Tribunal administratif de Versailles

Jugement du 25 mai 2023 n° 2103104

25/05/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 14 avril 2021, 29 octobre 2021 et 19 mai 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Qiagen Marseille, représentée par Me Cassan, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de prononcer la décharge des cotisations de cotisation foncière des entreprises et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, des taxes additionnelles et frais de gestion, mises à sa charge au titre des années 2018 et 2019 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- elle ne peut pas être regardée comme exerçant une activité professionnelle au sens des dispositions de l'article 1447 du code général des impôts ;

- la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans sa décision n°439856 du 26 janvier 2021 ne saurait lui être appliquée, sauf à instaurer une présomption irréfragable de mise en place de montage artificiel qui est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques, dès lors qu'il résulte de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel que toute présomption irréfragable porte une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques faute pour le contribuable de pouvoir la combattre.

Par des mémoires en défense enregistrés les 6 septembre 2021, 26 mars 2022 et 7 octobre 2022, le directeur départemental des finances publiques des Yvelines conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le moyen tiré de l'atteinte disproportionnée au principe d'égalité est irrecevable faute d'être soulevé dans un mémoire distinct et motivé portant la mention " question prioritaire de constitutionnalité " ;

- l'autre moyen soulevé par la société requérante n'est pas fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mathé, rapporteure,

- les conclusions de M. Armand, rapporteur public,

- et les observations de Me Le Pommelec, représentant la SAS Qiagen Marseille.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Qiagen Marseille, qui était spécialisée dans la recherche en biotechnologie, a apporté à la société Holiodxinvest, en 2015, l'ensemble des actifs du site de Marseille, où elle avait son siège, à l'exclusion des actifs de propriété intellectuelle. En 2019, elle a cédé l'ensemble de ses actifs incorporels à la société Qiagen Gmbh pour un montant de 44 233 397 euros. Par une décision du 16 février 2021, le service a rejeté la réclamation du 26 octobre 2020 par laquelle la SAS Qiagen Marseille a sollicité le dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) de l'année 2018 d'un montant de 187 367 euros, de la CVAE de l'année 2019 d'un montant de 753 392 euros, de l'acompte de CVAE de l'année 2020 pour un montant de 376 697 euros, ainsi que de la cotisation foncière des entreprises (CFE) de l'année 2019 à hauteur de 896 euros. La SAS Qiagen Marseille demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures, de prononcer la décharge de ces impositions, pour un montant de 187 367 euros s'agissant de la CVAE 2018, pour un montant de 163 487 euros s'agissant de la CVAE 2019, et pour un montant de 896 euros s'agissant de la CFE 2019.

Sur la charge de la preuve :

2. Aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. / Il en est de même lorsqu'une imposition a été établie d'après les bases indiquées dans la déclaration souscrite par un contribuable ou d'après le contenu d'un acte présenté par lui à la formalité de l'enregistrement. "

3. La société requérante ayant été imposée sur la base des éléments contenus dans ses déclarations annuelles, la charge de la preuve de l'exagération des impositions mises à sa charge lui incombe, en application des dispositions du second alinéa de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales.

Sur l'assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et à la cotisation foncière des entreprises :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 1447 du code général des impôts : " I. - La cotisation foncière des entreprises est due chaque année par les personnes physiques ou morales, les sociétés non dotées de la personnalité morale ou les fiduciaires pour leur activité exercée en vertu d'un contrat de fiducie qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée () ". Aux termes de l'article 1586 ter du même code : " I. - Les personnes physiques ou morales ainsi que les sociétés non dotées de la personnalité morale et les fiduciaires pour leur activité exercée en vertu d'un contrat de fiducie qui exercent une activité dans les conditions fixées aux articles 1447 et 1447 bis et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 € sont soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises () ".

5. Les revenus tirés de la concession d'un brevet sont le fruit d'une activité professionnelle au sens des dispositions mentionnées au point précédent, si le concédant met en œuvre de manière régulière et effective, pour cette activité de concession, des moyens matériels et humains ou s'il est en droit de participer à l'exploitation du concessionnaire et est rémunéré, en tout ou partie, en fonction de cette dernière.

6. D'une part, il résulte de l'instruction qu'au cours des années d'imposition en litige, la société néerlandaise Qiagen Nv, à la tête d'un groupe de renommée mondiale spécialisée dans la biologie moléculaire, détenait directement ou indirectement la totalité du capital de plusieurs sociétés faisant partie de ce groupe, au nombre desquelles figuraient la SAS Qiagen Marseille ainsi que celles auxquelles cette dernière avait concédé des brevets, ses sociétés sœurs. Par suite, elle était en droit de participer à l'exploitation de ses concessionnaires.

7. D'autre part, la société requérante ne conteste pas qu'elle était rémunérée, en tout ou partie, en fonction de l'exploitation des sociétés concessionnaires, par la perception de redevances variant selon les quantités de produits licenciés vendues ou de contrats de sous-licence sous-jacents conclus, et se borne d'ailleurs à soutenir que le seul fait qu'elle soit rémunérée par des redevances calculées en prenant en compte le nombre de produits vendus n'est pas suffisant pour caractériser l'exercice d'une activité professionnelle.

8. Dans ces conditions, et alors même qu'il n'est pas contesté que la SAS Qiagen Marseille ne disposait plus de moyens humains et matériels pour exercer son activité, elle doit être regardée comme exerçant à titre habituel une activité professionnelle non salariée au sens et pour l'application des dispositions du I de l'article 1447 du code général des impôts. Par suite, ce moyen doit être écarté.

9. En second lieu, aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ".

10. A supposer que la SAS Qiagen Marseille ait entendu soulever un nouveau moyen en soutenant que la décision rendue par le Conseil d'Etat le 26 janvier 2021 sous le n°439856 concernant l'application des dispositions du I de l'article 1447 du code général des impôts, ne saurait lui être appliquée sauf à instaurer une présomption irréfragable de mise en place de montage artificiel qui est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques protégé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, et ainsi, compte tenu d'une telle interprétation, exciper de l'inconstitutionnalité de ces dispositions, un tel moyen ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R 771-3 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé à l'appui d'une telle question présentée dans un mémoire distinct et motivé, ce moyen est irrecevable, comme le fait d'ailleurs valoir l'administration fiscale.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Qiagen Marseille n'est pas fondée à demander la décharge des cotisations de cotisation foncière des entreprises et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, des taxes additionnelles et frais de gestion, laissé à sa charge au titre des années 2018 et 2019. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Qiagen Marseille est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société par actions simplifiée Qiagen Marseille et au directeur départemental des finances publiques des Yvelines.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Ouardes, président,

- M. de Miguel, premier conseiller,

- Mme Mathé, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023.

La rapporteure,

signé

C. MathéLe président,

signé

P. OuardesLa greffière,

signé

C. Benoit-Lamaitrie

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

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