Tribunal administratif de Versailles

Jugement du 25 mai 2023 n° 2102543

25/05/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 mars 2021 et le 18 octobre 2021, M. B A, représenté par Me Sanchez, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2019 pour un montant total de 217 805 euros, à raison d'un terrain situé au n°9028, voie La Batte à Ballainvilliers (Essonne) ;

2°) d'ordonner la restitution de la somme de 51 911 euros versée à tort au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les années 2015 à 2018, assortie des intérêts moratoires ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'imposition en litige porte une atteinte au droit de propriété, compte tenu de l'importance des sommes réclamées au regard des ressources de l'indivision et de la valeur du terrain, ce qui s'apparente à une expropriation rampante ; l'article 1381 du code général des impôts est contraire aux dispositions du code civil, de la constitution du 4 octobre 1958 ainsi qu'à celles du protocole additionnel de la convention européenne des droits de l'homme ;

- par un courrier du 24 septembre 2009, sollicitant les noms des locataires du terrain et la surface occupée, l'administration n'a pas requalifié le terrain en propriété bâtie et s'est ainsi positionnée formellement sur la consistance du terrain qui lui est opposable en application des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ;

- en refusant de communiquer la proposition de rectification adressée à la société NEC, l'administration méconnait les dispositions des articles L. 55 et L. 57 du livre des procédures fiscales ; dès lors que l'agent vérificateur ayant mené les vérifications lors du contrôle de la société NEC est le même que celui ayant adressé la proposition de rectification, les termes des deux procédures sont opposables à l'administration ;

- en vertu de l'indépendance des procédures, les constatations réalisées lors du contrôle de la société NEC ne lui sont pas opposables ;

- le terrain en cause, qui est classé en zone forestière non constructible, n'est pas utilisé pour un usage commercial ni industriel ni d'entreposage de matériel, de sorte que la requalification en terrain bâti à usage de stockage est erronée ;

- la surface louée affectée à l'entreprise NEC ne représente que 1 000 m² et non la surface totale de 18 552 m², comme l'a requalifié à tort l'administration ;

- lors des déclarations antérieures d'imposition locale, une surface de 5 000 m² a été déclarée à tort, de sorte qu'une restitution des sommes versées à tort doit être prononcée ;

Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 septembre 2021 et le 9 mars 2023, l'administrateur général en charge de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile de France, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une lettre du 25 avril 2023, le tribunal a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à ordonner à l'administration fiscale la restitution des sommes déjà versées, augmentées des intérêts moratoires correspondants, en l'absence de litige né et actuel avec le comptable public.

Une réponse au moyen d'ordre public, enregistrée le 9 mai 2023, a été présentée par M. A.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. de Miguel, premier conseiller, en application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. de Miguel, magistrat désigné,

- et les conclusions de M. Armand, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B A est propriétaire en indivision avec M. C, d'un terrain situé au n°9028, voie La Batte à Ballainvilliers (Essonne), loué à la société Nouvelle Entreprise de Construction (NEC), dont les éléments d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties ont été établis sur la base d'une surface de 5 000 m². A l'issue de la vérification de comptabilité de cette société, l'administration a relevé la base d'imposition de ce terrain à hauteur de 18 551 m² et adressé un courrier le 30 juillet 2019 à l'indivision D l'avisant des rectifications envisagées. Les cotisations supplémentaires de taxe foncières ont été mises en recouvrement le 31 juillet 2020 pour un montant de 217 805 euros. La réclamation déposée par M. A le 17 septembre 2020 a été rejetée par une décision du 19 mars 2021. M. A demande au tribunal de prononcer la décharge de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2019 et d'ordonner la restitution de la somme de 51 911 euros versée à tort au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les années 2015 à 2018.

Sur les conclusions aux fins de décharge :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office. " Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ".

3. Le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article 1381 du code général des impôts, qui soumet à la taxe foncière sur les propriété bâties les terrains non cultivés employés à un usage commercial ou industriel, à laquelle a été assujetti M. A au titre de l'année 2019, ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R 771-3 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé dans un mémoire distinct et motivé portant la mention " question prioritaire de constitutionnalité ", ce moyen est irrecevable.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1381 du code général des impôts : " Sont également soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties : () 5° () les terrains non cultivés employés à un usage commercial ou industriel, tels que chantiers, lieux de dépôt de marchandises et autres emplacements de même nature, soit que le propriétaire les occupe, soit qu'il les fasse occuper par d'autres à titre gratuit ou onéreux () ". Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration () " et aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : 1 Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. () ".

5. Il résulte des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales qu'une réponse apportée par l'administration à une demande précise émanant du contribuable, rend ainsi cette position opposable à l'administration. En l'espèce, le courrier du 24 septembre 2009 dont se prévaut M. A, émanait directement du service des impôts des entreprises de Massy-Sud sollicitant des informations sur la consistance et l'occupation du bien en cause, sans que le requérant ou l'indivision n'aient saisi l'administration d'une question précise au préalable. Dès lors M. A n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, qui ne trouvent pas à s'appliquer en l'espèce. En tout état de cause, le courrier du 24 septembre 2009 n'abordait pas le caractère bâti ou non bâti du terrain, et la circonstance que ce bien soit classé en zone forestière non constructible reste sans incidence sur l'imposition à la taxe sur les propriétés bâties, au sens du 5° de l'article 1381 du code général des impôts pour les terrains employés à un usage industriel ou commercial en tant que lieu de dépôt.

6. En troisième lieu, la vérification de comptabilité de la société NEC opérée par l'administration et les rehaussements de cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties en litige sont des procédures juridiquement distinctes, la seule circonstance que l'agent vérificateur soit identique pour les deux procédures étant insuffisante à les rendre opposables l'une à l'autre. Dès lors, M. A n'est pas fondé à se prévaloir de l'opposabilité de constatations que l'administration aurait établie, qui au demeurant ne résultent pas de l'instruction, lors de la vérification de la société. Il résulte au contraire de l'instruction que les éléments sur lesquels s'est fondée l'administration pour établir les rehaussements de cotisations de taxe foncière, proviennent d'éléments indépendants de la procédure de la société NEC, s'agissant des données de superficie cadastrale, des données disponibles sur internet et de la déclaration 6660-REV-K déposée par l'indivision D, précisant une activité de lieu de dépôt qui porte la mention d'une superficie de 18 552 m² rayée et corrigée pour y apposer la mention de 5 000 m².

7. En quatrième lieu, pour contester l'imposition en litige, le requérant soutient que le terrain en cause n'est occupé que pour une surface de 1 000 m² par l'entreprise NEC, qu'il s'agit d'un terrain nu classé en zone forestière non constructible et non affecté à un usage industriel ou commercial, qui ne peut dès lors être qualifié de propriété bâtie. Il résulte toutefois de l'instruction que, si une déclaration 6660-REV-K indiquant qu'une activité de lieu de dépôt était exercée sur le terrain en cause pour une surface de 5 000 m², il apparaît que cette mention a été rajoutée de manière manuscrite sur la déclaration initiale qui déclarait la superficie louée pour la totalité du terrain à la société NEC, à savoir 18 552 m². De plus, si M. A soutient que seuls 1 000 m² sont louées et non 5 000 m² il ne le démontre pas, alors qu'il résulte de l'instruction que par un courrier adressé le 2 novembre 2009 à l'administration fiscale M. A déclarait qu'une surface totale de 16 030 m² du terrain était louée à l'époque à diverses sociétés du secteur du bâtiment et des travaux publics, qu'une photo aérienne de la parcelle en cause, extraite du site Géoportail et jointe à la réponse aux observations du contribuable du 30 juillet 2019, démontre que la parcelle est occupée par une activité de stockage dans la quasi-totalité de sa surface. Enfin, le courrier adressé à la société NEC le 24 juillet 2019 qui précise que " la SAS NEC exerce son activité à son siège social et loue également des locaux de stockage (terrain nu à ciel ouvert) ", identifie le terrain, non comme le lieu d'exercice de son activité industrielle et commerciale, mais comme un local affecté au stockage dans le cadre d'un usage commercial ou industriel, au sens des dispositions de l'article 1381 5° du code général des impôts, citées au point 4. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a constaté que les bases d'imposition à la taxe foncière du terrain en litige avaient été sous-évaluées et procédé aux rectifications en litige.

8. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général () ". Il résulte des termes mêmes de ces stipulations que le droit au respect de ses biens, reconnu à toute personne physique ou morale, suppose la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.

9. Compte tenu de ce qui précède, la taxation du terrain en cause à usage de stockage s'avère proportionnée aux objectifs poursuivis par le législateur. Elle ne saurait être regardée comme portant atteinte au droit de propriété au sens de l'article 1e du premier protocole additionnel de la convention européenne des droits de l'homme ratifiée par la France et publiée au Journal officiel du 4 mai 1974. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de M. A tendant à la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à la restitution des sommes versées :

11. Aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un Tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés () ". Il résulte de ces dispositions que la restitution des sommes déjà versées par un contribuable doit être faite par le comptable chargé du recouvrement, en exécution d'une décision de justice ordonnant une décharge ou une réduction d'imposition, sans qu'il soit besoin d'adresser à cette fin une injonction à l'administration fiscale.

12. En l'absence de litige né et actuel opposant le requérant au comptable public concernant le remboursement de sommes indûment perçues, les conclusions tendant à ce qu'il soit ordonné à l'administration fiscale de rembourser les sommes indûment versées sont irrecevables et doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais du litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er: La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et à l'administrateur général chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile de France.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023.

Le magistrat désigné,

Signé

F-X de Miguel

La greffière,

signé

C. Benoit-LamaitrieLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.