Cour administrative d'appel de Nancy

Ordonnance du 30 mai 2023 n° 23NC00927

30/05/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C B a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 10 septembre 2021 par laquelle le directeur de l'hôpital Nord-Franche-Comté l'a suspendue de ses fonctions, à compter du 15 septembre 2021, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination à la Covid-19 ou de contre-indication à cette vaccination et, à cette même date, a interrompu le versement de sa rémunération.

Par un jugement n° 2102126 du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Besançon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 mars 2023, Mme B, représentée par Me Guyon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 janvier 2023 ;

2°) d'annuler ou, subsidiairement, d'abroger la décision du 10 septembre 2021 ;

3°) d'enjoindre à l'hôpital Nord Franche-Comté, à titre principal, de la rétablir dans ses droits et tous ses accessoires, dans un délai déterminé à compter de la notification de la décision à intervenir, sous une astreinte de 400 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'hôpital Nord Franche-Comté le versement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont commis plusieurs erreurs de droit ;

- la décision du 10 septembre 2021 est entachée d'incompétence ;

- en sa qualité d'agent administratif, elle ne rentre pas dans le champ d'application de l'obligation vaccinale ;

- la décision du 10 septembre 2021 constitue une sanction disciplinaire ou une mesure conservatoire ;

- elle méconnaît le principe général des droits de la défense, l'ensemble des garanties propres à la procédure disciplinaire ainsi que celles liées au principe du contradictoire ;

- elle constitue une mesure de police administrative illégale ;

- elle est entachée d'une erreur de fait en l'absence de rapport ou d'un contenu de constat ;

- elle porte atteinte au principe de continuité du service public hospitalier, au principe d'égalité et constitue une discrimination ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 2, 5 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît le droit à la santé, le principe de respect de l'intégrité physique et du corps humain, le principe de précaution, et le droit au respect du secret médical.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et son Préambule ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B relève appel du jugement du 26 janvier 2023 par laquelle le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 septembre 2021 par laquelle le directeur de l'hôpital Nord-Franche-Comté l'a suspendue de ses fonctions sans traitement, à compter du 15 septembre 2021, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination à la Covid-19 ou de contre-indication à cette vaccination.

2. Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours () peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter () après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement. Ils peuvent, de même, annuler une ordonnance prise en application des 1° à 5° et 7° du présent article à condition de régler l'affaire au fond par application des 1° à 7°. ".

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Si Mme B soutient que les premiers juges auraient commis plusieurs erreurs de droit, ces moyens relèvent toutefois d'une contestation du bien-fondé du jugement et non de sa régularité. Par suite, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision attaquée :

En ce qui concerne le champ d'application de la loi du 5 août 2021 :

4. Aux termes de l'article 12 de la loi susvisée du 5 août 2021 : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () ". Aux termes de l'article 13 de cette même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. () ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / () / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. () ".

5. Aux termes de l'article L. 6111-1 du code de la santé publique : " Les établissements de santé publics, privés d'intérêt collectif et privés assurent, dans les conditions prévues au présent code, en tenant compte de la singularité et des aspects psychologiques des personnes, le diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes et mènent des actions de prévention et d'éducation à la santé. / Ils délivrent les soins, le cas échéant palliatifs, avec ou sans hébergement, sous forme ambulatoire ou à domicile, le domicile pouvant s'entendre du lieu de résidence ou d'un établissement avec hébergement relevant du code de l'action sociale et des familles. / Ils participent à la coordination des soins en relation avec les membres des professions de santé exerçant en pratique de ville et les établissements et services médico-sociaux, dans le cadre défini par l'agence régionale de santé en concertation avec les conseils départementaux pour les compétences qui les concernent. / Ils participent à la mise en œuvre de la politique de santé et des dispositifs de vigilance destinés à garantir la sécurité sanitaire. / Ils mènent, en leur sein, une réflexion sur l'éthique liée à l'accueil et la prise en charge médicale. / Ils peuvent participer à la formation, à l'enseignement universitaire et post-universitaire, à la recherche et à l'innovation en santé. Ils peuvent également participer au développement professionnel continu des professionnels de santé et du personnel paramédical ".

6. D'une part, il résulte de ces dispositions combinées que le centre hospitalier susmentionné relève des établissements dont les personnels sont soumis à l'obligation vaccinale prévue par le a) du 1° du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021. D'autre part, l'obligation vaccinale s'impose selon les cas prévus par la loi susmentionnée à toute personne travaillant régulièrement au sein de locaux relevant d'un établissement de santé, que cette personne ait ou non des activités de soins et soit ou non en contact avec des personnes fragiles ou des professionnels de santé. Ainsi, si Mme B se prévaut de sa qualité d'agent administratif au sein d'un établissement public de santé, c'est à tort que la requérante affirme ne pas être soumise à l'obligation vaccinale. Il en résulte que le moyen tiré de ce qu'elle n'entre pas dans le champ d'application de la loi du 5 août 2021 doit être écarté.

En ce qui concerne la compétence de l'auteur de la décision :

7. Aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique : " () Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art () ". M. A, directeur général de l'hôpital Nord-Franche-Comté, était compétent pour signer la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette décision doit être écarté.

En ce qui concerne les moyens tirés de la requalification de la mesure de suspension :

8. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, d'une part, qu'il appartient aux établissements de soins de contrôler le respect de l'obligation vaccinale de leurs personnels soignants et agents publics et, le cas échéant, de prononcer une suspension de leurs fonctions jusqu'à ce qu'il soit mis fin au manquement constaté et, d'autre part, que l'appréciation selon laquelle les personnels ne remplissent pas les conditions posées par ces dispositions, ne résulte pas d'un simple constat, mais nécessite non seulement l'identification du cas, parmi ceux énumérés par le I de l'article 13, dans lequel se trouve l'agent, mais également l'examen de la validité des justificatifs en matière vaccinale ou de contre-indications médicales produits le cas échéant par l'agent au regard de ces dispositions législatives et des dispositions réglementaires prises pour leur application. Par suite, l'administration n'était pas en situation de compétence liée.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police / () 6° refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; () ". Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. ". Enfin, aux termes de l'article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 : " Le fonctionnaire en activité a droit : () 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois (). Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence () ".

10. La décision par laquelle le directeur d'un établissement de santé publique prend une mesure de suspension à l'égard d'un agent public qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la Covid-19 constitue une décision restreignant l'exercice des libertés publiques au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-2. Par ailleurs, elle a également pour effet de priver l'intéressé de son traitement dont le versement constitue, après service fait ou pendant la période de congés maladie, un droit garanti par les dispositions précitées de la loi du 13 juillet 1983 et de la loi du 9 janvier 1986. Une telle décision doit, par suite, être motivée en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.

11. En l'espèce, la décision querellée suspendant l'exercice des fonctions et le versement de la rémunération de l'agent vise les lois du 13 juillet 1983 et 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires ainsi que la loi du 5 août 2021 et son décret d'application du 7 août 2021. En outre, la décision mentionne, au titre des considérations de fait, que l'agent n'a pas produit un justificatif de vaccination à la Covid-19 ou de contre-indication à cette vaccination. Dans ces conditions, la décision doit être regardée comme étant suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

12. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". Si la requérante soutient que la décision en cause doit être soumise à une procédure contradictoire préalable en vertu de ces dispositions, ce moyen doit être écarté dès lors que selon les termes mêmes de l'article L. 121-2 du code susmentionné, les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents.

13. D'autre part, il est soutenu dans la requête que la décision de suspension a méconnu le principe général des droits de la défense ainsi que l'ensemble des garanties propres à la procédure disciplinaire ainsi que celles liées au principe du contradictoire.

14. En l'espèce, lorsque l'autorité investie du pouvoir de nomination prononce la suspension d'un agent public en application de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, la décision litigieuse doit s'analyser comme une mesure prise dans l'intérêt du service et de la politique sanitaire, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire, et n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif commis par cet agent. Reposant sur un régime juridique propre, cette mesure de suspension, qui constate le non-respect par l'agent de l'obligation vaccinale imposée par le dispositif légal susmentionné, est limitée à la période au cours de laquelle l'agent s'abstient de se conformer aux obligations qui sont les siennes en application des dispositions précitées. Dès lors, la décision de suspension attaquée n'a pas le caractère d'une sanction administrative qui eût nécessité le respect des garanties procédurales attachées à la procédure disciplinaire ou aux droits de la défense et n'a pas davantage la nature d'une mesure prise en considération de la personne qui eût justifié le respect d'une procédure contradictoire préalable. Les moyens tirés de la privation de telles garanties procédurales sont, par suite, sans incidence sur la légalité de la décision contestée et doivent être écartés.

15. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point ci-dessus, les moyens tirés de ce que la décision constituerait une mesure de suspension à titre conservatoire au sens de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ou une sanction disciplinaire déguisée ne peuvent qu'être écartés.

16. En cinquième lieu, il ressort des dispositions de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 qu'il appartient à l'agent public, soumis à l'obligation vaccinale, de présenter à son employeur les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. Contrairement à ce qu'il est soutenu dans la requête, il n'incombait donc pas à l'administration de procéder à la réalisation de formalités, telle que la production d'un rapport, avant de prendre sa décision de suspension de fonctions. Dans ces conditions, l'absence de production par l'intéressée des justificatifs requis suffisait à l'administration pour constater l'impossibilité d'exercer dans laquelle se plaçait ainsi l'agent et prononcer légalement à son encontre une mesure de suspension.

17. En sixième et dernier lieu, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective, ainsi que de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l'évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques. Le droit à la protection de la santé garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 n'impose pas de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé.

18. Compte tenu de l'efficacité de la vaccination contre la Covid-19 au regard des objectifs poursuivis et en l'état des connaissances scientifiques, les cas très rares d'effets indésirables ne sauraient suffire à établir le caractère inadapté et disproportionné de la mesure. Par suite, en admettant que la décision contestée constitue une mesure de police administrative, le moyen tiré de ce que la mesure ne serait ni nécessaire ni proportionnée ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance du droit au respect du secret médical :

19. L'article 13 de la loi du 5 août 2021 charge les employeurs de contrôler le respect de l'obligation par les personnes placées sous leur responsabilité. Il prévoit que les agents ou salariés présentent un certificat de statut vaccinal, ou un certificat de rétablissement, ou un certificat médical de contre-indication. Il fait obligation aux employeurs de s'assurer de la conservation sécurisée de ces documents. Les agents ou les salariés peuvent transmettre le certificat de rétablissement ou le certificat médical de contre-indication au médecin du travail compétent, qui informe l'employeur du fait que l'obligation a été satisfaite. Il résulte de ces dispositions que l'employeur ne saurait avoir accès à aucune autre donnée de santé. L'article 2-3 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, applicable au contrôle de l'obligation vaccinale en vertu de son article 49-1, énumère limitativement les informations auxquelles les personnes et services autorisés à contrôler les justificatifs ont accès. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaitraient le secret médical protégé par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique doit être écarté.

En ce qui concerne les moyens tirés de l'inconstitutionnalité des dispositions de la loi du 5 août 2021 :

20. Il est soutenu que la décision attaquée porterait, en raison de la base légale sur laquelle elle se fonde, une atteinte au droit à la santé énoncé à l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et aux principes à valeur constitutionnelle de continuité du service public, d'égalité, de précaution, de respect de l'intégrité physique et du corps humain. Toutefois, il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir de se prononcer sur de tels moyens relatifs à la constitutionnalité de dispositions législatives hormis dans le cas où par un mémoire distinct il serait saisi d'une demande tendant à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité, ce qui n'est pas le cas du présent litige. Par suite, eu égard à l'office du juge, les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 sont irrecevables et doivent être écartés.

En ce qui concerne les moyens tirés de l'inconventionnalité des dispositions de la loi du 5 août 2021 :

21. La requérante soutient, d'abord, que la décision contestée méconnaîtrait les articles 2, 5 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elle porterait atteinte au droit à la vie, à la liberté, au respect de la vie privée et familiale, ensuite, qu'elle constituerait une discrimination au sens de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 1er du protocole n° 12 à ladite convention et de l'article 288 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et, enfin, qu'elle serait contraire à la liberté d'entreprendre prévue à l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

22. En premier lieu, il résulte des termes de l'article 51 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que "1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les traités. /2. La présente Charte n'étend pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. ". D'une part, le moyen tiré de la violation du principe d'égalité de traitement garanti par les stipulations du protocole n° 12 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant, ledit protocole n'ayant été ni signé ni ratifié par la France. D'autre part, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 16 de la Charte précitée et de l'article 288 du TFUE sont inopérants en ce qu'ils concernent des dispositions qui soit ne sont pas contraignantes, soit sont inapplicables à une mesure de droit interne. Ils doivent dès lors être écartés.

23. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ".

24. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que les vaccins contre la Covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Contrairement à ce qui est soutenu, les vaccins ne sauraient dès lors être regardés comme en phase expérimentale. D'autre part, si la requérante fait valoir que la limitation des possibilités de contre-indications individuelles porterait une atteinte potentielle à ce droit, compte tenu des risques révélés par les données de pharmacovigilance, de tels éléments ne sont pas de nature à caractériser un danger de cette nature. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

25. En troisième lieu, ne saurait être utilement invoquée la méconnaissance de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à la liberté et à la sureté et n'est pas applicable au présent litige. Par suite, le moyen doit être écarté.

26. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

27. Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

28. D'une part, l'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la Covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé afin, à la fois, de protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la Covid-19 et d'éviter la propagation du virus par les professionnels de santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage. Il s'ensuit que, eu égard à l'objectif de santé publique poursuivi et alors même qu'aucune dérogation personnelle à l'obligation de vaccination n'est prévue en dehors des cas de contre-indication, l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans un établissement de santé, qui ne saurait être regardée comme incohérente et disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, ne méconnaît pas le droit à l'intégrité physique garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

29. D'autre part, l'article 13 de la même loi prévoit que l'obligation de vaccination ne s'applique pas aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Le champ de cette obligation apparaît ainsi cohérent et proportionné au regard de l'objectif de santé publique poursuivi alors même que l'obligation ne concerne pas l'ensemble de la population mais seulement les professionnels qui se trouvent dans une situation qui les expose particulièrement au virus et au risque de le transmettre aux personnes les plus vulnérables à ce virus.

30. Enfin, à la lecture du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, la période de suspension, à laquelle il est loisible à l'agent de mettre fin, n'est pas indéfinie et le préjudice financier en résultant n'est pas, à lui seul, suffisamment grave pour caractériser une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

31. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu dans la requête, en prenant la décision contestée en application des articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021, le directeur de l'établissement n'a pas porté d'atteinte disproportionnée au droit de la requérante à mener une vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

32. En cinquième et dernier lieu, au regard de ce qui a été dit aux points précédents, et dès lors que la requête se borne à soutenir qu'une discrimination est instituée entre les personnels vaccinés et non vaccinés, les dispositions de la loi du 5 août 2021 ne créent aucune discrimination prohibée par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De surcroît, alors que les professionnels de santé sont soumis à d'autres obligations vaccinales sans que celles-ci soient considérées comme discriminatoires, l'établissement hospitalier se limitant à constater que l'agent ne remplit pas ses conditions d'exercice ne peut être regardé comme prenant une mesure discriminatoire. Il s'ensuit que ce moyen doit être écarté.

Sur les conclusions subsidiaires à fin d'abrogation :

33. Lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation d'un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte à la date de son édiction. S'il le juge illégal, il en prononce l'annulation. Ainsi, saisi de conclusions à fin d'annulation recevables, le juge peut également l'être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu'il prononce l'abrogation du même acte au motif d'une illégalité résultant d'un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu'un acte règlementaire est susceptible de porter à l'ordre juridique. Il statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d'annulation. Dans l'hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d'annulation et où l'acte n'aurait pas été abrogé par l'autorité compétente depuis l'introduction de la requête, il appartient au juge, dès lors que l'acte continue de produire des effets, de se prononcer sur les conclusions subsidiaires. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. S'il constate, au vu des échanges entre les parties, un changement de circonstances tel que l'acte est devenu illégal, le juge en prononce l'abrogation. Il peut, eu égard à l'objet de l'acte et à sa portée, aux conditions de son élaboration ainsi qu'aux intérêts en présence, prévoir dans sa décision que l'abrogation ne prend effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

34. Toutefois, il est constant que la décision en litige a le caractère d'un acte individuel. Dès lors, les règles énoncées au point ci-dessus, qui ne valent que pour les actes à caractère réglementaire, ne sauraient être utilement invoquées à l'appui des conclusions de la requête à fin d'abrogation présentées devant le juge de l'excès de pouvoir. En tout état de cause, à supposer même que la requérante entende solliciter, eu égard à la nature et à l'objet de la mesure de suspension dont s'agit, la prise en compte par le juge de l'excès de pouvoir, à la date à laquelle il statue, d'éventuels changements de circonstance de droit ou de fait de nature à justifier l'abrogation de la mesure contestée, il n'est cependant fourni à l'appui de ces prétentions aucune précision sur les éléments de droit ou de fait caractérisant un tel changement de circonstances. Dans ces conditions, telles qu'elles sont articulées, ces conclusions à fin d'abrogation présentées en cours d'instance ne peuvent qu'être rejetées. Ce rejet ne fait cependant pas obstacle à la faculté pour l'agent de saisir ultérieurement, le cas échéant, s'il s'y croit fondé, l'autorité administrative d'une demande d'abrogation de la mesure de suspension contestée en faisant valoir la survenance d'éléments nouveaux.

35. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B n'est manifestement pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Dès lors, ses conclusions tendant à l'annulation, ou à titre subsidiaire, à l'abrogation de la décision du 10 septembre 2021 ainsi que, par voie de conséquences, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il s'ensuit que sa requête, qui est manifestement dépourvue de fondement, ne peut qu'être rejetée en application des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de Mme B est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C B et à l'hôpital Nord-Franche-Comté.

Fait à Nancy, le 30 mai 2023.

Le premier vice-président de la cour,

Signé : J. Martinez

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm