Conseil d'Etat

Décision du 9 juin 2023 n° 470192

09/06/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés le 3 avril 2023 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B A demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt nos 21LY04155, 21LY04255, 21LY04256 de la cour administrative d'appel de Lyon du 3 novembre 2022, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, des dispositions combinées des articles L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales et L. 133-19 du code du tourisme, d'autre part, des articles L. 2121-11 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales.

Il soutient que les dispositions combinées des articles L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales et L. 133-19 du code du tourisme, applicables au litige, méconnaissent le droit de propriété, garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et le principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la même Déclaration, et que les dispositions des articles L. 2121-11 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales portent atteinte, d'une part, au droit de l'élu local d'être informé des affaires de la collectivité au sein de laquelle il siège, garanti par les dispositions combinées de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 72 de la Constitution, d'autre part, au principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la même Déclaration.

Par deux mémoires, enregistrés le 18 avril 2023, la commune de Val-d'Isère soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que les dispositions de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel et qu'aucune des deux questions soulevées ne présente de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales, notamment ses articles L. 2121-11, L. 2121-12 et L. 2241-1 ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code du tourisme, notamment son article L. 133-19 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 95-361 DC du 2 février 1995 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de M. A ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte de ces dispositions que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur la première question prioritaire de constitutionnalité :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil municipal délibère sur la gestion des biens et les opérations immobilières effectuées par la commune, sous réserve, s'il s'agit de biens appartenant à une section de commune, des dispositions des articles L. 2411-1 à L. 2411-19. / Le bilan des acquisitions et cessions opérées sur le territoire d'une commune de plus de 2 000 habitants par celle-ci, ou par une personne publique ou privée agissant dans le cadre d'une convention avec cette commune, donne lieu chaque année à une délibération du conseil municipal. Ce bilan est annexé au compte administratif de la commune. / Toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vu de l'avis de l'autorité compétente de l'Etat. Cet avis est réputé donné à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la saisine de cette autorité ". D'autre part, l'article L. 133-19 du code du tourisme prévoit, pour les communes classées comme stations de tourisme, un " surclassement " dans une catégorie démographique supérieure par la prise en compte de la population touristique moyenne en sus de la population permanente. Cette disposition visant uniquement à déterminer la strate démographique à laquelle la commune appartient pour l'application de dispositions relatives à la fonction publique territoriale, le " surclassement " qu'elle prévoit est sans incidence pour l'application de l'article L. 2241-1 précité du code général des collectivités territoriales.

3. Si M. A conteste la constitutionnalité des dispositions combinées des articles L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales et L. 133-19 du code du tourisme, la question qu'il soulève doit être regardée, alors au demeurant que le second de ces articles n'était pas applicable à la commune de Val-d'Isère à la date des délibérations en litige, comme portant seulement sur le premier, en tant qu'il ne prévoit pas que la population communale est calculée, pour les communes classées comme stations de tourisme, en tenant compte de la population touristique.

4. Or le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 95-361 DC du 2 février 1995, a déclaré conforme à la Constitution la loi du 8 février 1995 relative aux marchés publics et délégations de service public, dont l'article 11 a rétabli dans le code des communes le I d'un article L. 311-8 repris ultérieurement à l'article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales. Si le législateur est intervenu pour substituer " l'avis de l'autorité compétente des services de l'Etat " à " l'avis du service des domaines " initialement prévu, cette modification a eu pour seul objet de mettre à jour cet article afin de tenir compte des évolutions qu'avait connues l'organisation des services de l'Etat, sans en changer la substance. Par ailleurs, si, ainsi que le soutient le requérant, le Conseil constitutionnel a, depuis sa décision n° 2011-630 DC du 26 mai 2011, fait évoluer son office lorsqu'il est saisi d'une loi, avant sa promulgation, par l'une des autorités mentionnées au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution et que celle-ci n'invoque aucun grief à l'encontre du texte qui lui est déféré, cette évolution ne peut être regardée comme constituant un changement de circonstances de droit de nature à justifier un nouvel examen de la disposition critiquée par le Conseil constitutionnel.

5. Il résulte de ce qui précède que les conditions d'une transmission au Conseil constitutionnel de la question soulevée ne sont pas réunies.

Sur la seconde question prioritaire de constitutionnalité :

6. Aux termes de l'article L. 2121-11 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de moins de 3 500 habitants, la convocation est adressée trois jours francs au moins avant celui de la réunion. / En cas d'urgence, le délai peut être abrégé par le maire, sans pouvoir être toutefois inférieur à un jour franc. Le maire en rend compte dès l'ouverture de la séance au conseil municipal qui se prononce sur l'urgence et peut décider le renvoi de la discussion, pour tout ou partie, à l'ordre du jour d'une séance ultérieure ". L'article L. 2121-12 du même code énonce : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. / Si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché accompagné de l''ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur. / Le délai de convocation est fixé à cinq jours francs. En cas d'urgence, le délai peut être abrégé par le maire sans pouvoir être toutefois inférieur à un jour franc. / Le maire en rend compte dès l'ouverture de la séance au conseil municipal qui se prononce sur l'urgence et peut décider le renvoi de la discussion, pour tout ou partie, à l'ordre du jour d'une séance ultérieure. / Le présent article est également applicable aux communes de moins de 3 500 habitants lorsqu'une délibération porte sur une installation mentionnée à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ".

7. En premier lieu, M. A soutient qu'en tant qu'elles ne prévoient pas, dans les communes de moins de 3 500 habitants, que la convocation des membres du conseil municipal est obligatoirement accompagnée d'une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération, ces dispositions porteraient atteinte au droit de l'élu local d'être informé des affaires de sa collectivité de rattachement, qui résulterait des dispositions combinées de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 72 de la Constitution. Toutefois, ces dispositions constitutionnelles, qui garantissent, pour la première, le droit des citoyens de demander compte à tout agent public de son administration et, pour la seconde, la libre administration des collectivités territoriales, n'ont ni pour objet ni pour effet de garantir un droit des membres des conseils municipaux à disposer de notes explicatives sur les délibérations soumises à leur vote, ces derniers tenant au demeurant de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités locales le droit d'être informés des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération.

8. En second lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

9. Il ressort des travaux préparatoires de la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, dont sont issues les dispositions contestées, qu'en rendant obligatoire la transmission aux membres du conseil municipal d'une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération dans les seules communes de plus de 3 500 habitants et en allongeant à cinq jours francs le délai de convocation du conseil municipal dans ces mêmes communes, alors qu'il demeurait de trois jours francs dans les communes de moins de 3 500 habitants, le législateur a entendu, tout en poursuivant un objectif général d'amélioration du fonctionnement des conseils municipaux et de renforcement de la transparence des affaires soumises à leur délibération, ne pas imposer des contraintes et des charges excessives aux communes les moins peuplées. La différence de traitement ainsi instituée répond dès lors à une différence objective de situation tenant à la population communale et aux moyens qui en découlent, indépendamment de la situation particulière de certaines communes au regard, notamment, de leur fréquentation touristique, et est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

10. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. A.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. A.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B A, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, aux sociétés Holdispan et Chalet Izia et à la commune de Val-d'Isère.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 mai 2023 où siégeaient : M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 9 juin 2023.

Le président :

Signé : M. Hervé Cassagnabère

Le rapporteur :

Signé : M. Vincent Mahé

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

Code publication

C