichiers, qui ne sont pas des inventaires, ainsi qu'il a été dit au point 13, sont, en eux-mêmes, dénués de valeur probante.

18. Il résulte de ce qui précède que l'administration justifie du bien-fondé de la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires de la SARL Pharmacie de Barby au titre de l'exercice clos en 2016, et par suite, de l'existence et du montant des minorations de recettes qui correspondent à des revenus réputés distribués par cette société.

En ce qui concerne la demande de substitution de base légale et l'appréhension des revenus réputés distribués :

19. L'administration, qui a relevé que Mme B, associée unique et gérante de la SELARL Pharmacie de Barby, était seule en charge de l'intégralité de la gestion administrative et financière de la société, qu'elle fournissait les données à intégrer en comptabilité au cabinet comptable et qu'elle avait choisi le logiciel permettant le suivi du fonctionnement de sa pharmacie et la restitution des données à intégrer en comptabilité, a considéré qu'elle était le seul maître de l'affaire et imposé entre ses mains la totalité des revenus distribués par la société au titre de l'exercice clos en 2016.

20. Il ressort des dispositions énoncées au point 11 du présent arrêt que seules les rectifications ayant donné lieu au constat d'un bénéfice soumis à l'impôt sur les sociétés sont imposables entre les mains du bénéficiaire sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts.

21. Il résulte de l'instruction et notamment du tableau des conséquences financières annexé à la proposition de rectification du 11 juillet 2018 adressée à la SELARL Pharmacie de Barby que le rehaussement notifié après contrôle au titre de l'exercice clos en 2016 a eu pour effet de substituer au résultat déficitaire de - 101 363 euros déclaré par celle-ci un bénéfice de 236 165 euros. Ce rehaussement résulte, outre de la remise en cause d'une provision pour dépréciation du fonds de commerce de 180 000 euros, de la réintégration dans le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés de la société de recettes omises sur factures manquantes d'un montant de 22 065 euros et de recettes omises sur factures non comptabilisées d'un montant de 135 463 euros. Par suite, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que la somme de 160 039 euros réintégrée dans la base imposable à l'impôt sur le revenu de Mme B en conséquence de ces rectifications, qui est inférieure au montant du bénéfice retenu pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés, est imposable en tant que revenus distribués sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Il en résulte, dès lors que la substitution de base légale sollicitée n'a pour effet de priver la contribuable d'aucune garantie de procédure et qu'il ressort des éléments fournis par le ministre, énoncés au point 19 ci-dessus et non contestés, que celle-ci était le maître de l'affaire, qu'il y a lieu d'accueillir sa demande tendant au maintien du complément d'impôt sur le revenu assigné à Mme B au titre de l'année 2016 à raison des distributions provenant de la SELARL Pharmacie de Barby sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code.

Sur les majorations :

22. L'administration a appliqué aux impositions à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales mises à la charge de Mme B au titre de l'année 2016 la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts.

23. En premier lieu, aux termes de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, d'une part : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-199/11 Europese Gemeenschap c/ Otis NV et autres du 6 novembre 2012, que le principe de protection juridictionnelle effective figurant à cet article 47 est constitué de divers éléments, lesquels comprennent, notamment, les droits de la défense, le principe d'égalité des armes, le droit d'accès aux tribunaux ainsi que le droit de se faire conseiller, défendre et représenter. Le respect des droits de la défense constitue un principe général du droit communautaire qui trouve à s'appliquer dès lors que l'administration se propose de prendre à l'encontre d'une personne un acte qui lui fait grief (CJCE, 18 décembre 2008, Sopropé, C-349/07). Il implique un droit d'accès au dossier au cours de la procédure préalable à l'adoption d'une décision, dont la violation n'est pas régularisée du simple fait que l'accès a été rendu possible au cours de la procédure juridictionnelle (CJUE, 25 octobre 2011, Grande chambre, Solvay SA c/ Commission européenne, C-110/10 P) arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 318).

24. D'autre part, aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens des articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. / Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations. ". Aux termes de l'article L. 80 E du même livre : " La décision d'appliquer les majorations et amendes prévues aux articles 1729, 1732 et 1735 ter du code général des impôts est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret qui vise à cet effet le document comportant la motivation des pénalités. ".

25. Il résulte des termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales que la décision d'infliger une pénalité fiscale à un contribuable ne peut intervenir qu'après l'expiration d'un délai minimum de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration lui fait connaître la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations. En l'espèce, la motivation de la pénalité de 40 % infligée à Mme B figure dans la proposition de rectification du 11 juillet 2018, qui lui a accordé un délai de réponse de trente jours. Contrairement à ce que soutient la requérante, ce document, qui se borne à motiver, en droit et en fait, la pénalité envisagée, ne se confond pas avec la décision d'appliquer ladite pénalité, qui intervient ultérieurement et est matérialisée par la mise en recouvrement de celle-ci, laquelle est intervenue le 30 avril 2019. Il s'en déduit, d'une part, que l'administration fiscale n'était pas tenue d'informer Mme B de son intention de lui infliger une sanction fiscale préalablement à l'envoi de la proposition de rectification, et, d'autre part, que l'intéressée a été mise à même de contester l'application de cette sanction, ce qu'elle s'est, au demeurant, abstenue de faire, son courrier du 10 septembre 2018 en réponse à la proposition de rectification ne comportant aucune observation sur ce point. Dans ces conditions, le moyen tiré de violation des stipulations de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit, en tout état de cause, être écarté.

26. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré () ".

27. En faisant état de la qualité d'associé unique et de gérante de Mme B, qui assurait la gestion de la SELARL Pharmacie de Barby, de la circonstance qu'elle ne pouvait ignorer les minorations de recettes de sa société, qui ont été constatées sur l'ensemble de la période vérifiée et qui trouvent leur origine dans des pratiques comptables irrégulières, ainsi que de l'importance des revenus distribués correspondants dans le revenu imposable rectifié de l'intéressée, l'administration apporte la preuve, qui lui incombe en application de l'article L. 195 du livre des procédures fiscales, de l'intention délibérée de Mme B d'éluder l'impôt, et par suite, du bien-fondé de la pénalité de 40 % qui lui a été appliquée sur le fondement des dispositions précitées.

28. En troisième lieu, si Mme B soutient que la majoration de 40 % appliquée aux impositions supplémentaires mises à la charge de la SELARL Pharmacie de Barby n'est pas justifiée, un tel moyen est inopérant, s'agissant d'une pénalité appliquée à un contribuable distinct.

29. Il résulte de ce qui précède que Mme B n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts.

Article 2 : La requête de Mme B est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juin 2023.

La rapporteure,

A. Courbon

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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C