Tribunal administratif de Paris

Jugement du 31 mai 2023 n° 2004109

31/05/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête initiale et des mémoires complémentaires, enregistrés le

27 février 2020, le 14 novembre 2020, le l7 février 2021, le 11 juin 2021, le 28 septembre 2022 et le 21 octobre 2022, M. A B, représenté par Me Lelieur demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, de contributions exceptionnelles sur les hauts revenus ainsi que des majorations et des intérêts de retard correspondants auxquels il a été assujetti au titre de l'année 2014 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

-la procédure de taxation d'office est irrégulière, puisque la mise en demeure du 12 janvier 2016 n'a pas a été valablement présentée à son domicile marocain ;

-la proposition de rectification est insuffisamment motivée au regard de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales ;

-l'article L. 76 B du même code a été méconnu puisque les documents communiqués étaient insuffisants ;

-l'administration a porté atteinte au principe du contradictoire et n'a pas respecté les droits de la défense ce qui implique la décharge des impositions en application de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales ;

-il a été porté atteinte au principe de " spécialité ", ce qui entache la procédure d'irrégularité ; aucun élément ne permet de vérifier que l'accord préalable des autorités britanniques, luxembourgeoises et israéliennes à l'origine de ces informations a été recueilli préalablement au transfert de celles-ci au parquet ;

-le droit de communication exercé auprès de l'autorité judiciaire est contraire au droit communautaire notamment à l'article 15 de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 ;

-le droit de communication est contraire à son droit à la vie privée, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

-son domicile fiscal est au Maroc et il n'est pas soumis à des obligations fiscales en France au titre de l'année 2014 tant en application des critères du droit interne français que de ceux prévus par la convention fiscale franco-marocaine puisque notamment il exerçait une activité professionnelle au Maroc.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 août 2020, 2 novembre 2021 et 28 octobre 2022, le directeur de la direction nationale des vérifications de situations fiscales conclut au rejet de la requête et soutient que les moyens soulevés par M. B ne sont pas fondés.

Par deux mémoires distincts enregistrés le 17 février 2021 et un mémoire enregistré le 11 juin 2021, M. B demande au tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à la décharge des impositions mentionnées supra de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et des articles L. 81 et L. 84 E du livre des procédures fiscales.

Il soutient que ces articles, applicables au présent litige, méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution, puisque le législateur a méconnu sa propre compétence en affectant des droits et libertés que la Constitution garantit, en l'occurrence le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, d'autre part, porté une atteinte disproportionnée à ce droit.

Par des mémoires, enregistrés le 19 avril 2021 et le 4 novembre 2021, le directeur de la direction nationale des vérifications de situations fiscales conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité posées par M. B.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1,

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution,

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention fiscale franco-marocaine du 29 mai 1970 ;

- la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code des postes et des communications électroniques ;

- le code monétaire et financier ;

- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 20 septembre 2022 (C-339/20) ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Baudat,

- les conclusions de Mme Belle, rapporteur public,

- et les observations orales de Me Lelieur et de Me Spinosi, représentant M. B.

Considérant ce qui suit :

1. M. B, qui avait déclaré à l'administration fiscale avoir son domicile fiscal au Maroc et qui y avait sa résidence aux termes de ses dernières déclarations, a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 2013 et 2014, engagé par l'envoi d'un avis du 14 janvier 2016, pli présenté le 20 janvier et revenu non réclamé. Au titre de l'année 2014, seule année ayant donné lieu à des rectifications, M. B n'a pas déposé de déclaration de revenus, malgré une mise en demeure adressée le 12 janvier 2016. A l'issue des opérations de contrôle, le service vérificateur a considéré qu'il devait, en réalité, être considéré comme fiscalement domicilié en France, en vertu des articles 4 A et 4 B du code général des impôts et aurait dû déclarer l'ensemble de ses revenus mondiaux en France au titre de l'année 2014. Par ailleurs, l'exercice du droit de communication auprès de l'autorité judiciaire dans le cadre d'affaires de délits d'initiés a permis de constater que le requérant avait réalisé une plus-value globale de cession de droits sociaux de 28 008 456 euros au titre de cette année. Ce revenu a été taxé d'office en vertu de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales par une proposition de rectification du

20 décembre 2017 présentée le 27 décembre 2017 et retournée non réclamée. Une copie de cette proposition de rectification a été adressée par courriel au conseil du requérant le

21 décembre 2017.Par lettre du 27 décembre 2017, ce dernier a sollicité la communication de certaines pièces fondant les rehaussements mentionnés dans la proposition de rectification. Le service vérificateur a satisfait à ces demandes par un courriel du 21 décembre 2017, puis par un courrier du 5 janvier 2018. Par un courrier du 5 février 2018 le conseil du requérant a contesté les rectifications envisagées sans présenter de moyen, en précisant attendre la mise en recouvrement des impositions supplémentaires. Par une lettre du 23 février 2018 le service vérificateur a indiqué maintenir les rectifications. Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) en résultant ont été assorties de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts et de la majoration de 40% pour non dépôt d'une déclaration dans les trente jours suivant une mise en demeure, prévue au b du 1 de l'article 1728 de ce code. M. B a contesté ces impositions supplémentaires par une réclamation du 28 avril 2019 qui a donné lieu à une décision de rejet du 29 octobre 2019.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question présente un caractère sérieux.

3. La première question prioritaire de constitutionnalité porte sur la conformité des dispositions de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, qui prévoient, pour une durée maximale d'un an, la conservation des données de connexion par les opérateurs de communications électroniques notamment pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales et dans le but de permettre la mise à disposition de ces données à l'autorité judiciaire, au motif que le législateur n'a, d'une part, pas entouré la procédure de conservation des données de connexion de garanties légales suffisantes et adéquates, et a, d'une part, méconnu sa propre compétence en affectant des droits et libertés que la Constitution garantit, en l'occurrence le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, d'autre part, porté une atteinte disproportionnée à ce droit.

4. Toutefois, d'une part, par une décision n° 2021-976/977 QPC du 25 février 2022, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la constitutionnalité des dispositions des paragraphes II et III de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et a jugé qu'en autorisant la conservation générale et indifférenciée des données de connexion, les dispositions contestées portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. D'autre part, la circonstance que la Cour de justice de l'Union européenne a ultérieurement jugé, par un arrêt C-339/20 du 20 septembre 2022, que le droit de l'Union doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une juridiction nationale limite dans le temps les effets d'une déclaration d'invalidité à l'égard des dispositions nationales qui imposent aux opérateurs de services de communications électroniques une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et en ce qu'elles permettent la communication de telles données à l'autorité compétente en matière financière sans autorisation préalable d'une juridiction ou d'une autorité administrative indépendante en raison de l'incompatibilité de ces dispositions avec l'article 15, paragraphe 1, de la directive n°2002/58 telle que modifiée par la directive n°2009/136 ne saurait constituer un changement de circonstances de droit ou de fait de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Par suite, et dès lors que la requérante ne critique pas la constitutionnalité du I de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat cette première question prioritaire de constitutionnalité.

5. La seconde question prioritaire de constitutionnalité porte sur ce qu'en édictant les dispositions des articles L. 81 et L. 84 E du livre des procédures fiscales, dont il résulte que pour l'établissement de l'assiette, le contrôle et le recouvrement des impôts, les agents de l'administration fiscale peuvent se faire communiquer tout document ou information détenu par l'Autorité des marchés financiers dans le cadre de ses missions, y compris les données de connexion préalablement recueillies par celle-ci dans le cadre de l'exercice du droit de communication prévu par l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, le législateur, qui n'a pas entouré cette procédure de garanties légales suffisantes, a, d'une part, méconnu sa propre compétence en affectant des droits et libertés que la Constitution garantit, en l'occurrence le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, d'autre part, porté une atteinte disproportionnée à ce même droit.

6. Il résulte de l'instruction qu'à l'occasion d'une enquête ouverte à l'encontre de M. B fondée sur des soupçons de participation à la commission du délit d'initié prévu à l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, l'autorité des marchés financiers a exercé le droit de communication qu'elle tenait de la seconde phrase du premier alinéa de l'article

L. 621-10 du code monétaire et financier afin de se faire communiquer des données de connexion conservées et traitées par des opérateurs de télécommunications dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques. Sur la base des données de connexion ainsi obtenues, l'AMF a obtenu du juge des libertés et de la détention l'autorisation de procéder à des opérations de visites domiciliaires et de saisie de documents. À l'occasion du recours présenté à l'encontre de l'ordonnance ainsi délivrée par le juge des libertés et de la détention, M. B a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le premier alinéa de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier qui autorise les agents de l'AMF à se faire communiquer, pour les besoins d'un contrôle ou d'une enquête, tous documents, quel qu'en soit le support. Par une décision n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017, le Conseil constitutionnel a prononcé la non-conformité de ce texte à la Constitution, au motif que le législateur n'avait pas entouré le droit de communication de l'AMF de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions. Par ailleurs, dans le présent litige à l'issue du contrôle du requérant, l'administration fiscale a estimé que

M. B devait être considéré comme ayant son domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A du code général des impôts. La preuve de la domiciliation fiscale de M. B repose notamment sur les données de connexion déjà évoquées, dont la direction générale des finances publiques a pris connaissance en exerçant auprès de l'autorité judiciaire et de l'autorité des marchés financiers les droits de communication qu'elle tient des dispositions des articles L. 81 et L. 84 E du livre des procédures fiscales.

7. Par suite, il s'en déduit que l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée du requérant ne résulte pas directement de la mise en œuvre des articles L. 81 et L. 84 E du livre des procédures fiscales, qui n'ont ni pour objet ni pour effet d'instaurer une conservation générale et indifférenciée des données de connexion mais simplement de permettre à l'administration fiscale d'exercer son droit de communication auprès notamment de l'AMF mais en réalité des conditions dans lesquelles en amont de la procédure de contrôle fiscal dont le requérant a fait l'objet, l'AMF s'est procurée les données de connexion litigieuses auprès d'opérateurs de communications électroniques, de fournisseurs d'accès à un service de communication au public en ligne ou d'hébergeurs de contenu sur un tel service. En l'espèce, ces données ont été obtenues sur la base des dispositions de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier dont le Conseil constitutionnel a estimé inconstitutionnel la seconde phrase du premier alinéa dans sa décision précitée n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017 tout en décidant de reporter au

31 décembre 2018 la prise d'effet de la déclaration de non-conformité à la Constitution de ces dispositions. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat cette seconde question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 81 et L. 84 E du livre des procédures fiscales qui doit être regardée comme dépourvue de caractère sérieux.

Sur l'application du droit communautaire :

8. Aux termes de l'article 5 de la directive 97/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des télécommunications intitulé " Confidentialité des communications " : " 1. Les États membres garantissent, au moyen de réglementations nationales, la confidentialité des communications effectuées au moyen d'un réseau public de télécommunications ou de services de télécommunications accessible au public. En particulier, ils interdisent à toute autre personne que les utilisateurs, sans le consentement des utilisateurs concernés, d'écouter, d'intercepter, de stocker les communications ou de les soumettre à quelque autre moyen d'interception ou de surveillance, sauf lorsque ces activités sont légalement autorisées, conformément à l'article 14, paragraphe 1.2. Le paragraphe 1 n'affecte pas l'enregistrement légalement autorisé de communications, dans le cadre des usages professionnels licites, afin de fournir la preuve d'une transaction commerciale ou de toute autre communication commerciale. ". Aux termes de l'article 15 de la directive 2002/58 intitulé " Application de certaines dispositions de la directive [95/46] " : " 1. Les États membres peuvent adopter des mesures législatives visant à limiter la portée des droits et des obligations prévus aux articles 5 et 6, à l'article 8, paragraphes 1, 2, 3 et 4, et à l'article 9 de la présente directive lorsqu'une telle limitation constitue une mesure nécessaire, appropriée et proportionnée, au sein d'une société démocratique, pour sauvegarder la sécurité nationale - c'est-à-dire la sûreté de l'État - la défense et la sécurité publique, ou assurer la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d'infractions pénales ou d'utilisations non autorisées du système de communications électroniques, comme le prévoit l'article 13, paragraphe 1, de la directive [95/46]. À cette fin, les États membres peuvent, entre autres, adopter des mesures législatives prévoyant la conservation de données pendant une durée limitée lorsque cela est justifié par un des motifs énoncés dans le présent paragraphe. Toutes les mesures visées dans le présent paragraphe sont prises dans le respect des principes généraux du droit [de l'Union], y compris ceux visés à l'article 6, paragraphes 1 et 2, du traité sur l'Union européenne ".

9. Aux termes de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques : " () II. - Les opérateurs de communications électroniques, et notamment les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, effacent ou rendent anonyme toute donnée relative au trafic, sous réserve des dispositions des III, IV, V et VI. / Les personnes qui fournissent au public des services de communications électroniques établissent, dans le respect des dispositions de l'alinéa précédent, des procédures internes permettant de répondre aux demandes des autorités compétentes. / Les personnes qui, au titre d'une activité professionnelle principale ou accessoire, offrent au public une connexion permettant une communication en ligne par l'intermédiaire d'un accès au réseau, y compris à titre gratuit, sont soumises au respect des dispositions applicables aux opérateurs de communications électroniques en vertu du présent article. / III. - Pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales ou d'un manquement à l'obligation définie à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle ou pour les besoins de la prévention des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données prévues et réprimées par les articles 323-1 à 323-3-1 du code pénal, et dans le seul but de permettre, en tant que de besoin, la mise à disposition de l'autorité judiciaire ou de la haute autorité mentionnée à l'article L. 331-12 du code de la propriété intellectuelle ou de l'autorité nationale de sécurité des systèmes d'information mentionnée à l'article L. 2321-1 du code de la défense, il peut être différé pour une durée maximale d'un an aux opérations tendant à effacer ou à rendre anonymes certaines catégories de données techniques. Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, détermine, dans les limites fixées par le VI, ces catégories de données et la durée de leur conservation, selon l'activité des opérateurs et la nature des communications ainsi que les modalités de compensation, le cas échéant, des surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées à ce titre, à la demande de l'Etat, par les opérateurs ". Aux termes de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable : " Les enquêteurs et les contrôleurs peuvent, pour les nécessités de l'enquête ou du contrôle, se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support. Les enquêteurs peuvent également se faire communiquer les données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et en obtenir la copie. /Les enquêteurs et les contrôleurs peuvent convoquer et entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations. Ils peuvent accéder aux locaux à usage professionnel. Ils peuvent recueillir des explications sur place dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ".

10. Le requérant soutient que l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE), qui pose, en droit français, le régime de conservation de ces données ainsi que l'article L. 621-10 du code monétaire et financier sont incompatibles avec l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002.

11. Or, d'une part, il résulte de l'arrêt C-339/20 du 20 septembre 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit de l'Union, et notamment l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des mesures législatives prévoyant, à titre préventif, aux fins de la lutte contre les infractions d'abus de marché une conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic pendant un an à compter du jour de l'enregistrement ainsi que le prévoient les dispositions des articles L. 34-1 et L. 621-10 susmentionnés.

12. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 6 du présent jugement, le Conseil constitutionnel a, par une décision n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017, déclaré l'inconstitutionnalité du premier alinéa de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier qui autorise les agents de l'AMF à se faire communiquer, pour les besoins d'un contrôle ou d'une enquête, tous documents, quel qu'en soit le support et décidé de reporter au 31 décembre 2018 la prise d'effet de la déclaration de non-conformité par lui prononcée. Toutefois, l'arrêt C-339/20 du 20 septembre 2022 juge également que le droit de l'Union doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une juridiction nationale limite dans le temps les effets d'une déclaration d'invalidité qui lui incombe, en vertu du droit national, à l'égard des dispositions nationales qui, d'une part, imposent aux opérateurs de services de communications électroniques une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et, d'autre part, permettent la communication de telles données à l'autorité compétente en matière financière, sans autorisation préalable d'une juridiction ou d'une autorité administrative indépendante, en raison de l'incompatibilité de ces dispositions avec l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, telle que modifiée par la directive 2009/136, lu à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ainsi que le rappelle cet arrêt C-339/20, l'admissibilité des éléments de preuve obtenus en application des dispositions législatives nationales incompatibles avec le droit de l'Union relève, conformément au principe d'autonomie procédurale des États membres, du droit national, sous réserve du respect, notamment, des principes d'équivalence et d'effectivité. En l'espèce, le droit interne prévoit, aux termes de l'article L. 10-0 AA du livre des procédures fiscales, que les documents, pièces ou informations que l'administration utilise ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine et le Conseil constitutionnel a précisé à cet égard, dans sa décision n° 2013-679 du 4 décembre 2013, que la seule limite à ce dispositif réside dans l'impossibilité pour l'administration fiscale de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge. Or, dès lors que le juge constitutionnel a prononcé par une décision n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017, la non-conformité des dispositions de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier à la Constitution, cette décision fait obstacle à ce que l'administration fiscale puisse se prévaloir pour fonder les impositions litigieuses, de ces pièces qui ont été obtenues sur la base de ce texte déclaré non conforme à la Constitution, la circonstance que le Conseil constitutionnel ait décidé de reporter au 31 décembre 2018 la prise d'effet de cette déclaration de non-conformité étant à cet égard sans incidence.

13. Dans ces conditions, M. B est donc fondé à soutenir que les pièces et informations sur lesquelles s'est fondée l'administration fiscale ont été obtenues au titre d'une procédure irrégulière et que par conséquence la procédure d'imposition est entachée d'irrégularité. M. B peut ainsi prétendre à la décharge des impositions en litige.

Sur les frais de l'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, partie perdante, une somme de 2 000 euros à verser à M. B au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DE C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat, afin de saisine du Conseil constitutionnel, les questions prioritaires de constitutionalité portant sur la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi que des articles L. 81 et L. 84 E du livre des procédures fiscales.

Article 2 : M. B est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, de contributions exceptionnelles sur les hauts revenus ainsi que des majorations et des intérêts de retard correspondants auxquels il a été assujettis au titre de l'année 2014.

Article 3 : L'État versera à M. B la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Vidal, présidente,

Mme Merino, première conseillère,

M. Baudat, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2023.

Le rapporteur,

J. BAUDAT

Le président,

S. VIDALLe greffier,

S. COULANT

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Code publication

C