Tribunal administratif de Nouvelle Calédonie

Ordonnance du 17 mai 2023 n° 2300085

17/05/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires enregistrés les 31 mars et 11 mai 2023, la société de services pétroliers de Nouvelle-Calédonie (SSPNC), représentée par Me Lenoir, demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête enregistrée le 9 février 2023, tendant à l'annulation de l'arrêté n° 785 du 23 novembre 2022 par lequel le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie a rendu applicable en Nouvelle-Calédonie les dispositions relatives à l'obligation de stockage stratégique de produits pétroliers figurant aux articles R. 6312-9 et suivants du code de la défense et dans l'arrêté du 25 mai 2021, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à l'article 77 de la Constitution des articles L. 671-1 du code de l'énergie et L. 6312-2 du code de la défense.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent la compétence reconnue à la Nouvelle-Calédonie par l'article 77 de la Constitution, notamment en matière d'hydrocarbures, ainsi que le principe constitutionnel de l'irréversibilité des transferts de compétence à la Nouvelle-Calédonie.

Par un mémoire, enregistré le 18 avril 2023, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie soutient que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies dès lors que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée est dépourvue de caractère sérieux et conclut au rejet de la demande de transmission de cette question prioritaire de constitutionnalité.

Par un mémoire, enregistré le 18 avril 2023, la société Mobil International Petroleum Corporation, représentée par la Selarl DetS Legal, soutient que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies dès lors que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée est dépourvue de caractère sérieux et n'est pas nouvelle et conclut au rejet de la demande de transmission de cette question prioritaire de constitutionnalité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;

- le code de l'énergie ;

- le code de la défense ;

- l'arrêté interministériel du 25 mai 2021 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".

2. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

3. L'article L. 6312-2 du code de la défense prévoit que : " Les règles relatives à la constitution et à la conservation des stocks stratégiques pétroliers sont définies, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, par l'article L. 671-1 du code de l'énergie. ". L'article L. 671-1 du code de l'énergie prévoit que : " I. ' Toute personne physique ou morale autre que l'Etat qui met à la consommation ou livre à l'avitaillement des aéronefs civils des produits pétroliers, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, aux îles Wallis-et-Futuna ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, est tenue de constituer et de conserver en permanence un stock de réserve de ces produits de cette collectivité territoriale () ". Enfin l'article 1er de l'arrêté interministériel du 25 mai 2021 relatif à la constitution de stocks stratégiques pétroliers à Saint Pierre et Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie prévoit que : " Le présent arrêté fixe le volume des stocks stratégiques de produits pétroliers que chaque opérateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, des îles Wallis et Futuna, de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie est tenu de constituer et de conserver en application des articles D. 6242-5 à R. 6242-15 et des articles D. 6312-8 à R. 6312-18 du code de la défense. ".

4. En l'espèce, la SSPNC, représentée par Me Lenoir, demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à l'article 77 de la Constitution et au principe à valeur constitutionnelle d'irréversibilité des transferts de compétence à la Nouvelle-Calédonie des articles L. 671-1 du code de l'énergie et L. 6312-2 du code de la défense. Elle soutient que, lorsque ne sont pas en cause les nécessités de la défense nationale, relevant d'une compétence régalienne, le congrès de la Nouvelle-Calédonie est seul compétent pour fixer les mesures nécessaires pour l'approvisionnement en hydrocarbures de la Nouvelle-Calédonie, tel que cela ressort du 11° de l'article 22 et de l'article 40 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et que la méconnaissance du domaine des compétences transférées à la Nouvelle-Calédonie, dans le respect des orientations définies par l'accord de Nouméa auxquelles le titre XIII de la Constitution confère valeur constitutionnelle, peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité, tel que cela a été précisé par une décision n° 2020-869 QPC du 4 décembre 2020 du Conseil Constitutionnel.

5. Toutefois, il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article L. 6312-2 du code de la défense et de l'article L. 671-1 du code de l'énergie qu'elles ont trait à la constitution de stocks stratégiques, celles du code de la défense renvoyant pour la détermination des stocks stratégiques aux règles fixées par celles du code de l'énergie. Le Conseil d'Etat dans sa décision n° 427 552 du 5 octobre 2020 a d'ailleurs retenu que le mécanisme des stocks stratégiques de produits pétroliers institué par l'article L. 671-1 du code de l'énergie tend à prémunir l'Etat du risque de rupture d'approvisionnement dans ces produits en cas de crise internationale et de crise locale. Par ailleurs, si la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit au 11° de son article 22 que la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de réglementation relative aux hydrocarbures et dans son article 40 que la réglementation relative aux hydrocarbures est fixée par le congrès, ce transfert de compétences intervenu en application de l'accord de Nouméa ne peut être regardé comme ayant eu une incidence sur la compétence de l'Etat, au titre de la défense nationale, pour fixer une obligation de constitution des stocks stratégiques de produits pétroliers, tel que cela est défini par le code de la défense, le code de l'énergie et l'arrêté interministériel du 25 mai 2021 relatif à la constitution de stocks stratégiques à Saint Pierre et Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Dès lors, le moyen tiré de ce que les articles L. 671-1 du code de l'énergie et L. 6312-2 du code de la défense ne seraient pas conformes à l'article 77 de la Constitution et au principe à valeur constitutionnelle d'irréversibilité des transferts de compétence à la Nouvelle-Calédonie est dépourvu de caractère sérieux.

6. Ainsi, sans qu'il soit besoin de la transmettre au Conseil d'État, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SPPNC doit être rejetée.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société de services pétroliers de Nouvelle-Calédonie.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société de services pétroliers de Nouvelle-Calédonie, à la société Mobil International Petroleum Corporation et au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Fait à Nouméa, le 17 mai 2023.

Le président du tribunal,

D. Sabroux

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2300085

Code publication

C