Tribunal administratif de Rennes

Jugement du 12 juin 2023 n° 2003602

12/06/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 août 2020, 13 avril 2021,

24 janvier 2023, 2 mai 2023 et 22 mai 2023, la société Ile De Sein Energies (IDSE), représentée par Me Cofflard, demande au tribunal :

1°) d'annuler ou de résilier, si besoin avec effet différé, la convention du 6 mars 2020 par laquelle le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère a concédé, pour une durée de trente ans, à la société Electricité de France SA le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés de vente pour les territoires des îles de Sein, Ouessant et Molène ;

2°) de condamner le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère à lui payer la somme de 500 000 euros, en réparation du préjudice subi, somme à parfaire ;

3°) de mettre à la charge des défendeurs la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a intérêt à agir pour demander l'annulation ou la résiliation de la convention litigieuse ;

- sa requête n'est pas tardive ;

- le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère et la société Electricité de France devront produire l'ensemble des actes détachables précédant la signature de la convention litigieuse et notamment toutes délibérations autorisant la signature de cette convention, la délibération du comité syndical habilitant le président du syndicat aux fins de signature de la convention et les délégations de pouvoir consenties au directeur des systèmes énergétiques insulaires de la société Electricité de France SA ;

- l'ensemble de ces délibérations et délégations sont illégales ;

- la passation du contrat litigieux est irrégulière au regard de l'article 24 de la directive 2009/72 CE du 13 juillet 2009 dès lors que l'article L. 111-52 du code de l'énergie est incompatible avec ces dispositions et que, en tout état de cause, l'attribution du contrat n'a pas été faite en considération des exigences d'efficacité et d'équilibre économique prévues par l'article 24 de la directive 2009/72 CE ;

- à cet égard, il y a lieu de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle ainsi formulée : " L'article 24 de la directive 2009/72 qui prévoit la désignation d'un ou plusieurs gestionnaires de réseaux pour une durée à déterminer par les Etats membres en fonction de considérations d'efficacité et d'équilibre économique et les objectifs poursuivis par cette directive, notamment les objectifs visés aux considérants 5, 6 et 51 de la directive doivent-ils être interprétés en ce sens qu'un Etat membre peut désigner dans un acte législatif, comme l'article L. 111-52 du code de l'énergie, un gestionnaire unique de réseau de distribution sans limitation de durée dès lors que l'autorité concédante du réseau de distribution limite la durée des concessions du réseau de distribution qu'elle conclut perpétuellement avec le même gestionnaire unique de réseau de distribution ' " ;

- il y a également lieu de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle ainsi formulée : " La marge d'interprétation conférée par l'article 24 de la directive 2009/72 aux Etats membres permet-elle de prévoir la désignation d'un gestionnaire unique de réseau de distribution pour une durée non déterminée en raison de considérations d'efficacité et d'équilibre économique ' " ;

- la passation du contrat litigieux est irrégulière au regard des articles 18, 49, 56 et 106 paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- à cet égard, il y a lieu de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle ainsi formulée : " L'article 106 paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui prévoit que les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises aux règles des traités notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie, doit-il être interprété en ce sens qu´un Etat membre peut dispenser les concessions de distribution d´électricité du respect des règles de publicité et de mise en concurrence en attribuant à une entreprise le monopole de la gestion de distribution d´électricité car celles-ci font obstacle à la gestion du réseau de distribution d´électricité ' " ;

- le contrat litigieux a été conclu en méconnaissance des principes fondamentaux de la commande publique, rappelés à l'article L. 3 du code de la commande publique, dès lors que les dispositions du 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie sont inconstitutionnelles ;

- les irrégularités entachant le contrat litigieux doivent conduire à sa résiliation.

 

 

Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 décembre 2020 et 1er juillet 2021, le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère, représenté par Me Patrick Labayle-Pabet (cabinet Ravetto Associés), conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête, au rejet de l'intervention de l'association ClientEarth et à la mise à la charge de la requérante de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la demande de communication de documents faite par la requérante doit être rejetée ;

- la requête est irrecevable, dès lors que la société IDSE ne justifie pas d'une lésion directe et certaine de ses intérêts ;

- les dispositions de l'article 24 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 ne sont pas invocables par la requérante dès lors qu'elles ont fait l'objet d'une transposition en droit français ;

- en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 24 de cette directive n'est pas fondé ;

- il n'y a pas lieu de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles soumises par la requérante ;

- les articles 18, 49, 56 et 106 paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne sont pas invocables par la requérante ;

- en tout état de cause, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne n'est pas fondé ;

- le moyen tiré des prétendus manquements dans l'exécution du contrat de concession est irrecevable dans le cadre d'un recours en contestation de la validité du contrat ;

- il est inopérant dès lors qu'il est sans lien avec l'objet du litige et se rapporte à des évènements antérieurs à la conclusion du contrat de concession du 6 mars 2020 ;

- il n'est en tout état de cause pas fondé.

 

 

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 janvier 2021, 2 juillet 2021,

5 octobre 2021, 21 février 2022, 20 mars 2023 et 17 mai 2023, la société Electricité de France, représentée par l'AARPI Baker et Mc Kenzie conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête, au rejet de l'intervention de l'association ClientEarth et à la mise à la charge de la requérante de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors que la société IDSE ne justifie pas d'une lésion directe et certaine de ses intérêts ;

- pour le surplus, les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- l'association ClientEarth est dépourvue d'intérêt à intervenir dans l'instance ;

- les moyens qu'elle soulève sont inopérants dès lors qu'elle ne justifie pas d'une lésion directe et certaine de ses intérêts ;

- ces moyens ne sont pas fondés ;

- il n'y a pas lieu de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles soumises par la requérante et l'intervenante.

 

 

Par des mémoires en intervention, enregistré les 2 juillet 2021 et 16 décembre 2021, l'association ClientEarth, représentée par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, demande que le tribunal fasse droit aux conclusions de la requête de la société Ile De Sein Energies.

Elle soutient que :

- elle a intérêt à intervenir au soutien de la requête ;

- l'octroi de droits exclusifs sans limitation de durée aux opérateurs cités à l'article

L. 111-52 du code de l'énergie est incompatible avec l'article 30 de la directive (UE) 2019/944 du 5 juin 2019 ;

- il y a lieu à cet égard de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle ainsi formulée : " L'article 30 de la directive (UE) 2019/944 du 5 juin 2019 doit-il être interprété en ce sens qu'il permet à un Etat membre de ne pas déterminer la durée pour laquelle il demande aux propriétaires ou responsables de réseaux de distribution d'en confier l'exploitation à un gestionnaire de réseau qu'il désigne ' Permet-il ainsi que cette désignation par l'Etat membre soit effectuée pour une durée illimitée ' " ;

- il y a lieu à cet égard de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle ainsi formulée : " L'article 30 de la directive (UE) 2019/44/CE du 5 juin 2019 doit-il être interprété en ce sens qu'il permet que, dans un Etat membre, la gestion des réseaux de

distribution soit confiée à un gestionnaire exclusif dans le cadre de contrats à durée déterminée renouvelés de façon illimitée ' " ;

- l'octroi de droits exclusifs sans limitation de durée à la société Electricité de France par le 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie méconnaît cette même directive dès lors qu'il est injustifié, qu'il porte une atteinte disproportionnée au principe de dissociation des gestionnaires de réseaux de distribution prévu à son article 35, qu'il aurait dû faire l'objet d'une demande d'autorisation préalable auprès de la Commission en application de son article 66 et qu'il méconnaît l'article 16 de cette directive.

 

 

Par des mémoires distincts, enregistrés les 24 janvier, 2, 17 et 22 mai 2023, la société Ile De Sein Energies a demandé au tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent les principes fondamentaux de la commande publique découlant des articles 6 et 14 de la déclaration de 1789.

 

 

Par des mémoires, enregistrés les 20 mars 2023 et 17 mai 2023, la société Electricité de France soutient que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies.

 

 

Par un mémoire, enregistré le 5 mai 2023, le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère soutient que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies.

 

 

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'énergie ;

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

 

 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Blanchard ;

- les conclusions de M. Rémy, rapporteur public ;

- et les observations de Me Cofflard, représentant la société Ile De Sein Energies, et de Me Perche, représentant la société Electricité de France.

Une note en délibéré, présentée par la société Ile De Sein Energies, a été enregistrée le 30 mai 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat conclu le 6 mars 2020, le syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère (SDEF) a concédé, pour une durée de trente ans, à la société Electricité de France (EDF) le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés de vente pour les territoires des îles de Sein, Ouessant et Molène. La société Ile De Sein Energies (IDSE) demande l'annulation ou la résiliation de cette convention.

Sur l'intervention présentée par l'association ClientEarth :

2. L'association ClientEarth justifie dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la nature et à l'objet des questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de la société IDSE. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur les conclusions dirigées contre la convention du 6 mars 2020 :

3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

4. Saisi ainsi par un tiers, dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

5. En premier lieu, si la société requérante soutient que " l'ensemble des délibérations et délégations " afférentes à la passation de la convention conclue le 6 mars 2020 entre le SDEF et la société EDF sont irrégulières, elle n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. A cet égard, si la société IDSE sollicite que la communication de ces documents soit ordonnée aux parties défenderesses, une telle mesure d'instruction relève des pouvoirs propres du juge.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu'ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité. / Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent prendre toute réglementation en vue de l'interdiction de ces discriminations. ". Aux termes de l'article 49 de ce traité : " Dans le cadre des dispositions

ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. / La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux. ". Selon l'article 56 du même traité : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. () ". Enfin, l'article 106 du traité, reprenant l'article 86 du traité instituant la communauté européenne, dispose que " 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus. / 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union. / 3. La Commission veille à l'application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres. ".

7. Selon le paragraphe 2 de l'article 3 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, applicable à la date de conclusion du contrat de concession litigieux :

" En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les Etats membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l'électricité, dans l'intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l'environnement, y compris l'efficacité énergétique, l'énergie produite à partir de sources d'énergie renouvelables et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises d'électricité de la Communauté un égal accès aux consommateurs nationaux. () ". Aux termes de l'article 24 de la même directive : " Les Etats membres désignent, ou demandent aux entreprises propriétaires ou responsables de réseaux de distribution de désigner, pour une durée à déterminer par les Etats membres en fonction de considérations d'efficacité et d'équilibre économique, un ou plusieurs gestionnaires de réseau de distribution. Les Etats membres veillent à ce que les gestionnaires de réseau de distribution agissent conformément aux articles 25, 26 et 27 ". Selon le paragraphe 1 de l'article 25 de la même directive : " Le gestionnaire de réseau de distribution est tenu de garantir la capacité à long terme du réseau de répondre à des demandes raisonnables de distribution d'électricité, d'exploiter, d'assurer la maintenance et de développer, dans des conditions économiques acceptables, un réseau de distribution d'électricité sûr, fiable et performant dans la zone qu'il couvre, dans le respect de l'environnement et de l'efficacité énergétique. ".

8. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'énergie : " Le service public de l'électricité a pour objet de garantir, dans le respect de l'intérêt général, l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire national. / Dans le cadre de la politique énergétique, il contribue à l'indépendance et à la sécurité d'approvisionnement, à la qualité de l'air et à la lutte contre l'effet de serre, à la gestion optimale et au développement des ressources nationales, à la maîtrise de la demande d'énergie, à la compétitivité de l'activité économique et à la maîtrise des choix technologiques d'avenir, comme à l'utilisation rationnelle de l'énergie. / Il concourt à la cohésion sociale, à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire, dans le respect de l'environnement, à la recherche et au progrès technologique, ainsi qu'à la défense et à la sécurité publique. / Matérialisant le droit de tous à l'électricité, produit de première nécessité, le service public de l'électricité est géré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique. ". Il résulte des dispositions combinées des articles L. 121-2 à L. 121-4 du même code que, conformément aux principes énoncés à l'article L. 100-1 de ce code, le service public de l'électricité assure la mission de développement équilibré de l'approvisionnement en électricité, laquelle consiste notamment à garantir l'approvisionnement des zones du territoire non interconnectées au réseau métropolitain continental, et la mission de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, laquelle consiste à assurer " la desserte rationnelle du territoire national par les réseaux publics de transport et de distribution, dans le respect de l'environnement " et " le raccordement et l'accès, dans des conditions non discriminatoires, aux réseaux publics de transport et de distribution. ".

9. Selon l'article L. 111-52 du code de l'énergie : " Les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité sont, dans leurs zones de desserte exclusives respectives : () 3° Le gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité est, dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, l'entreprise Electricité de France. () ". Aux termes du I de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales : " Sans préjudice des dispositions de l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics de coopération, en tant qu'autorités concédantes de la distribution publique d'électricité et de gaz en application de l'article 6 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie et de l'article 36 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée, négocient et concluent les contrats de concession, et exercent le contrôle du bon accomplissement des missions de service public fixées, pour ce qui concerne les autorités concédantes, par les cahiers des charges de ces concessions. () ".

10. Si l'article L. 111-52 précité attribue à la société EDF des droits exclusifs pour la distribution d'électricité dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, cette exclusivité trouve sa justification dans les sujétions que la loi impose à cette société en matière d'obligations de service public afférentes à l'approvisionnement et à la distribution d'électricité. Ces missions relèvent d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'application des règles fondamentales du traité telles qu'elles sont issues des articles 18, 49 et 56 serait de nature à faire échec à l'accomplissement des missions ainsi conférées à la société EDF. Par suite, dès lors que l'absence de publicité et de mise en concurrence préalables à la conclusion des contrats de concession de distribution d'électricité est la conséquence des droits exclusifs ainsi conférés à la société EDF, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 18, 40, 56 et 106 paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être écarté, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

11. En troisième lieu, d'une part, contrairement à ce que soutient la société IDSE, les dispositions de l'article 24 de la directive 2009/72/CE se bornent à prévoir que la désignation des gestionnaires de réseau de distribution intervient pour une durée déterminée par les Etats membres en fonction de considérations d'efficacité et d'équilibre économique. Ces dispositions n'excluent pas, en revanche, que les Etats membres confèrent à un opérateur unique des droits exclusifs en matière de distribution d'électricité, pour autant que la désignation de cet opérateur en qualité de gestionnaire de réseaux publics de distribution de cet Etat soit faite pour une durée fixée, pour chaque réseau concerné, en fonction de considérations d'efficacité et d'équilibre économique. A cet égard, l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales prévoit que les autorités concédantes de la distribution publique d'électricité concluent des contrats de concession, dont l'objet est la désignation du gestionnaire de la distribution d'électricité dans leur zone de desserte. Il leur appartient, sous le contrôle du juge, de fixer la durée des concessions ainsi accordées au regard des considérations d'efficacité et d'équilibre économique propres à la justifier.

12. D'autre part, la société IDSE soutient que la durée de trente ans, retenue par la convention litigieuse, semble excessive au regard de la durée des amortissements à réaliser, de sorte que les objectifs d'efficacité et d'équilibre économique seraient méconnus. Il résulte toutefois des termes mêmes du contrat de concession que des investissements importants sont mis à la charge de la société EDF, consistant en un renforcement du réseau concédé, l'intégration des ouvrages de distribution dans leur environnement et la réalisation à la demande de raccordement pour les installations de consommation ou de production, ainsi que la modification ou le déplacement d'ouvrages en cas de besoin. Le schéma directeur des investissements, annexé à la convention litigieuse, fait état d'engagements visant, d'une part, à moderniser le patrimoine pour améliorer la résilience des réseaux, notamment face au risque de submersion marine et, d'autre part, à résorber progressivement le réseau de fils nus en aérien pour les remplacer par des réseaux enterrés. Il prévoit notamment des investissements pour le raccordement d'éoliennes et le déploiement de bornes de recharge pour les véhicules électriques. Ce schéma directeur est précisé par des programmes pluriannuels d'investissements dont le premier, couvrant la période de quatre ans 2020-2023, est annexé à la convention et prévoit des montants d'investissements pour équiper les postes inondables de l'île de Sein de capteurs de montée des eaux et pour finaliser le déploiement des compteurs Linky sur le territoire concerné. En réplique, la requérante se borne à faire valoir que ces investissements sont prévus dans la convention-type prévue pour toutes les concessions de distribution d'électricité, sans développer d'argumentation établissant que les investissements en cause peuvent être amortis dans une durée moindre que celle de trente

ans. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompatibilité avec les dispositions de l'article 24 de la directive 2009/72/CE doit être écarté, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

13. En quatrième lieu, il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

14. La société IDSE, qui soulève dans des mémoires enregistrés les 24 janvier, 2, 17 et

22 mai 2023 une question prioritaire de constitutionalité, fait valoir, que le 3° de l'article

L. 111-52 du code de l'énergie est contraire aux principes fondamentaux de la commande publique découlant des articles 6 et 14 de la déclaration de 1789, en ce qu'elle ne permet pas une mise en concurrence préalablement à l'attribution des concessions de distribution d'électricité dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental. Toutefois, l'absence de possibilité de recours aux apports du réseau continental impose de réaliser l'équilibre entre l'offre et la demande d'énergie électrique dans chacune des zones non interconnectées, marquées en outre par une superficie réduite. Cette particularité nécessite que l'approvisionnement électrique y soit confié à un opérateur unique disposant de moyens suffisants pour lui donner, grâce aux économies d'échelle qu'il est susceptible de réaliser, les ressources techniques suffisantes en matière de gestion des réseaux électriques pour garantir la stabilité, la continuité et la sécurité de l'approvisionnement électrique dans chacune des zones non interconnectées. L'attribution de droits exclusifs permet également d'assurer une péréquation dans des conditions économiques acceptables entre les réseaux des zones non interconnectés, soumis à d'importantes contraintes d'exploitation, et les autres réseaux. Cet impératif constitue un motif d'intérêt général de nature à justifier la limitation aux principes fondamentaux de la commande publique qu'institue le 3° de l'article L. 111-52 du code de l'énergie. Par suite, la question soulevée est dépourvue de caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que le 3° de l'article

L. 111-52 du code de l'énergie porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut être accueilli.

15. En cinquième lieu, l'association ClientEarth ne peut utilement soutenir que le contrat litigieux est irrégulier au regard des articles 30 et 35 de la directive (UE) 2019/944 du

5 juin 2019 dès lors que ces dispositions, relatives aux conditions de passation des contrats de concessions de distribution d'électricité, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021, postérieurement à la passation du contrat de concession litigieux, conclu le 6 mars 2020, et qu'elles ne lui sont donc pas applicables.

16. En sixième lieu, aux termes du 4 de l'article 16 de la directive (UE) 2019/944 du

5 juin 2019 : " Les États membres peuvent décider de donner aux communautés énergétiques citoyennes le droit de gérer des réseaux de distribution dans la zone où elles sont actives ainsi que d'établir les procédures applicables, sans préjudice du chapitre IV ou d'autres règles et réglementations applicables aux gestionnaires de réseau de distribution. () ". Si l'association soutient que l'attribution à la société EDF de droits exclusifs en matière de distribution d'électricité dans les zones non interconnectées est incompatible avec ces dispositions, il résulte des termes mêmes du 4 de l'article 16 précité qu'il se borne à prévoir une faculté pour les Etats membres, sans emporter aucune obligation pour eux en matière de gestion des réseaux de distribution par les communautés énergétiques citoyennes.

17. En dernier lieu, le 1 de l'article 66 de la même directive prévoit que " 1. Les États membres qui peuvent prouver que des problèmes importants se posent pour l'exploitation de leurs petits réseaux connectés et de leurs petits réseaux isolés peuvent demander à la Commission à bénéficier de dérogations aux dispositions pertinentes des articles 7 et 8 et des chapitres IV, V et VI. () ". Aux termes de l'article 30 de la même directive : " Les États membres désignent, ou demandent aux entreprises propriétaires ou responsables de réseaux de distribution de désigner un ou plusieurs gestionnaires de réseau de distribution pour une durée à déterminer par les États membres en fonction de considérations d'efficacité et d'équilibre économique. ". L'intervenante soutient que l'attribution de droits exclusifs à la société EDF pour la distribution d'électricité dans les zones constitue une dérogation intervenue irrégulièrement, en méconnaissance du 1 de l'article 66 précité. Toutefois, conformément à l'article 30 de la directive 2019/944 du 5 juin 2019, la désignation du gestionnaire de réseau de distribution est faite pour une durée déterminée par l'autorité concédante, sous le contrôle du juge. L'attribution de droits exclusifs à un gestionnaire de réseau de distribution n'est dès lors pas constitutive d'une dérogation au sens du 1 de l'article 66 précité. Par suite, le moyen soulevé à cet égard doit être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de

non-recevoir, que les conclusions de la société IDSE tendant à l'annulation ou à la résiliation de la convention du 6 mars 2020 par laquelle le SDEF a concédé, pour une durée de trente ans, à la société EDF le service public du développement et de l'exploitation du réseau de distribution d'électricité et de la fourniture d'énergie électrique aux tarifs réglementés de vente pour les territoires des îles de Sein, Ouessant et Molène doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

19. La société requérante se borne à demander la condamnation du SDEF à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation d'un préjudice qu'elle allègue avoir subi au titre de la perte de chance d'être désignée titulaire de la concession de distribution électrique sur l'île de Sein, sans apporter aucune précision permettant d'évaluer le montant de ce préjudice, ni d'apprécier le lien de causalité avec une faute imputable au SDEF. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité, les conclusions indemnitaires de la société IDSE doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du SDEF et de la société EDF, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société IDSE la somme de 1 500 euros à verser respectivement au SDEF et à la société EDF au titre de cet article.

D É C I D E :

 

 

Article 1er : L'intervention de l'association ClientEarth est admise.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Ile De Sein Energies.

Article 3 : La requête de la société Ile De Sein Energies est rejetée.

Article 4 : La société Ile De Sein Energies versera la somme de 1 500 euros chacune à la société Electricité de France et au syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Ile De Sein Energies, au syndicat départemental d'énergie et d'équipement du Finistère et à la société Electricité de France.

Une copie du présent jugement sera adressée à l'association ClientEarth.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, à laquelle siégeaient :

M. Vergne, président,

Mme Thalabard, première conseillère,

M. Blanchard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2023.

Le rapporteur,

signé

A. Blanchard

Le président,

signé

G.-V. VergneLa greffière,

signé

I. Le Vaillant

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C