Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 21 juin 2023 n° 22/12076

21/06/2023

Non renvoi

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

 

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

COUR D'APPEL DE PARIS

 

Pôle 1 - Chambre 3

 

ARRET DU 21 JUIN 2023

 

(n° , 5 pages)

 

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12076 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBOS

 

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 26 Novembre 2015 -Tribunal d'Instance de Paris 20e - RG n° 12-15-0521

 

APPELANT

 

M. [R] [K] [D]

 

[Adresse 2]

 

[Localité 3]

 

Représenté et assisté par Me Vanessa FRIMIGACCI, avocat au barreau de [Localité 5], toque : B1029

 

INTIMÉE

 

S.A. RÉGIE IMMOBILIERE DE LA VILLE DE [Localité 5] (RIVP)

 

[Adresse 1]

 

[Localité 4]

 

Représentée par Me Pierre GENON CATALOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0096 substitué par Me Karine PARENT

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

L'affaire a été débattue le 22 Mai 2023, en audience publique, rapport ayant été fait par Patricia LEFEVRE, Conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.

 

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

 

Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre

 

Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre

 

Patricia LEFEVRE, Conseillère

 

Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR

 

MINISTERE PUBLIC : [S] [J]

 

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis par écrit le 14 mars 2023.

 

ARRÊT :

 

- CONTRADICTOIRE

 

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

 

- signé par Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

 

*****

 

La Régie immobilière de la Ville de [Localité 5] est propriétaire de l'immeuble du [Adresse 2]) dont un appartement a été loué à M. [R] [D] aux termes d'un bail du 20 juillet 1994.

 

Souhaitant procéder à des travaux de réhabilitation et de mise aux normes de l'immeuble consistant notamment dans le remplacement du vitrage et de la menuiserie de la cuisine et confrontée au refus de M. [D] de laisser libre accès à son domicile, la RIVP l'a, par acte extra-judiciaire du 20 octobre 2015, fait assigner devant le juge des référés du tribunal d'instance du 20ème arrondissement de [Localité 5].

 

Le 23 octobre 2015, M. [D] a déposé une demande d'aide juridictionnelle rejetée le 27 octobre suivant par le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Paris.

 

Par ordonnance contradictoire en date du 26 novembre 2015, le juge des référés du tribunal d'instance de Paris XX ème arrondissement :

 

- a ordonné à M. [D] de permettre l'accès au logement qu'il loue, situé [Adresse 2] à [Localité 5], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, huit jours après la signification de son ordonnance, à toute entreprise mandatée par la RIVP, pour qu'elle procède aux travaux de réhabilitation et de mise aux normes de l'immeuble qui consistent notamment, dans le remplacement du vitrage et de la menuiserie de la cuisine ;

 

- s'est réservé la liquidation de l'astreinte ;

 

- a dit que M. [D] devra être prévenu de toute intervention, quarante huit heures à l'avance et qu'en cas d'absence, il devra permettre l'accès à l'appartement par la remise des clés au gardien de l'immeuble ;

 

- a dit que, huit jours après la signification de la présente ordonnance, toute entreprise mandatée par la RIVP et amenée à intervenir, pourra si nécessaire, se faire assister d'un huissier, d'un serrurier, et éventuellement d'un commissaire de police, en cas de refus de M. [D] de laisser accès à l'appartement qu'il loue, le temps nécessaire à l'achèvement des travaux ;

 

- a condamné M. [D] à payer la somme de 900 euros à la RIVP en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

 

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 octobre 2016 enregistrée au greffe de la cour de ce siège, le 13 octobre suivant, M. [D] a déclaré faire appel de l'ordonnance sus-mentionnée. Par un arrêt en date du 15 décembre 2016, la cour a relevé que que M. [D] avait produit le récépissé de la demande d'aide juridictionnelle qu'il avait déposé, le 23 novembre, a révoqué l'ordonnance de clôture, a renvoyé l'affaire à une audience ultérieure et a enjoint à M. [D], à peine de radiation, de justifier de la suite donnée à sa demande d'aide juridictionnelle. Radiation qui a été prononcée par une ordonnance présidentielle du 22 mars 2017, au constat que l'appel de M. [D] à l'encontre de la décision de rejet du bureau d'aide juridictionnelle était toujours en cours.

 

M. [D] affirme avoir déposé ensuite de multiples demandes d'aide juridictionnelle afin de poursuivre, devant la cour, la procédure l'opposant à la RIVP, que ces demandes ont été rejetées par le bureau d'aide juridictionnelle et que les décisions de rejet ont été confirmées par la cour d'appel, à l'exception de celle du 26 janvier 2022, qui a été infirmée par une ordonnance du juge délégué par le Premier président de la cour d'appel de ce siège en date du 29 mars 2022, lui octroyant le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale pour une procédure d'appel d'une ordonnance du tribunal d'instance de Paris (20ème arrondissement).

 

Par déclaration en date du 25 mai 2022, M. [D], représenté par le conseil désigné au titre de l'aide juridictionnelle, le 19 mai 2022, a relevé appel de toutes les dispositions de l'ordonnance du 26 novembre 2015. Le 12 juillet 2022, il a notifié par la voie électronique ses conclusions d'appel et par des conclusions distinctes, il a saisi la cour d'une question prioritaire de constitutionnalité.

 

Aux termes de son mémoire récapitulatif notifié par la voie électronique, le 2 septembre 2022, M. [D] demande à la cour, au visa des articles 61-1 de la constitution, 23-2 et 23-4 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, de :

 

- transmettre à la Cour de cassation, son mémoire afin que la Haute juridiction le transmette au Conseil Constitutionnel qui répondra à la question suivante : Les articles 23 de la loi 91-647 du 10 juillet 1991 et 43 dernier alinéa du décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020 portent-ils atteinte au principe du droit de la défense ' qui abrogera en conséquence, les dispositions visées et procédera à la publication qui en résultera.

 

Aux termes de son mémoire notifié par la voie électronique le 9 août 2022, la RIVP demande à la cour de juger M. [D] mal fondé en cette demande et de le condamner au paiement d'une amende civile au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile, à la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

 

Aux termes de son avis en date du 14 mars 2023, le ministère public demande à la cour de déclarer la question prioritaire de constitutionnalité irrecevable en ce qu'elle est imprécise, que la disposition critiquée ne s'app1ique pas au litige mais aussi en raison de son absence de caractère sérieux, de ne pas la transmettre à la Cour de cassation.

 

SUR CE, LA COUR

 

M. [D] entend soumettre au Conseil constitutionnel la conformité des dispositions suivantes :

 

- article 23 de la loi du 10 juillet 1991 :

 

Les décisions du bureau d'aide juridictionnelle, de la section du bureau ou de leur premier président peuvent être déférées, selon le cas, au président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation, au président de la cour administrative d'appel, au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, au président du Tribunal des conflits, au président de la Cour nationale du droit d'asile ou au membre de la juridiction qu'ils ont délégué. Ces autorités statuent sans recours.

 

Les recours contre les décisions du bureau d'aide juridictionnelle peuvent être exercés par l'intéressé lui-même lorsque le bénéfice de l'aide juridictionnelle lui a été refusé, ne lui a été accordé que partiellement ou lorsque ce bénéfice lui a été retiré.

 

Dans tous les cas, ces recours peuvent être exercés par les autorités suivantes :

 

-le garde des sceaux, ministre de la justice, pour ceux qui sont intentés contre les décisions du bureau institué près le Conseil d'Etat ;

 

-le ministère public pour ceux qui sont intentés contre les décisions des autres bureaux ;

 

-le président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour ceux qui sont intentés contre les décisions des bureaux institués près ces juridictions et le bâtonnier pour ceux qui sont intentés contre les décisions des autres bureaux".

 

- article 43 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 :

 

Sans préjudice de l'application de l'article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée et du II de l'article 44 du présent décret, lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée ou déposée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter :

 

1° De la notification de la décision d'admission provisoire ;

 

2° De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;

 

3° De la date à laquelle le demandeur de l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 69 et de l'article 70 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ;

 

4° Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.

 

Lorsque la demande d'aide juridictionnelle est présentée au cours des délais impartis pour conclure ou former appel ou recours incident, mentionnés aux articles 905-2, 909 et 910 du code de procédure civile et aux articles R. 411-30 et R. 411-32 du code de la propriété intellectuelle, ces délais courent dans les conditions prévues aux 2° à 4° du présent article.

 

Par dérogation aux premier et sixième alinéas du présent article, les délais mentionnés ci-dessus ne sont pas interrompus lorsque, à la suite du rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, le demandeur présente une nouvelle demande ayant le même objet que la précédente.

 

Il expose qu'en application de ces textes, après le rejet par la cour d'appel de Paris de la décision de refus du bureau d'aide juridictionnelle, un nouveau délai d'appel a commencé à courir, délai que le dépôt d'une nouvelle demande d'aide juridictionnelle n'a pas interrompu. Il en déduit que cette absence d'effet suspensif l'a privé de la possibilité de former un recours puisqu'il ne pouvait le faire que par l'intermédiaire d'un avocat, empêchant ainsi un examen de son dossier par la cour d'appel. Il conclut en dernier lieu, Si les décisions des autorités statuant sur une décision BAJ étaient considérées pour ce qu'elles sont, des décisions juridictionnelles motivées devant pouvoir faire l'objet d'un recours, la dernière phrase du 1er alinéa de l'article 23 de la loi 91-647 serait inconstitutionnelle et les effets du dernier alinéa de l'article 43 du décret 2020-1717 en seraient atténués.

 

Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité 

 

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

 

Au cas d'espèce, M. [D], développe, aux termes d'un écrit distinct de ses conclusions d'appel, l'argumentation qui soutient la question qu'il pose. Il remplit ainsi la condition de recevabilité tenant au dépôt d'un écrit distinct et motivé exigée par l'article 23-1 de l'ordonnance susvisée.

 

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation

 

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

 

« 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas déjà été declarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

 

3° la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Il convient de relever que, bien que l'article 61-1 de la Constitution prévoit la saisine du Conseil constitutionnel lorsqu'il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, la question posée par M. [D] dont la cour ne peut modifier ni l'objet ni la portée, se rapporte pour partie à des dispositions réglementaires.

 

De surcroît, M. [D] se borne à invoquer une violation des droits de la défense, sans préciser quel droit ou liberté constitutionnellement protégé serait atteint ; il n'explique pas en quoi la dernière phrase du 1er alinéa de l'article 23 de la loi 91-647 selon laquelle la décision statuant sur le recours d'une décision du bureau d'aide juridictionnelle est sans recours affecterait les droits de la défense, et surtout la question posée est rédigée d'une manière insuffisamment intelligible pour permettre l'exercice par le Conseil constitutionnel, du contrôle de constitutionnalité.

 

La question posée non seulement vise des dispositions réglementaires mais est dépourvue du caractère sérieux requis par les dispositions de la loi organique précitée. La demande aux fins de transmission à la Cour de cassation de cette question sera rejetée.

 

L'article 32-1 du code de procédure civile ne pouvant être mis en oeuvre que de la propre initiative de la juridiction, la demande présentée sur ce fondement ne peut pas prospérer, la RIVP n'ayant de surcroît aucun intérêt moral au prononcé d'une amende.

 

Enfin, M. [D] sera condamné aux dépens se rapportant à cette question prioritaire de constitutionnalité et à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

PAR CES MOTIFS,

 

par décision insuceptible de recours immédiat

 

Rejette la demande de M. [D] de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

 

Rejette la demande de la Régie immobilière de la Ville de [Localité 5] tendant au prononcé d'une amende civile ;

 

Condamne M. [D] à payer à la Régie immobilière de la Ville de [Localité 5] la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens liés à la question prioritaire de constitutionnalité.

 

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT