Tribunal administratif de Melun

Jugement du 12 juin 2023 n° 2109161

12/06/2023

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 octobre 2021 et 3 mars 2023,

Mme B C, représentée par Me Rousseau, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 21 septembre 2021 par laquelle la directrice des ressources humaines du centre hospitalier Léon Binet l'a suspendue de ses fonctions sans traitement à compter du 21 septembre 2021 ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier Léon Binet de la rétablir dans ses droits, dans un délai de cinq jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard en lui versant sa rémunération à compter du 21 septembre 2021, en prenant en compte la période d'absence du service à compter de cette date comme une période de travail effectif au titre de ses droits à congés payés, de son ancienneté et de son avancement ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Léon Binet la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;

- cette mesure, qui peut être qualifiée de sanction déguisée, a été prise au terme d'une procédure irrégulière à défaut d'avoir été convoquée à un entretien préalable, d'avoir été informée qu'elle pouvait prendre connaissance de son dossier administratif et disciplinaire et se faire assister par un représentant de son choix ; dès lors qu'il s'agit d'une mesure prise en considération de la personne, l'administration ne peut prendre de décision sans avoir préalablement mis l'agent à même de présenter des observations en application de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ; en tout état de cause, elle n'a pas été suffisamment informée des possibilités de régularisation de sa situation, le cas échéant, à l'issue de son congé maladie, notamment, de la possibilité de présenter une demande de congés payés pour éviter une mesure de suspension sans traitement ;

- la décision contestée constitue une sanction disciplinaire qui ne pouvait être prise sans respecter les garanties statutaires prévues par les lois des 13 juillet 1983 et 9 janvier 1986 et, notamment, sans que le centre hospitalier ait recueilli l'avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline ;

- elle est entachée d'illégalité en raison de son caractère rétroactif ; la décision contestée ne pouvait prendre effet dès le 21 septembre 2021 ;

- elle méconnaît les dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 ; l'obligation vaccinale ne concerne que les seuls agents qui exercent effectivement leurs fonctions au sein des services des établissements mentionnées à l'article 12 de la loi du 5 août 2021 ; les agents placés en congés maladie, détachés dans un autre établissement ou en disponibilité, ne sont pas soumis à l'obligation vaccinale ; or, elle est absent du service en raison de l'arrêt de travail dont elle a fait l'objet, à effet du 10 août 2021 ; les dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 ne s'appliquent à un agent public que lorsque son état de santé lui permet de reprendre son activité professionnelle et, en aucun cas, avant son retour dans le service ; le juge des référés du Conseil d'Etat a retenu que la suspension d'un agent public qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question ; la mesure litigieuse méconnaît les dispositions statutaires relatives au droit de tout agent public d'être placé en arrêt maladie et de percevoir son traitement durant cette période ainsi que le droit à avancement ; un certificat de vaccination ne saurait légalement lui être demandé avant toute reprise de son service, de la même façon que le suspension ne peut prendre effet qu'au terme de son congé maladie ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 15 du décret du 19 avril 1988 dès lors que l'administration ne pouvait se substituer au médecin contrôleur pour apprécier le bien-fondé de son arrêt maladie ;

- elle est constitutive d'une discrimination liée à son état de santé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 août 2022, le centre hospitalier Léon Binet, représenté par son directeur en exercice, représenté par la Selarl Blt Droit Public, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme C en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L.121-1 du code des relations entre le public et l'administration est inopérant ;

- il était en situation de compétence liée et devait donc automatiquement suspendre Mme C dès lors qu'elle n'avait transmis aucun justificatif vaccinal ;

- les autres moyens invoqués par Mme C ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 29 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 14 avril 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

- le décret n°88-386 du 19 avril 1988 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bonneau-Mathelot,

- les conclusions de Mme Letort, rapporteure publique,

- et les observations de Me Rousseau, représentant Mme C , et de Me Bitar, représentant le Centre hospitalier Léon Binet.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C exerce en qualité d'infirmière au sein du centre hospitalier (CH) Léon Binet à Provins. Par une décision du 21 septembre 2021, la directrice des ressources humaines l'a suspendue de ses fonctions, à compter du même jour, jusqu'à ce qu'elle remplisse " les conditions nécessaires à l'exercice de son activité, soit dès qu'il aura fourni un " passe sanitaire complet " ou, à défaut, un justificatif de l'administration d'une des doses requises ainsi que le résultat de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination Covid-19 auprès de la médecine du travail ". Mme C était, par ailleurs, informée qu'à compter du 21 septembre 2021, elle ne percevrait plus aucune rémunération. Par la présente requête, Mme C demande au tribunal d'annuler cette décision du 21 septembre 2021.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (). / II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la covid-19 des personnes mentionnées au I du présent article. Il précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises. / Ce décret fixe les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal pour les personnes mentionnées au même I et les modalités de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis. Il détermine également les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 et le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ". Aux termes de l'article 13 de cette loi : " I - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. / (). / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. / () ". Et aux termes de l'article 14 de la même loi : " I. - (). / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / (). / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / () ".

3. Il résulte des dispositions précitées des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire qu'il appartient aux établissements de soins de contrôler le respect de l'obligation vaccinale de leurs personnels soignants et agents publics et, le cas échéant, de prononcer une suspension de leurs fonctions jusqu'à ce qu'il soit mis fin au manquement constaté. L'appréciation selon laquelle les personnels ne remplissent pas les conditions posées par ces dispositions, ne résulte pas d'un simple constat, mais nécessite non seulement l'identification du cas, parmi ceux énumérés par le I de l'article 13, dans lequel se trouve l'agent, mais également l'examen de la régularité du justificatif produit au regard de ces dispositions et de celles des dispositions réglementaires prises pour leur application. Par suite, contrairement à ce que soutient le CH Léon Binet, l'administration n'était pas en situation de compétence liée pour prendre la mesure litigieuse.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par une décision n°2020-047 du 2 juin 2020, notifiée le même jour à Mme A, signataire de la décision contestée, et publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de Seine-et-Marne du 11 juin 2020, le directeur du CH Léon Binet a donné à Mme A, directrice adjointe, chargée des ressources humaines et des affaires médicales, délégation à l'effet de signer les actes et documents relevant des attributions de la direction des ressources humaines et des affaires médicales. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision attaquée manque en fait et ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort des termes de la décision attaquée que la suspension de fonctions, assortie d'une suspension de traitement, dont a fait l'objet Mme C, a été prise sur le fondement des dispositions de la loi du 5 août 2021 précitées au point 2. du présent jugement. Or, la mesure par laquelle un agent public est suspendu de ses fonctions, assortie de la suspension de son traitement, expressément prévue par les dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, que l'employeur met en œuvre lorsqu'il constate que cet agent public ne peut plus exercer ses fonctions en application du I de cet article 14, s'analyse comme une mesure prise dans l'intérêt de la santé publique, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire, et n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautifs commis par cet agent public, qui demeure soumis aux dispositions relatives aux droits et obligations conférés aux agents publics, particulièrement à celles de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Dans ces conditions, Mme C ne peut utilement soutenir que la décision en litige serait constitutive d'une sanction disciplinaire, voire même d'une sanction déguisée, qui aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière sans respecter les garanties attachées à la procédure disciplinaire prévues par les dispositions de la loi du 13 juillet 1983 et des articles 82 et 83 de la loi du 9 janvier 1986.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".

7. A supposer que Mme C ait entendu invoquer le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, il résulte de ces dispositions que la procédure contradictoire préalable prévue à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration n'est pas applicable aux agents publics. Dans ces conditions, le moyen invoqué ne peut qu'être écarté comme inopérant.

8. En quatrième lieu, il ressort des dispositions précitées du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 que l'employeur, qui constate que l'agent ne peut plus exercer son activité en application du I du même article, informe celui-ci sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi, ainsi que des moyens de régulariser sa situation. Cette information, qui doit intervenir à compter du constat d'impossibilité d'exercer de l'agent, est nécessairement personnelle et préalable à l'édiction de la mesure de suspension. Toutefois, cette procédure d'information préalable n'impose nullement une obligation pour l'employeur de tenir un entretien. Par ailleurs, il ressort des dispositions précitées qu'eu égard aux objectifs poursuivis par le législateur et aux obligations qui pèsent sur les établissements de santé en matière de protection des personnes vulnérables, les moyens de régulariser sa situation ne peuvent que concerner les modalités par lesquelles les personnes qui y exercent leur activité s'engagent dans un processus de vaccination. La faculté qui est offerte à l'agent d'utiliser des jours de congés payés, sous réserve de l'accord de son employeur, n'a que pour objet de permettre à l'agent de différer la date d'effet de la mesure de suspension découlant de l'impossibilité dans laquelle il s'est placé d'exercer ses fonctions, mais n'est pas une modalité de régularisation de la situation de l'agent au regard de son obligation vaccinale.

9. Il ressort des pièces versées au dossier que, par un courrier du 16 septembre 2021, que Mme C ne conteste pas ne pas avoir reçu, la directrice des ressources humaines du CH Léon Binet, l'a informée, après lui avoir rappelé " qu'à [sa] connaissance (), [elle n'avait] pas justifié de l'obligation vaccinale contre la Covid-19 ", que le motif de son absence du service ne l'exonérait pas de produire un justificatif et que, dans l'hypothèse où elle disposait d'un tel document, elle était invitée à le transmettre sans délai au service des ressources humaines.

Mme C, était, en outre, avisée que depuis le 15 septembre 2021, à défaut de ce justificatif, " [elle ne pouvait] plus exercer au sein du centre hospitalier avec pour conséquences la non rémunération et la perte de [ses] droits à l'avancement ". Il était, par ailleurs, indiqué que " le service des ressources humaines rest[ait] à sa disposition pour plus d'information si nécessaire et [le] rencontrer ". Si ce courrier du 16 septembre 2021 informe personnellement Mme C non seulement de l'interdiction d'exercer dont elle a fait l'objet, ainsi que des conséquences sur sa situation personnelle mais également de la possibilité de régulariser sa situation, il n'est, toutefois, pas contesté par Mme C qu'antérieurement à ce courrier du 16 septembre 2021, elle a été rendue destinataire de deux courriers du directeur des 23 août et 6 septembre 2021, ayant pour objet " vaccination Covid-19 ", l'informant, sur le fondement de la loi du 5 août 2021, des obligations vaccinale et de présentation d'un justificatif de vaccination, auquel était jointe une frise chronologique détaillant les documents à présenter (un justificatif de vaccination complète, un justificatif d'une première dose et le résultat d'un test virologique négatif de moins de 72 heures, un certificat de rétablissement valide ou un certificat médical de contre-indication). Dans ces conditions, Mme C doit être regardée comme ayant été suffisamment informée des conséquences qu'emporte l'interdiction d'exercer son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. La circonstance alléguée qu'elle n'a pas été informée de la possibilité de présenter une demande de congés payés pour éviter une mesure de suspension sans traitement est, compte tenu de ce qui a été dit au point ci-dessus, sans incidence sur l'interdiction d'exercer à laquelle s'expose les agents non vaccinés. Il suit de là que Mme C n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige aurait été prise en méconnaissance des dispositions précitées du III l'article 14 de la loi du 5 août 2021 à défaut d'avoir été suffisamment informé possibilités de régularisation de sa situation et, notamment, de présenter une demande de congés payés.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité à droit : / () ; / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42. / () ". Aux termes de l'article 15 du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction alors applicable : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'autorité dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. Cet avis indique, d'après les prescriptions d'un médecin, d'un chirurgien-dentiste ou d'une sage-femme, la durée probable de l'incapacité de travail. / En cas d'envoi de l'avis d'interruption de travail au-delà du délai prévu à l'alinéa précédent, l'autorité investie du pouvoir de nomination informe par courrier le fonctionnaire du retard constaté et de la réduction de la rémunération à laquelle il s'expose en cas de nouvel envoi tardif dans les vingt-quatre mois suivant l'établissement du premier arrêt de travail considéré. / () ".

11. Il ressort des termes de la décision attaquée qu'elle n'a pas été prise sur le fondement de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dont le décret, précité au point ci-dessus, fait application, mais sur le fondement des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, qui instaurent, pour certains agents publics, une obligation vaccinale contre la covid-19, et qui prévoient que le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à cette obligation vaccinale sans avoir, et en tout état de cause, à porter une appréciation sur le bien-fondé d'un congé de maladie accordé à un agent. Dans ces conditions, Mme C ne peut utilement soutenir que la décision litigieuse aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 15 du décret du 19 avril 1988 au motif que l'administration ne pouvait se substituer au médecin contrôleur pour apprécier le bien-fondé de son arrêt maladie.

12. En sixième lieu, les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir. S'agissant des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires ou des militaires, l'administration ne peut déroger à cette règle générale en leur conférant une portée rétroactive que dans la mesure nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation.

13. En l'espèce, il ne ressort pas de la décision contestée du 21 septembre 2021 par laquelle la directrice des ressources humaines du CH Léon Binet a suspendu sans traitement Mme C de ses fonctions, à compter du même jour, qu'elle ait eu une portée rétroactive. Dans ces conditions, le moyen invoqué tiré de la portée rétroactive de cette décision ne peut qu'être écarté.

14. En septième lieu, d'une part, aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : " Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ".

15. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".

16. Enfin, aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement () de son état de santé, (), une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. / Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. / () ".

17. Mme C, qui se prévaut de la décision-cadre n° 2021-291 du 15 novembre 2021 du défenseur des droits, soutient qu'il se déduit des textes et principes évoqués par le défenseur des droits que la décision critiquée est illégale en raison de la discrimination qu'il a subie en raison de son état de santé. A supposer que Mme C ait entendu invoquer la méconnaissance des dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 à l'encontre de la décision attaquée, elle doit être regardée comme ayant dirigé sa critique contre les dispositions de la loi du 5 août 2021, dont cette décision fait application. Or, Mme C n'a pas soulevé ce moyen par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui ne pourrait résulter, au demeurant et sous peine d'irrecevabilité, que d'un mémoire distinct et motivé en application de l'article R. 771-4 du code de justice administrative. En revanche, si Mme C peut être regardée comme ayant entendu se prévaloir de la méconnaissance des stipulations et dispositions précitées aux points 15. et 16. du présent jugement à l'encontre de la décision contestée du 21 septembre 2021, elle est fondée à soutenir que cette décision en tant qu'elle a suspendu son traitement alors qu'elle était placée en congé de maladie a présenté un caractère discriminatoire dès lors que la directrice des ressources humaines du CH Léon Binet n'a pas tenu compte des particularités de sa situation.

18. En huitième et dernier lieu, il résulte des dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 précitées au point 2. du présent jugement que si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question.

19. En l'espèce, par une décision du 21 septembre 2021, la directrice des ressources humaines du CH Léon Binet a suspendu sans traitement Mme C de ses fonctions à compter du 21 septembre 2021 pour défaut de présentation d'un justificatif de sa vaccination contre la Covid-19. Or, il est constant qu'à cette date, Mme C était placée en congé de maladie ordinaire depuis le 23 août 2021. Il suit de là que la décision de suspension prise à l'encontre de Mme C ne pouvait être d'effet immédiat et devait voir son entrée en vigueur différée au terme de son congé de maladie.

20. Il résulte de ce qui précède, que la décision contestée, en tant qu'elle suspend les fonctions sans traitement de Mme C à compter du 21 septembre 2021, doit être annulée.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

21. Le présent jugement, qui annule la décision du 21 septembre 2021 de la directrice des ressources humaines du CH Léon Binet en tant qu'elle suspend Mme C de ses fonctions et qu'elle suspend le versement de son traitement avant l'expiration de son congé maladie, implique nécessairement que l'administration prenne une nouvelle décision rétablissant l'intéressé dans ses droits à rémunération, pour la période courant du 21 septembre 2021 au terme de son congé de maladie, assimile la période d'absence du service de l'intéressée à compter de cette même date à une période de travail effectif pour la détermination de la durée de ses congés payés ainsi que pour ses droits acquis au titre de son ancienneté, et prenne en compte cette même période au titre de son avancement, dans le délai de quinze jours suivant la notification du présent jugement. Il n'y a pas lieu, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme C, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du CH Léon Binet, sur le fondement des mêmes dispositions, une somme de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 21 septembre 2021 de la directrice des ressources humaines du centre hospitalier Léon Binet, en tant qu'il suspend sans traitement Mme C de ses fonctions à compter du 21 septembre 2021, est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au centre hospitalier Léon Binet de prendre une nouvelle décision rétablissant la rémunération de Mme C, pour la période courant du 21 septembre 2021 au terme de son congé de maladie, d'assimiler la période d'absence du service de l'intéressée à compter de cette même date à une période de travail effectif pour la détermination de la durée de ses congés payés ainsi que pour ses droits acquis au titre de son ancienneté, et de prendre en compte cette même période au titre de son avancement, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C et les conclusions présentées par le centre hospitalier Léon Binet sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le centre hospitalier Léon Binet versera à Mme C une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme B C et au centre hospitalier Léon Binet.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Bonneau-Mathelot, présidente,

Mme Réchard, première conseillère,

Mme Luneau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2023.

La présidente-rapporteure,

S. BONNEAU-MATHELOT

L'assesseure la plus ancienne,

J. RECHARDLa greffière,

S. SCHILDER

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Code publication

C