Tribunal administratif de Paris

Jugement du 16 juin 2023 n° 2102699

16/06/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 février 2021, 14 mai 2021 et 11 juin 2021, Mme A B, représentée par Me Bellanger, demande au tribunal :

1°) d'annuler le compte rendu d'entretien professionnel dont elle a fait l'objet au titre de l'année de gestion 2019, la décision de rejet de son recours en révision du 6 octobre 2020 et la décision du 10 décembre 2020 rejetant partiellement le recours, demandé à sa requête, par la commission administrative paritaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le compte rendu d'entretien et les décisions de rejet du recours en révision et du recours devant la commission administrative paritaire ont été signés par une autorité incompétente ; elle n'avait pas connaissance de son rattachement à la division " ressources humaines, vie de l'agent et conditions de vie et au travail " ; elle est un agent " à la disposition du Directeur " ;

- ils sont illégaux par voie d'exception de l'illégalité de la note de service du 7 janvier 2019 et de l'instruction du 6 janvier 2020 ; elle a été évaluée selon les règles de droit commun fixées par ces circulaires ; elle est chargée d'un mandat syndical et consacre l'essentiel de son temps de travail à ses activités syndicales ; sa situation aurait donc dû lui permettre de bénéficier des dispositions applicables aux permanents syndicaux ; la note et l'instruction sont illégales en ce qu'elles réitèrent une norme illégale elle-même contenue dans le décret ; elles méconnaissent directement le principe d'égalité et la liberté syndicale ; les agents chargés d'un mandat syndical et qui exercent leur activité au moyen d'autorisations d'absence sont exclus du décret du 28 septembre 2017 ;

- en application de l'article 15 du décret du 28 septembre 2017 elle aurait dû faire l'objet d'un entretien annuel d'accompagnement ;

- son administration ne pouvait l'évaluer compte tenu de l'insuffisance de sa présence effective dans le service ; elle n'a exercé aucune activité effective au sein de son service d'affectation et sa valeur professionnelle et sa manière de servir ont été appréciées ; elles ont été appréciées par rapport à son activité syndicale ;

- les décisions attaquées méconnaissent l'article 23 bis de la loi du 13 juillet 1983 et l'article 15 du décret du 28 septembre 2017 selon lesquels le compte rendu ne peut comporter aucune appréciation de la valeur professionnelle ;

- aucune appréciation générale de sa manière de servir n'a été portée sur le compte rendu et il ne comporte pas d'objectifs.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 mai 2021 et 4 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 15 mars 2021, 23 avril 2021 et 6 août 2021, Mme B demande au tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de ses comptes rendus d'entretien professionnel au titre de l'année de gestion 2019 de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 23 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité et la liberté syndicale.

Par des mémoires, enregistrés les 16 avril 2021 et 1er février 2023, le ministre de la transformation et de la fonction publiques soutient que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question ne présente pas de caractère sérieux.

Vu les pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984

- le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 ;

- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ;

- le décret n° 2017-1419 du 28 septembre 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Blusseau, conseiller ;

- les conclusions de M. Degand, rapporteur public ;

- et les observations de Me Cortes, pour Mme B.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A B, contrôleuse principale des finances publiques affectée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France, exerce depuis 2010 des fonctions syndicales auxquelles elle consacre la totalité de son temps de travail. En septembre 2020, elle a réceptionné son compte rendu d'entretien professionnel au titre de l'année de gestion 2019. Le recours en révision qu'elle a formé le 15 septembre 2020 contre ce compte-rendu a été rejeté le 6 octobre 2020. Le 29 octobre 2020, elle a formé un recours devant la commission administrative paritaire. Le 10 décembre 2020, ses appréciations sur son compte rendu d'entretien professionnel ont été modifiées. Mme B demande au tribunal d'annuler le compte rendu d'entretien professionnel dont elle a fait l'objet au titre de l'année de gestion 2019, la décision de rejet de son recours en révision du 6 octobre 2020 et la décision du 10 décembre 2020 rejetant partiellement son recours demandé à sa requête par la commission administrative paritaire du 10 décembre 2020 sur le fondement de l'article 6 du décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 23 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version résultant de l'article 58 de la loi du 20 avril 2016, alors en vigueur : " I. Sous réserve des nécessités du service, le fonctionnaire en position d'activité ou de détachement qui, pour l'exercice d'une activité syndicale, bénéficie d'une décharge d'activité de services ou est mis à la disposition d'une organisation syndicale, est réputé conserver sa position statutaire. / II. Le fonctionnaire qui bénéficie, depuis au moins six mois au cours d'une année civile, de l'une des mesures prévues au I et qui consacre la totalité de son service à une activité syndicale a droit, dès la première année, à l'application des règles suivantes : / 1° Son avancement d'échelon a lieu sur la base de l'avancement moyen, constaté au sein de la même autorité de gestion, des fonctionnaires du même grade ; / 2° Lorsqu'il réunit les conditions fixées par le statut particulier de son corps ou cadre d'emplois pour bénéficier d'un avancement d'échelon spécial, ce fonctionnaire est inscrit, de plein droit, au tableau d'avancement de cet échelon spécial, au vu de l'ancienneté acquise dans l'échelon immédiatement inférieur et de celle dont justifient en moyenne les fonctionnaires détenant le même échelon, relevant de la même autorité de gestion et ayant accédé, au titre du précédent tableau d'avancement et selon la même voie, à l'échelon spécial ; / 3° Lorsqu'il réunit les conditions fixées par le statut particulier de son corps ou cadre d'emplois pour bénéficier d'un avancement de grade au choix, ce fonctionnaire est inscrit, de plein droit, au tableau d'avancement de grade, au vu de l'ancienneté acquise dans ce grade et de celle dont justifient en moyenne les fonctionnaires titulaires du même grade relevant de la même autorité de gestion et ayant accédé, au titre du précédent tableau d'avancement et selon la même voie, au grade supérieur. / III. Le fonctionnaire occupant un emploi à temps complet qui bénéficie de l'une des mesures prévues au I et qui consacre une quotité de temps de travail au moins égale à 70 % et inférieure à 100 % d'un service à temps plein à une activité syndicale est soumis au II. / IV. Par dérogation à l'article 17, le fonctionnaire occupant un emploi à temps complet qui bénéficie de l'une des mesures prévues au I du présent article et qui consacre une quotité de temps de travail au moins égale à 70 % et inférieure à 100 % d'un service à temps plein à une activité syndicale a droit à un entretien annuel avec l'autorité hiérarchique dont il relève, sans être soumis à une appréciation de sa valeur professionnelle. Toutefois, cet entretien annuel n'a pas lieu lorsque les dispositions du statut particulier de son corps ou cadre d'emplois d'origine prévoient le maintien d'un système de notation. / V. Les compétences acquises dans l'exercice d'une activité syndicale sont prises en compte au titre des acquis de l'expérience professionnelle. / VI. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article, notamment les conditions dans lesquelles le fonctionnaire soumis aux II et III conserve le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire et dans lesquelles le fonctionnaire soumis au même II bénéficie d'un entretien sans appréciation de sa valeur professionnelle. ".

4. Les dispositions des II, III et IV de l'article 23 bis de la loi du 13 juillet 1983 prévoient les garanties applicables aux agents qui, pour l'exercice d'une activité syndicale, sont mis à disposition d'une organisation syndicale ou bénéficient d'une décharge d'activité de services et qui consacrent une quotité de leur temps de travail au moins égale à 70 % d'un service à temps plein à l'activité syndicale.

5. Si ces dispositions subordonnent le bénéfice des garanties qu'elles instituent au fait que l'agent concerné bénéficie d'une mise à disposition ou d'une décharge d'activité de services au titre de son activité syndicale, elles n'imposent pas que la quotité minimale de temps de travail consacrée à cette activité par l'agent soit atteinte exclusivement par l'un de ces deux moyens, cette condition de quotité pouvant être satisfaite en combinant ceux-ci avec les autres moyens prévus par la réglementation en vigueur, notamment les crédits d'heures et autorisations spéciales d'absence mentionnés aux articles 11 et suivants du décret du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique.

6. En exigeant que les agents concernés bénéficient d'une mise à disposition ou d'une décharge d'activité, et non seulement d'un des autres dispositifs prévus par la réglementation en vigueur pour consacrer une partie de leur temps à l'activité syndicale, afin que les garanties qu'il a instituées soient réservées aux agents justifiant d'un engagement syndical inscrit dans la durée, le législateur a institué une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi, qui ne méconnaît ni le principe d'égalité devant la loi ni la liberté syndicale.

7. Par suite, les griefs tirés de ce que les dispositions litigieuses méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi et la liberté syndicale au motif qu'elles traiteraient différemment les agents bénéficiant d'une décharge d'activité de services et ceux consacrant plus de 70 % de leur temps à l'activité syndicale par d'autres moyens ne présentent pas un caractère sérieux.

8. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

9. Aux termes des dispositions de l'article 17 de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur : " La valeur professionnelle des fonctionnaires fait l'objet d'une appréciation qui se fonde sur une évaluation individuelle donnant lieu à un compte rendu qui leur est communiqué. ". Aux termes des dispositions de l'article 55 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le pouvoir de fixer les notes et appréciations générales exprimant la valeur professionnelle des fonctionnaires dans les conditions définies à l'article 17 du titre Ier du statut général est exercé par le chef de service. () Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article. ". Aux termes de l'article 2 du décret du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire bénéficie chaque année d'un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct. () ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " L'entretien professionnel porte principalement sur : /1° Les résultats professionnels obtenus par le fonctionnaire eu égard aux objectifs qui lui ont été assignés et aux conditions d'organisation et de fonctionnement du service dont il relève ; /2° Les objectifs assignés au fonctionnaire pour l'année à venir et les perspectives d'amélioration de ses résultats professionnels, compte tenu, le cas échéant, des perspectives d'évolution des conditions d'organisation et de fonctionnement du service ; /3° La manière de servir du fonctionnaire ; /4° Les acquis de son expérience professionnelle ; /5° Le cas échéant, la manière dont il exerce les fonctions d'encadrement qui lui ont été confiées ; /6° Les besoins de formation du fonctionnaire eu égard, notamment, aux missions qui lui sont imparties, aux compétences qu'il doit acquérir et à son projet professionnel ; /7° Ses perspectives d'évolution professionnelle en termes de carrière et de mobilité. () ". Aux termes des dispositions de l'article 4 du même décret : " Le compte rendu de l'entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Il comporte une appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de ce dernier. () ".

10. S'il résulte des dispositions précitées que, sauf dérogation prévue par les statuts particuliers, doit être attribuée chaque année à tout fonctionnaire en activité une note chiffrée accompagnée d'une appréciation écrite exprimant sa valeur professionnelle, l'application de ces dispositions est subordonnée à la présence effective du fonctionnaire au cours de l'année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service d'apprécier sa valeur professionnelle.

11. Il ressort des pièces du dossier que Mme B exerce des fonctions syndicales auxquelles elle consacre la totalité de son temps de travail et n'a pas fait l'objet d'une évaluation professionnelle depuis 2010. Il en ressort également que, si le compte rendu d'entretien professionnel établi pour l'année 2019 mentionne au titre de l'appréciation générale qu'il est établi pour ordre au motif que Mme B n'a pas eu d'activité dans les services en 2019 et indique au titre des objectifs qu'ils seront fixés par le chef de service en cas de reprise d'activité, en revanche, le tableau synoptique appréciant la valeur professionnelle ainsi que la manière de servir de l'agent indique " très bon " dans toutes les rubriques alors que Mme B n'a exercé aucune activité. La requérante a ainsi été évaluée alors qu'il est constant qu'elle n'a eu aucune présence effective pendant une durée suffisante au cours de l'année de gestion 2019 de sorte que l'administration était ainsi dans l'impossibilité d'apprécier sa valeur professionnelle. Par suite, elle est fondée à soutenir qu'en l'évaluant l'administration a commis une erreur de droit alors même qu'elle ne relève pas des dispositions du IV de l'article 23 bis de la loi du 13 juillet 1983.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B est fondée à demander l'annulation de son compte rendu d'entretien professionnel au titre de l'année de gestion 2019 et des décisions rejetant ses recours en révision.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le compte rendu d'entretien professionnel de Mme B au titre de l'année de gestion 2019 et les décisions rejetant ses recours en révision sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à Mme B une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Aubert, présidente,

M. Julinet, premier conseiller,

M. Blusseau, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2023.

Le rapporteur,

A. BLUSSEAU

La présidente,

S. AUBERT

La greffière,

A. LOUART

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C