Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 23 mai 2023 n° 22PA03554

23/05/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. M. et Mme A qui exercent l'activité de greffiers associés au sein de la société civile professionnelle (SCP) C A, Claire A et Anne-Sophie A, ont souscrit une déclaration de revenus au titre de l'année 2018 faisant mention d'un bénéfice non commercial de 3 443 626 euros. Ils ont bénéficié d'un crédit d'impôt modernisation du recouvrement (CIMR) à hauteur de 1 002 036 euros, la cotisation d'impôt sur le revenu mise à leur charge s'établissant en conséquence à 585 914 euros. Estimant pouvoir bénéficier du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement complémentaire, M. et Mme et A ont demandé la décharge de cette imposition. A l'appui de leur requête d'appel tendant à l'annulation du jugement n° 2113486/2-2 du 30 mai 2022 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande, ils demandent à la Cour de " transmettre au Conseil Constitutionnel " la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 60,II-E-3.3° de la loi de finances n°2°16-1917 pour 2017, demande qu'il y a lieu de regarder comme tendant à la transmission de ladite QPC au Conseil d'Etat pour renvoi au Conseil Constitutionnel.

5. L'article 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au décalage d'un an de l'entrée en vigueur du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, instaure, à compter des revenus de l'année 2018 et pour ceux qui entrent dans son champ d'application, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Ce prélèvement est opéré, pour les revenus salariaux et les revenus de remplacement, par l'employeur ou l'organisme versant. Pour les autres revenus, en particulier ceux correspondant à des bénéfices professionnels, ce prélèvement prend la forme du versement d'acomptes. Les dispositions du paragraphe I de l'article 60 déterminent les modalités de ce prélèvement. Les dispositions de son paragraphe II fixent les modalités de la transition entre les règles antérieures de paiement de l'impôt sur le revenu et le prélèvement à la source, afin que les contribuables ne paient pas, en 2019, l'impôt sur le revenu dû à la fois sur les revenus de l'année 2018 et sur ceux de l'année 2019, en instituant un crédit d'impôt dit de modernisation du recouvrement ayant pour objet d'effacer le montant de l'impôt dû au titre de 2018 correspondant aux revenus non exceptionnels de cette année.

6. Pour tenir compte de la possibilité qu'ont les travailleurs indépendants de procéder à des arbitrages sur les recettes et les charges servant à la détermination de leur bénéfice et ainsi maximiser leur bénéfice en 2018, le caractère non exceptionnel du bénéfice de 2018 est apprécié sur une période pluriannuelle. Ainsi, si un contribuable imposé à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles ou des bénéfices non commerciaux réalise, au titre de l'année 2018, un bénéfice supérieur au plus élevé des montants de ses bénéfices de 2015, 2016 ou 2017, le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement dont il peut bénéficier est plafonné au niveau du montant le plus élevé de ces trois années, la différence étant réputée constituer un revenu exceptionnel. Si son bénéfice au titre de 2019 est plus élevé que celui de 2018, le bénéfice de 2018 est réputé ne plus être exceptionnel de sorte qu'il est octroyé de plein droit au contribuable un crédit d'impôt complémentaire effaçant l'intégralité de l'impôt qu'il a acquitté au titre de 2018 sur ce bénéfice. Si son bénéfice de 2019 est inférieur à son bénéfice de 2018 mais supérieur au plus élevé des bénéfices réalisés en 2015, 2016 et 2017, il lui est également octroyé de plein droit un crédit d'impôt complémentaire, limité à la différence entre le bénéfice le plus élevé des trois années de référence et le bénéfice réalisé en 2019. Il peut en outre, dans cette dernière hypothèse, présenter une réclamation à l'administration fiscale pour obtenir un complément de crédit d'impôt pour éliminer la totalité de l'impôt sur le revenu au titre de son bénéfice de 2018, sous réserve qu'il établisse que la part du bénéfice de cette année supérieure aux quatre années de référence correspond à un surcroît d'activité. Ainsi, aux termes du E du II de cet article 60 : " 3. En cas d'application du 2° du 2 du présent E, le contribuable peut obtenir un crédit d'impôt complémentaire dans les conditions suivantes : ()3° Lorsque le bénéfice imposable au titre de l'année 2019, déterminé selon les règles prévues au 1, est inférieur au bénéfice imposable au titre de l'année 2018, déterminé selon les mêmes règles, le contribuable peut bénéficier, par voie de réclamation, d'un crédit d'impôt complémentaire égal à la fraction du crédit d'impôt dont il n'a pas pu bénéficier en application du 2 ou du 2° du présent 3, s'il justifie que la hausse de son bénéfice déclaré en 2018 par rapport aux trois années précédentes et à l'année 2019 résulte uniquement d'un surcroît d'activité en 2018. () ".

7. Il est constant que la SCP au sein de laquelle M. et Mme A exercent leur activité était soumise au régime fiscal des sociétés de personnes jusqu'au 31 décembre 2018, les requérants percevant des bénéfices non commerciaux, et qu'à compter du 1er janvier 2019, la SCP a changé de régime fiscal pour être soumise au régime de l'impôt sur les sociétés, les requérants ne pouvant dès lors faire valoir une comparaison de leurs bénéfices non commerciaux entre 2019 et 2018 pour obtenir un crédit d'impôt complémentaire. Ils soutiennent, en conséquence qu'en interdisant aux contribuables qui ne perçoivent pas en 2019 des revenus de même nature que ceux perçus au cours des années antérieures de pouvoir bénéficier d'un CIMR complémentaire, les dispositions de l'article 60.II-E-3.3° de la loi de finances n° 2016-1917 pour 2017, introduisent une rupture d'égalité entre les contribuables sans rapport avec l'objet de la loi.

8. Toutefois, en se fondant sur la comparaison du bénéfice net de plusieurs années de référence, le législateur a retenu un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi, la méthode d'appréciation pluriannuelle retenue ne pouvant nécessairement s'appliquer qu'à des revenus de même nature, calculés selon les mêmes règles fiscales, compte tenu notamment des arbitrages que permettent les modalités de détermination des bénéfices générés par les sociétés de capitaux. Dans ces conditions, la question prioritaire de constitutionnalité invoquée est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, par suite, de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme A.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. et Mme C et B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.

Fait à Paris, le 23 mai 2023.

Le président de la 2ème chambre

de la Cour administrative d'appel de Paris,

Signé

Isabelle BROTONS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.