Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 1 juin 2023 n° 2312709

01/06/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 31 mai 2023, Mme C, agissant en son nom personnel et au nom de sa fille D A, née le 2 novembre 2013, représentée par Me Djemaoun, demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de respecter les conditions matérielles d'accueil dont bénéficie sa fille mineure et de lui verser, sans délai à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, l'allocation de demandeur d'asile (ADA) dont sa fille doit bénéficier, en lui délivrant la carte de paiement prévue à l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'urgence de sa situation est avérée dans la mesure où les conditions matérielles d'accueil ont été accordées à sa fille, comprenant l'allocation de demandeur d'asile, qui constitue la seule ressource financière de la famille ; elles se trouvent placées dans une situation de précarité et de danger en l'absence de tout hébergement et d'allocation ; elle vit dans la rue avec sa fille ; elle appelle le 115 quotidiennement, en vain ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que constituent le droit d'asile, l'intérêt supérieur de l'enfant au sens de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, le principe du respect de la dignité humaine ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale, protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle a sollicité une demande d'asile pour sa fille, laquelle bénéficie des conditions matérielles d'accueil.

Par un mémoire QPC enregistré le 31 mai 2023, Mme C demande à ce que soit renvoyée au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 553-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce que celui-ci méconnaît l'ensemble des droits et libertés protégés par la Constitution.

Elle soutient que :

- les dispositions de l'article L. 553-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution ; en édictant une condition d'âge pour bénéficier de l'allocation pour demandeur d'asile, cet article méconnaît la Constitution et la convention relative aux droits de l'enfant ; le législateur n'a pas tenu compte de l'hypothèse de parents demandant l'asile au seul nom de leur enfant ; le refus d'ouverture d'un compte bancaire ne permet pas à un parent de bénéficier effectivement de l'allocation pour demandeur d'asile due à son enfant ; il est ainsi porté également atteinte au principe d'égalité de traitement entre demandeurs d'asile et entre demandeurs d'asile mineurs dont les parents ont ou pas sollicité l'asile, et à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er juin 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie ; le droit au versement de l'ADA est en cours d'instruction et des pièces justificatives ont été sollicitées le 6 mars 2023 ; la requérante n'établit pas son impécuniosité ; elle est en mesure de bénéficier de l'assistance de structures locales pour subvenir à ses besoins ;

- aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n'a été commise ; le dossier de la requérante est toujours en cours d'étude ; la fille de la requérante étant mineure, elle ne peut pas bénéficier de l'allocation et sa représentante légale n'est pas demandeur d'asile ; en outre, il existe une saturation du dispositif national d'accueil en Ile-de-France et la requérante peut bénéficier d'une assistance par les structures locales financées par l'Etat, y compris les services du département.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Riou pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Riou,

- et les observations de Me Djemaoun, représentant Mme C, présente à l'audience avec sa fille, qui développe la même argumentation que précédemment.

L'Office français de l'immigration et de l'intégration n'était pas représenté.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Aux termes de l'article L. 522-1 de ce code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique () ". Enfin aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 du même code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit () justifier de l'urgence de l'affaire ".

En ce qui concerne l'urgence :

2. Il résulte de l'instruction que Mme C vit dans la rue avec sa fille âgée de neuf ans, qu'aucune suite n'a été donnée à ses nombreuses demandes d'hébergement d'urgence auprès du " 115 " et qu'elle ne dispose d'aucune ressource pour faire face à ses besoins matériels essentiels, ce que l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne conteste pas de façon pertinente par ses écritures en défense. En outre, l'Office se borne à se prévaloir de la saturation du dispositif national d'accueil en Ile-de-France sans assortir cette allégation d'aucun commencement de preuve ou de précisions utiles. Dès lors, et compte tenu du jeune âge de l'enfant de la requérante, cette dernière est fondée à soutenir qu'elles se trouvent dans une situation de grande précarité. Par suite, la condition relative à l'urgence doit être regardée comme étant remplie.

En ce qui concerne l'atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale :

3. Aux termes de l'article L. 551-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, comprennent les prestations et l'allocation prévues aux chapitres II et III. ". Aux termes de l'article L 552-1 du même code : " Sont des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile : / 1° Les centres d'accueil pour demandeurs d'asile définis à l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles ; / 2° Toute structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil de demandeurs d'asile et soumise à déclaration, au sens de l'article L. 322-1 du même code ". Enfin, aux termes de l'article L. 552-8 de ce code : " L'Office français de l'immigration et de l'intégration propose au demandeur d'asile un lieu d'hébergement. / Cette proposition tient compte des besoins, de la situation personnelle et familiale de chaque demandeur au regard de l'évaluation des besoins et de la vulnérabilité prévue au chapitre II du titre II, ainsi que des capacités d'hébergement disponibles et de la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région ".

4. Si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale. Dans cette hypothèse, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier au regard de la situation du demandeur d'asile et en tenant compte des moyens dont dispose l'administration et des diligences qu'elle a déjà accomplies.

5. Il résulte de l'instruction que Mme C a déposé une demande d'asile au nom de sa fille mineure, D A, née le 2 novembre 2013, qui a été enregistrée en procédure normale le 6 mars 2023 et le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lui a été proposé le même jour. Toutefois, aucune proposition d'hébergement n'a été faite à la famille qui n'a d'autre solution que de vivre dans la rue. Il résulte également de l'instruction que Mme C ne dispose actuellement d'aucune ressource ni d'aucun hébergement, contactant par ailleurs vainement le " 115 ". L'OFII ne saurait sérieusement opposer l'absence de preuve de l'impécuniosité de la requérante, alors qu'il a lui-même versé au dossier une déclaration de ressources établie sur l'honneur par l'intéressée faisant état de l'absence de toutes ressources. En outre, il résulte de l'article L. 551-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il était tenu de proposer, notamment, un hébergement après l'enregistrement de la demande d'asile et il se borne à soutenir que la demande de la requérante, enregistrée en mars 2023, faisait toujours l'objet d'une instruction. Dans ces conditions, l'absence d'hébergement et de versement de l'allocation pour demandeur d'asile et de toute proposition d'un hébergement à cette famille dans le cadre du dispositif national d'accueil revêt le caractère d'une carence constitutive d'une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale, en particulier, à l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant et au droit d'asile. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration d'attribuer un hébergement pour demandeurs d'asile à la requérante dans le cadre du dispositif national d'accueil dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la présente ordonnance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

6. Par ailleurs, aux termes de l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'allocation pour demandeur d'asile est versée mensuellement sur la base de la transmission prévue à l'article D. 553-21, à terme échu, par alimentation d'une carte de retrait ou de paiement. De manière transitoire ou par dérogation, notamment dans les départements d'outre-mer, l'allocation peut être versée par virement sur un compte bancaire du bénéficiaire. "

7. D'une part, il résulte de ces dispositions qu'hormis dans le cas de la dérogation prévue par le second alinéa, l'OFII ne peut légalement exiger des représentants légaux d'un enfant mineur de produire un relevé d'identité bancaire et il lui appartient de procéder, par tous moyens, au versement de l'allocation en cause. D'autre part, l'OFII soutient que des pièces justificatives ont été demandées à Mme C et que son dossier était toujours en cours d'étude sans opposer l'absence de production de ces pièces et alors que des éléments ont été nécessairement produits, sur la base desquels l'enregistrement de la demande d'asile pour l'enfant de l'intéressée a été effectué, en mars 2023. En outre, l'OFII ne peut soutenir, sans commettre une erreur de droit, que Mme C, représentante légale de sa fille mineure, ne pouvait se voir verser l'allocation pour demandeur d'asile au motif qu'elle ne bénéficiait pas elle-même du statut de demandeur d'asile, sauf à inciter tout représentant légal se trouvant dans la situation de l'intéressée, à formuler une demande d'asile. Dans ces conditions, il y a également lieu d'enjoindre à l'OFII de verser à Mme C l'allocation pour demandeur d'asile allouée à sa fille, en lui délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin qu'elle puisse percevoir, au nom de sa fille, cette allocation. Il y a lieu d'enjoindre à l'OFII de procéder à cette remise dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la présente ordonnance, sans qu'il soit besoin de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat, relative à l'article L. 553-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de justice :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : Il est enjoint au directeur général de l'OFII de prendre toute mesure pour que soit attribué un hébergement pour demandeurs d'asile à Mme C et son enfant mineur dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la présente ordonnance. Il est également enjoint au directeur général de l'OFII de lui verser l'allocation pour demandeur d'asile allouée à sa fille, D A, en lui délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin qu'elle puisse percevoir, au nom de sa fille, cette allocation, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 2 : L'OFII versera à Mme C la somme de 1 000 (mille) euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B C et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Fait à Paris, le 1er juin 2023.

La juge des référés,

 

C. RIOU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. /9