Conseil d'Etat

Décision du 7 juin 2023 n° 471537

07/06/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 mars et

17 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A B demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant notamment à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2023-113 du 20 février 2023 relatif à la procédure dématérialisée de candidature et de recrutement en première année des formations conduisant au diplôme national de master, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'éducation.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 2016-1828 du 23 décembre 2016 ;

- le décret n° 2021-629 du 19 mai 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 mai 2023, présentée par M. B ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'éducation : " Les formations du deuxième cycle sont ouvertes aux titulaires des diplômes sanctionnant les études du premier cycle ainsi qu'à ceux qui peuvent bénéficier du livre IV de la sixième partie du code du travail ou des dérogations prévues par les textes réglementaires. / Les établissements peuvent fixer des capacités d'accueil pour l'accès à la première année du deuxième cycle. L'admission est alors subordonnée au succès à un concours ou à l'examen du dossier du candidat. / Cependant, s'ils en font la demande, les titulaires du diplôme national de licence sanctionnant des études du premier cycle qui ne sont pas admis en première année d'une formation du deuxième cycle de leur choix conduisant au diplôme national de master malgré plusieurs demandes d'admission se voient proposer l'inscription dans une formation du deuxième cycle en tenant compte de leur projet professionnel et de l'établissement dans lequel ils ont obtenu leur licence, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. / Cette demande est faite par l'étudiant immédiatement après l'obtention de la licence sanctionnant des études du premier cycle ou de manière différée. / Lorsque la situation d'un candidat le justifie, eu égard à des circonstances exceptionnelles tenant à son état de santé ou à son handicap, l'autorité académique, saisie par ce candidat, peut procéder au réexamen de sa candidature dans des conditions fixées par décret pris après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. En tenant compte de la situation particulière que l'intéressé fait valoir, de son projet professionnel, de l'établissement dans lequel il a obtenu son diplôme national de licence ainsi que des caractéristiques des formations, l'autorité académique prononce, avec son accord, son inscription dans une formation du deuxième cycle. / Les capacités d'accueil fixées par les établissements font l'objet d'un dialogue avec l'État. / Les titulaires du diplôme national de licence sanctionnant des études du premier cycle qui ne poursuivent pas une formation du deuxième cycle sont informés des différentes perspectives qui s'offrent à eux en matière d'insertion professionnelle ou de poursuite de leur formation. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités de cette information ".

3. Au regard de son argumentation, M. B doit être regardé comme contestant la constitutionnalité des seules dispositions des deuxième et sixième alinéas de l'article L. 612-6 du code de l'éducation, dont la rédaction est issue de la loi du

23 décembre 2016 portant adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat.

4. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. En l'espèce, le requérant soutient que l'absence de détermination par le législateur, à l'article L. 612-6 du code de l'éducation cité au point 2, des conditions et limites dans lesquelles les établissements peuvent fixer des capacités d'accueil et des modalités de sélection pour l'admission en première année des formations conduisant au diplôme national de master affecte le principe d'égal accès à l'instruction consacré par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, aux termes duquel " la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction () ", ainsi que la garantie des droits protégée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en ce que la définition par les établissements d'enseignement supérieur des modalités de sélection pour l'accès en première année des formations de deuxième cycle n'assurerait pas la sécurité juridique.

5. En premier lieu, la circonstance que les dispositions du sixième alinéa de l'article L. 612-6 du code de l'éducation, qui prévoient que les capacités d'accueil pour l'accès à la première année du deuxième cycle sont fixées par les établissements dans le cadre d'un dialogue avec l'Etat, ne précisent pas les modalités particulières de détermination de ces capacités d'accueil ne les entache pas d'incompétence négative, de telles précisions ne relevant pas des principes fondamentaux de l'enseignement, ni d'aucun autre principe ou règle dont la détermination incombe à la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution.

6. En deuxième lieu, seul le législateur peut déroger au principe du libre accès aux études universitaires en fonction de critères tirés exclusivement des mérites des candidats. En l'espèce, le deuxième alinéa de l'article L. 612-6 du code de l'éducation, qui prévoit que lorsque les capacités d'accueil en deuxième cycle sont limitées, l'admission des candidats en première année est subordonnée au succès à un concours ou à une sélection sur dossier, n'y déroge pas et implique, en conséquence, que les seuls critères applicables sont ceux tenant aux mérites des candidats. Au demeurant, les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 612-6 du code de l'éducation cité au point 2 prévoient que, lorsqu'un étudiant titulaire du diplôme national de licence n'a reçu aucune réponse positive à ses demandes d'admission en première année d'une formation conduisant au diplôme national de master, il se voit proposer, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat, l'inscription dans une formation du deuxième cycle qui tient compte de son projet professionnel et de l'établissement dans lequel il a obtenu sa licence.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que le moyen tiré de ce que les dispositions contestées de l'article L. 612-6 du code de l'éducation seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant le respect du principe d'égal accès à l'instruction ne peut qu'être écarté.

8. En dernier lieu, le principe de sécurité juridique inhérent à la garantie des droits assurée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du

26 août 1789 ne peut être utilement invoqué que lorsqu'est en cause une atteinte à des situations légalement acquises ou à des effets qui peuvent légitimement en être attendus. Dès lors, il ne peut être utilement invoqué en l'espèce pour soutenir que les dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'éducation, citées au point 2, en ce qu'elles laissent aux établissements d'enseignement supérieur le soin de définir les modalités de sélection pour l'accès en première année des formations de deuxième cycle lorsque les capacités d'accueil y sont limitées, méconnaîtraient les droits et libertés garantis par la Constitution, dès lors qu'elles n'assureraient pas la sécurité juridique.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans que M. B puisse utilement contester la qualité du signataire du mémoire en défense présenté au nom du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B à l'encontre de l'article L. 612-6 du code de l'éducation.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A B, à la Première ministre, à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.

Code publication

C