Cour administrative d'appel de Paris

Arrêt du 20 juin 2023 n° 23PA01310

20/06/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A B a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 31 juillet 2021 par lequel le ministre de l'intérieur a prolongé les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prononcées à son encontre le

3 mai 2021.

Par un jugement n° 2107242 du 4 août 2021, le magistrat désigné du tribunal administratif a annulé cet arrêté.

I- Par une requête, enregistrée sous le n° 21PA04634 le 12 août 2021, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Melun du 4 août 2021 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B devant le Tribunal administratif de Melun.

Il soutient que :

- la mesure prise répond aux deux conditions cumulatives posées par l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure ;

- l'intéressé représente une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre public résultant de son comportement, ainsi qu'il ressort de la note des services de renseignements, laquelle a valeur probante ;

- il présente un profil violent et multirécidiviste ;

- il entretient des relations avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ; tout au long de son parcours pénitentiaire, il a été observé qu'il était en relation avec des détenus radicalisés, dont certains ont été condamnés pour des faits de terrorisme, ce qui témoigne d'une proximité idéologique ;

- l'intéressé a manifesté son soutien et son adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme, par la présence dans son ordinateur en 2012 de documents de propagande islamiste radicale appelant à la guerre, et a par ailleurs été condamné par le tribunal correctionnel d'Evreux en 2016 pour apologie du terrorisme et provocation directe à un acte de terrorisme ; la relative discrétion de l'intéressé dans l'affichage de ses convictions n'est pas de nature à établir un réel changement.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 18 septembre et 1er novembre 2021,

M. B, représenté par Me Kechit, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures, de prononcer un non-lieu à statuer, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance ayant pris fin le

1er novembre 2021, la requête du ministre est devenue sans objet.

II - Par une requête, enregistrée sous le n° 21PA04635 le 12 août 2021, le ministre de l'intérieur demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du Tribunal administratif de Melun du 4 août 2021.

Il soutient que les conditions fixées par les articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont en l'espèce remplies.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 9 septembre et le 1er novembre 2021,

M. B, représenté par Me Kechit, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures, de prononcer un non-lieu à statuer, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance a pris fin le 1er novembre 2021, et que la requête du ministre est devenue sans objet.

M. B a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 8 décembre 2021.

Par un arrêt n° 21PA04634, 21PA04635 du 30 décembre 2021, la Cour administrative d'appel de Paris a, sur appel du ministre de l'intérieur, annulé ce jugement et rejeté la demande de M. B tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 juillet 2021.

Par une décision n° 464257 du 29 mars 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. B, a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 30 décembre 2021 et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par un nouveau mémoire, enregistré sous le n° 23PA01310 le 2 mai 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut aux mêmes fins que sa requête n° 21PA04634, par les mêmes moyens.

Par deux nouveaux mémoires, enregistrés sous le n° 23PA01310 et sous le

n° 23PA01322, le 3 mai 2023, M. B conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires, par les mêmes moyens.

Il renvoie à ses précédentes écritures.

Par ordonnance du 3 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 mai 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Niollet,

- et les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 31 juillet 2021, le ministre de l'intérieur a, sur le fondement des articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, renouvelé la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance prise à l'encontre de M. B pour une durée de trois mois. Par un jugement du 4 août 2021, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté. Par un arrêt du 30 décembre 2021, la Cour administrative d'appel de Paris a, sur appel du ministre de l'intérieur, annulé ce jugement et rejeté la demande d'annulation en excès de pouvoir présentée en première instance par l'intéressé. Par une décision du

29 mars 2023, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par M. B, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Sur la jonction :

2. L'appel et la demande de sursis à exécution présentés par le ministre de l'intérieur sont formés contre un même jugement, présentent à juger des mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :

3. M. B ayant été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris du 8 décembre 2021, les conclusions tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire sont dépourvues d'objet.

Sur la requête n°21PA04634 :

En ce qui concerne l'exception de non-lieu soulevée en défense :

4. La seule circonstance que les mesures prescrites par l'arrêté du 31 juillet 2021 ont pris fin le 1er novembre 2021 ne rend pas sans objet l'appel du ministre de l'intérieur contre le jugement annulant cet arrêté. Dans ces conditions, l'exception de non-lieu à statuer soulevée par M. B doit être écartée.

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

5. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre. ". L'article L. 228-2 du même code énonce que : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : / 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites () ". L'article L. 228-5 du même code énonce que : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à toute personne mentionnée à l'article L. 228-1, y compris lorsqu'il est fait application des articles L. 228-2 à L. 228-4, de ne pas se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique () ".

6. Il résulte des dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure que les mesures qu'il prévoit doivent être prises aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et sont subordonnées à deux conditions cumulatives, la première tenant à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics résultant du comportement de l'intéressé, la seconde aux relations qu'il entretient avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ou, de façon alternative, au soutien, à la diffusion ou à l'adhésion à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

7. Pour annuler l'arrêté du 31 juillet 2021 du ministre de l'intérieur, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Melun a estimé, d'une part, que M. B n'avait pas, à la date de cet arrêté, un comportement constituant une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, d'autre part, que le ministre, en estimant qu'il était en relation de manière habituelle avec des personnes incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, avait commis une erreur d'appréciation et, enfin, que les deux publications de M. B sur les réseaux sociaux n'étaient pas de nature à caractériser son soutien et la diffusion de thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme permettant de justifier les mesures de surveillance en cause.

8. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B a été condamné par la cour d'assises des Yvelines le 31 mai 2005 à trente ans de réclusion criminelle pour vol avec violence ayant entraîné la mort, avec torture ou acte de barbarie, par le tribunal correctionnel de Nanterre le 3 juillet 2007 à cinq ans d'emprisonnement pour vol avec violence, enlèvement et séquestration, par le tribunal correctionnel d'Evreux le 3 novembre 2016 à quinze mois d'emprisonnement pour provocation directe à un acte de terrorisme commise au moyen d'un service de communication au public en ligne et d'apologie publique d'un acte de terrorisme au moyen d'un service de communication au public en ligne, et en 2018, à deux mois d'emprisonnement pour recel. Par ailleurs, si, comme l'a relevé le magistrat désigné du Tribunal administratif de Melun, la situation d'évasion dans laquelle il a été placé le 11 décembre 2020 résultait d'un dysfonctionnement de l'administration, les mentions portées sur la note de renseignement produite par le ministre indiquent, sans que celles-ci soient sérieusement contredites en défense, que l'intéressé a menacé un surveillant pénitentiaire le 25 janvier 2021 et tenu des propos menaçants envers l'administration le 2 février 2021. Enfin, pour établir que le comportement de M. B constituait une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, le ministre s'est fondé sur des expertises psychiatriques menées entre 2002 et 2018, dont celle du 26 février 2018 qui précise, d'une part, que " le risque de récidive et/ou de réitération de tels agissements restent toutefois présents au regard des faits récents reprochés à M. B et de son profil de personnalité " et, d'autre part, que " M. B reste vulnérable à la suggestivité et la dynamique de groupe ". Ainsi, nonobstant la mesure de semi-liberté dont il a bénéficié et le respect par l'intéressé des obligations afférentes, le ministre de l'intérieur a pu considérer que le comportement de M. B constituait une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics.

9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment de la note de la direction de l'administration pénitentiaire en date du 24 mars 2021 ainsi que de la note de renseignement versée aux débats, que M. B a été en relation avec des individus radicalisés ou condamnés pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste dans plusieurs centres de détention où il a été incarcéré, et notamment au centre de détention de Val-de-Reuil et au centre pénitentiaire du Havre, où il a fréquenté, lors de promenades ou d'ateliers, quatre individus condamnés pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste et plusieurs autres connus pour leur radicalisation. Ainsi, le ministre de l'intérieur a pu estimer que M. B entretenait des relations avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme.

10. Enfin, pour justifier la mesure prise à l'encontre de M. B, le ministre de l'intérieur a relevé que ce dernier soutenait, diffusait, ou adhérait à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes. Il est constant qu'en 2016, M. B a été condamné pour apologie d'un acte de terrorisme pour avoir " diffusé via les réseaux sociaux des liens de sites hébergeant des photographies et vidéos estampillées du logo de l'Etat islamique montrant des armes, des djihadistes au combats ou des scènes de prisonniers ", et qu'il avait communiqué sur Twitter, sous une photo relative aux attentats de Nice avec les messages suivants : " je vous souhaite à tous de bons attentats, n'hésitez pas à vous approvisionner en kleenex " et " encore un petit effort, je suis sûr que vous pouvez faire mieux ". Eu égard à l'ensemble de ces éléments le ministre de l'intérieur a pu légalement estimer, nonobstant les regrets de l'intéressé et ses démarches, au demeurant non établies, tendant à bénéficier d'un droit à l'oubli numérique, que M. B soutenait et diffusait des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

11. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun s'est fondé sur les motifs rappelés ci-dessus pour annuler son arrêté du 31 juillet 2021.

12. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B devant le Tribunal administratif de Melun.

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :

13. Il résulte de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution que les juridictions relevant du Conseil d'Etat procèdent à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat " si les conditions suivantes sont remplies : " 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure () ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

14. Par un mémoire distinct en " question prioritaire de constitutionnalité ", M. B demande la transmission au Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 4 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement modifiant l'article L. 228-2 du code de sécurité intérieure qui disposent que : " () II. - Les mesures prononcées sur le fondement des articles

L. 228-1 à L. 228-5 du code de la sécurité intérieure qui sont en cours à la date de promulgation de la présente loi et dont le terme survient moins de sept jours après cette promulgation demeurent en vigueur pour une durée de sept jours à compter de ce terme si le ministre de l'intérieur a procédé, au plus tard le lendemain de la publication de la présente loi, à la notification de leur renouvellement selon la procédure prévue aux huitième et neuvième alinéas de l'article L. 228-2, aux septième et avant-dernier alinéas de l'article L. 228-4 et aux quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 228-5 du même code. ". Si M. B soutient que les dispositions de l'article 4 de la loi du 30 juillet 2021 ne seraient pas conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution, dès lors qu'elles maintiennent une décision au-delà de son terme initialement prévu en violation du principe de sécurité juridique, ces dispositions transitoires, qui se bornent à maintenir en vigueur durant sept jours la précédente mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance afin de permettre aux intéressés de bénéficier d'un contrôle a priori de la mesure de renouvellement, n'ont pas privé les intéressés du caractère suspensif du recours prévu par l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure. Ainsi, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, à la supposer recevable, est dépourvue de caractère sérieux et ne peut qu'être rejetée.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés en première instance par M. B :

15. En premier lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. Toutefois, les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme sont prises dans des conditions qui préservent l'anonymat de leur signataire. Seule une ampliation de cette décision peut être notifiée à la personne concernée ou communiquée à des tiers, l'original signé, qui seul fait apparaître les nom, prénom et qualité du signataire, étant conservé par l'administration. ". Aux termes de l'article L. 773-9 du code de justice administrative : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 sont adaptées à celles de la protection de la sécurité des auteurs des décisions mentionnées au second alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. Lorsque dans le cadre d'un recours contre l'une de ces décisions, le moyen tiré de la méconnaissance des formalités prescrites par le même article L. 212-1 ou de l'incompétence de l'auteur de l'acte est invoqué par le requérant ou si le juge entend relever d'office ce dernier moyen, l'original de la décision ainsi que la justification de la compétence du signataire sont communiqués par l'administration à la juridiction qui statue sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni indiquer l'identité du signataire dans sa décision ".

16. D'une part, l'arrêté attaqué ayant été pris pour des motifs liés à la prévention des actes de terrorisme, cette décision est au nombre de celles qui, en application des dispositions précitées, ne peuvent faire l'objet d'une notification que sous la forme d'une ampliation anonyme. Dans ces conditions, M. B ne peut utilement contester sa régularité au motif que l'ampliation qui lui a été notifiée ne comportait pas les mentions visées par les dispositions précitées du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration.

17. D'autre part, le ministre a produit devant la Cour, dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article L. 773-9 du code de justice administrative, l'original de l'arrêté attaqué, qui revêt l'ensemble des mentions requises par le premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, dont notamment l'identité et la signature de son auteur, lequel disposait d'une délégation régulière attribuée par le ministre de l'intérieur. Par suite, le moyen soulevé par M. B tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté doit être écarté.

18. En deuxième lieu, l'arrêté en litige vise les textes du code de la sécurité intérieure dont il fait application ainsi que notamment l'arrêté du 3 mai 2021 dont il porte prolongation pour trois mois et comporte l'ensemble des considérations de fait qui en constitue le fondement. Par ailleurs, cet arrêté rappelle les conditions d'édiction d'une telle mesure, ainsi que le passé judiciaire de M. B, et expose les motifs pour lesquels il existe de sérieuses raisons de penser que son comportement constituait toujours une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics, les motifs pour lesquels il devait être regardé comme entrant en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, et les motifs pour lesquels il devait être regardé comme soutenant, diffusant et adhérant à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

19. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que par un courrier électronique en date du 30 juillet 2021, le ministre de l'intérieur a, conformément aux dispositions de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, citées au point 5, informé le procureur de la République de Paris ainsi que le procureur de Créteil territorialement compétent, de la mesure envisagée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté serait intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière doit être écarté.

20. En quatrième lieu, le Conseil constitutionnel a déclaré dans sa décision n° 2017-691 du 16 février 2018 les dispositions de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure conformes à la Constitution au motif qu'elles ne méconnaissaient aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. Par suite, M. B n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté porterait atteinte à sa liberté de conscience et de religion.

21. En cinquième lieu, aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. ". Si les mesures de contrôle et de surveillance renouvelées restreignent la liberté d'aller et venir de M. B, celles-ci ne sont pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi par ce dispositif, qui tend à préserver l'ordre et la sécurité publics, l'intéressé pouvant au demeurant circuler en Ile-de-France et au-delà de ce périmètre, sous réserve d'obtenir au préalable un sauf-conduit.

22. En sixième lieu, M. B soutient que les mesures de contrôles prises à son encontre violent le droit au travail consacré par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'obligation de se présenter au commissariat tous les jours à 19 heures 30 l'aurait empêché de travailler ou d'entreprendre. En effet, si M. B soutient qu'il aurait perdu un premier emploi d'ouvrier au sein de la société EAEG au motif que son emploi du temps n'était pas compatible avec ses obligations quotidiennes de présentation au commissariat, il déclare qu'il a immédiatement retrouvé un emploi en qualité de plombier. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté porterait atteinte au droit au travail doit être écarté.

23. En septième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, " " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

24. Ainsi que l'a précisé dans une réserve d'interprétation le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, il appartient au ministre de l'intérieur de tenir compte, dans la détermination des personnes dont la fréquentation est interdite, des liens familiaux de l'intéressé et de s'assurer en particulier que la mesure d'interdiction de fréquentation ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale.

25. Si M. B soutient que les mesures de contrôle dont il a fait l'objet ne lui permettaient plus de voir ses enfants âgés de 10 et 12 ans, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il n'avait jamais vécu avec eux, qu'il ne les avait pas vus depuis plusieurs années, et qu'il ne disposait pas, à la date de l'arrêté en litige, d'un droit de visite et d'hébergement. En outre, et alors qu'il lui était possible de solliciter un sauf-conduit pour aller voir ses enfants, il n'établit pas que ces derniers n'auraient pas été en mesure de venir le rejoindre en région parisienne. Par suite, en prenant l'arrêté contesté, le ministre n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé à mener une vie familiale normale, et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

26. Il résulte de ce qui précède que M. B n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué comporterait des mesures disproportionnées et porterait une atteinte excessive à ses libertés d'aller et venir, de circulation, à sa liberté de travailler et d'entreprendre, à sa liberté de conscience et à son droit à mener une vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré du caractère disproportionné de la mesure doit être écarté.

27. En dernier lieu, il résulte des termes de l'arrêté du 31 juillet 2021, celui-ci a été adopté aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme. Il s'ensuit que M. B n'est pas fondé à soutenir que le ministre de l'intérieur aurait commis un détournement de pouvoir.

28. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 31 juillet 2021. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. B devant le Tribunal administratif de Melun ainsi que sa demande devant la Cour présentée au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Sur la requête n° 21PA04635 :

29. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n° 2107242 du

4 août 2021 du Tribunal administratif de Melun, les conclusions de la requête n° 21PA04635 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Dès lors, il n'y a plus lieu d'y statuer.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21PA04635 du ministre de l'intérieur tendant au sursis à exécution du jugement n° 2107242 du Tribunal administratif de Melun du

4 août 2021.

Article 3 : Le jugement n° 2107242 du Tribunal administratif de Melun du 4 août 2021, est annulé.

Article 4 : La demande présentée par M. B devant le Tribunal administratif de Melun et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A B.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 juin 2023.

Le rapporteur,

J-C. NIOLLETLe président,

T. CELERIER

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 23PA01310- 23PA0132

Code publication

C