Cour administrative d'appel de Nancy

Arrêt du 16 mai 2023 n° 20NC02459

16/05/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté de communes du Grand Langres a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 16 août 2018 par lequel le préfet de la

Haute-Marne a rapporté son arrêté du 13 juin 2018 lui allouant une subvention de 308 423 euros au titre de la dotation globale d'équipement des territoires ruraux.

Par un jugement n° 1802631 du 23 mars 2020, le tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 août 2020, la communauté de communes du Grand Langres, représentée par Me Labayle-Pabet, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1802631 du tribunal administratif de

Châlons-en-Champagne du 23 mars 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Marne du 16 août 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- le jugement de première instance est entaché d'irrégularité en raison d'une insuffisance de motivation ;

- il est également entaché d'irrégularité dès lors que les premiers juges ont omis de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi et ont fait application d'un article du code général des collectivités territoriales inapplicable au cas d'espèce ;

- l'arrêté du 16 août 2018 est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté en litige méconnaît l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, ainsi que le principe de substitution énoncé à l'article L. 5711-17 du code général des collectivités territoriales ;

- en privant la communauté de communes et le syndicat départemental d'énergie et des déchets de la Haute-Marne d'une ressource financière tirée de la dotation d'équipement des territoires ruraux allouée au titre de l'année 2018, il a porté atteinte aux principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales, de sécurité juridique et de protection de l'espérance légitime et d'égalité devant la loi ;

- il est entaché d'un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2021, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A,

- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. En application du 5° du paragraphe I de l'article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales, la communauté de communes du Grand Langres, qui assurait elle-même la collecte des déchets ménagers et assimilés sur son territoire, en avait confié le traitement au syndicat mixte pour la collecte et le traitement des ordures ménagères de la région de Langres auquel elle avait adhéré. Par une délibération du 26 septembre 2017, son conseil communautaire a demandé à se retirer du syndicat mixte et à adhérer au syndicat départemental d'énergie et des déchets de la Haute-Marne. Le préfet de la Haute-Marne ayant fait droit à ces demandes, par deux arrêtés du 27 mars 2018, l'intégralité de la compétence en matière de déchets ménagers et assimilés, à savoir la collecte et le traitement, a été transférée au syndicat départemental le 1er avril 2018, date de l'adhésion. Après avoir approuvé, le 21 avril 2016, le principe d'un projet consistant à mettre fin à la collecte traditionnelle en porte-à-porte au profit d'une collecte en apport volontaire, le conseil communautaire, par une nouvelle délibération du 27 octobre 2017, a autorisé la présidente de la communauté de communes du Grand Langres à solliciter auprès de l'Etat l'octroi d'une subvention au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux afin de contribuer financièrement au déploiement territorial de points d'apport volontaire (PAV) dans trente-trois communes. Le dossier de la demande, présentée en ce sens le 12 février 2018, ayant été déclaré complet le 22 mars 2018, une somme de 308 423 euros a été accordée par un arrêté du préfet de la Haute-Marne du 13 juin 2018. Toutefois, constatant que le syndicat départemental d'énergie et des déchets de la Haute-Marne s'était substitué, à compter du 1er avril 2018, à la communauté de communes du Grand Langres dans l'exercice de la compétence en matière de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés, le préfet a procédé, le 16 août 2018, au retrait de l'arrêté du 13 juin 2018. Son recours gracieux, formé par un courrier du 21 septembre 2018, ayant été rejeté le 24 octobre 2018, la requérante a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 août 2018. Elle relève appel du jugement n° 1802631 du 23 mars 2020, qui rejette sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les premiers juges ont suffisamment répondu aux moyens invoqués devant eux et tirés de ce que l'arrêté en litige du 16 août 2018 serait entaché d'un défaut de motivation et d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 5721-6-1 du code général des collectivités territoriales. Par suite, la communauté de communes du Grand Langres n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier en raison d'une insuffisance de motivation.

3. En second lieu, si la requérante fait valoir que le tribunal a omis de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi et a appliqué à tort au syndicat départemental d'énergie et des déchets de la Haute-Marne, qui est un syndicat mixte fermé, les dispositions de l'article L. 5721-6-1 du code général des collectivités territoriales concernant les transferts de compétence au profit des syndicats mixtes ouverts, de telles circonstances, si elles sont susceptibles d'affecter le bien-fondé du jugement attaqué, s'avèrent, en revanche, sans incidence sur sa régularité. Par suite, ces deux moyens ne peuvent qu'être écartés.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : () 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; () ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige du 16 août 2018 vise les dispositions législatives et réglementaires du code général des collectivités territoriales relatives à la dotation d'équipement des territoires ruraux, l'arrêté du 13 juin 2018 allouant à ce titre à la communauté de communes du Grand Langres une subvention de 308 423 euros en vue de l'implantation de points d'apport volontaire dans trente-trois communes et l'arrêté du 27 mars 2018 approuvant l'adhésion de cet établissement au syndicat départemental d'énergie et des déchets de la Haute-Marne et le transfert à celui-ci de la compétence pour la collecte et pour le traitement des déchets ménagers et assimilés. Il était, en outre, accompagné d'une lettre de notification du même jour, adressée à la présidente de la communauté de communes, dans laquelle il est indiqué que, le syndicat départemental étant seul compétent, depuis le 1er avril 2018, pour assurer la collecte des déchets ménagers, laquelle recouvre la collecte en porte-à-porte ou en apport volontaire à des points de regroupement, il n'était pas possible en conséquence d'allouer à la requérante une aide financière pour une opération pour laquelle elle n'avait pas compétence. Ces différents éléments de droit et de fait permettaient ainsi à la communauté de communes du Grand Langres de connaître les raisons pour lesquelles le préfet de la Haute-Marne a procédé au retrait de son arrêté du 13 juin 2018. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige du 16 août 2018 serait insuffisamment motivé manque par suite en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes, d'une part, de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. ".

7. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 5711-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : " Les syndicats mixtes constitués exclusivement de communes et d'établissements publics de coopération intercommunale et ceux composés uniquement d'établissements publics de coopération intercommunale sont soumis aux dispositions des chapitres Ier et II du titre Ier du livre II de la présente partie. () ". Aux termes de l'article L. 5211-17 du même code : " () L'établissement public de coopération intercommunale est substitué de plein droit, à la date du transfert de compétences, aux communes qui le composent dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes. / Les contrats sont exécutés dans les conditions antérieures jusqu'à leur échéance, sauf accord contraire des parties. La substitution de personne morale aux contrats conclus par les communes n'entraîne aucun droit à résiliation ou à indemnisation pour le cocontractant. La commune qui transfère la compétence informe les cocontractants de cette substitution. ".

8. Aux termes, enfin, de l'article L. 2334-32 du même code : " Il est institué une dotation budgétaire, intitulée dotation d'équipement des territoires ruraux, en faveur des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes répondant aux critères indiqués à l'article L. 2334-33. ". Aux termes de l'article L. 2334-32 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Peuvent bénéficier de la dotation d'équipement des territoires ruraux : () 1° bis () les syndicats mixtes créés en application de l'article L. 5711-1 () dont la population n'excède pas 60 000 habitants ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 2334-22 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " La demande de subvention est présentée par () le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent. ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 2334-25 du même code : " L'attestation du caractère complet du dossier de même qu'une dérogation accordée sur le fondement du II de l'article R. 2334-24 ne valent pas décision d'octroi de la subvention. ".

9. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est pas contesté, que, à la date de l'arrêté du 13 juin 2018 portant attribution d'une subvention de 308 423 euros au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux, la communauté de communes du Grand Langres, du fait du transfert de compétences survenu le 1er avril 2018 en matière de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés au profit du syndicat départemental de l'énergie et des déchets de la Haute-Marne, n'était plus compétente pour réaliser le projet de déploiement territorial de points d'apport volontaire et ne remplissait donc plus les conditions pour bénéficier de la subvention allouée à ce titre. Dans ces conditions, le 16 août 2018, alors que le délai de quatre mois mentionné à l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration n'était pas expiré, le préfet, après avoir constaté cette incompétence, a pu légalement procéder au retrait de l'arrêté du 13 juin 2018. La communauté de communes du Grand Langres ne saurait utilement soutenir que l'autorité administrative aurait dû considérer le syndicat départemental de l'énergie et des déchets de la Haute-Marne comme substitué à elle dans l'attribution de la somme de 308 423 euros dès lors que, d'une part, à la date du transfert de compétences, elle n'était pas encore bénéficiaire d'une telle somme, l'attestation du caractère complet du dossier du 22 mars 2018 ne valant pas décision d'octroi de la subvention, et que, d'autre part, il n'est pas établi que le syndicat mixte en cause était éligible à la dotation d'équipement des territoires ruraux conformément aux dispositions de l'article L. 2334-32 du code général des collectivités territoriales. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration et du principe de substitution énoncé à l'article L. 5711-17 du code général des collectivités territoriales ne peuvent qu'être écartés.

10. En troisième lieu, si la communauté de communes du Grand Langres fait valoir que le retrait de la subvention allouée le 13 juin 2018 porte atteinte aux principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales, de sécurité juridique et de protection de l'espérance légitime et d'égalité devant la loi, l'arrêté en litige du 16 août 2018 se borne à faire application des dispositions législatives de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration. Or, en dehors de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité instituée à l'article 61-1 de la Constitution, il n'appartient pas au juge administratif de porter une appréciation, même indirecte, sur la constitutionnalité de la loi. En tout état de cause, la requérante, qui n'avait plus compétence pour conduire le projet de déploiement territorial de points d'apport volontaire, ne saurait utilement soutenir que l'arrêté en litige du 16 août 2018 serait attentatoire au principe de libre administration des collectivités territoriales. De même, ne remplissant pas les conditions pour bénéficier d'une subvention au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux, elle n'est pas fondée à soutenir que cet arrêté aurait remis en cause, en violation des exigences de sécurité juridique et de protection de l'espérance légitime, une situation légalement acquise ou les effets légitimement attendus de cette situation. Enfin, si la communauté de communes du Grand Langres fait valoir que le préfet de la Haute-Marne aurait méconnu le principe d'égalité devant la loi en attribuant, les 28 février et 8 juin 2018, de telles subventions au syndicat départemental d'énergie et des déchets de la Haute-Marne en vue du financement des travaux de réhabilitation des centres d'enfouissement technique de déchets de Montlandon et de Sarcicourt, ces circonstances, à supposer même qu'elles relèvent de situations identiques à celle en litige, sont sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 16 août 2018. Par suite, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de la méconnaissance des principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales, de sécurité juridique et de protection de l'espérance légitime et d'égalité devant la loi.

11. En quatrième et dernier lieu, si la communauté de communes du Grand Langres fait valoir que l'arrêté en litige du 16 août 2018 a été pris dans l'unique but de satisfaire un collectif d'usagers opposé à l'abandon de la collecte traditionnelle des déchets ménagers en porte-à-porte, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté de communes du Grand Langres n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de

la Haute-Marne du 16 août 2018, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la communauté de communes du Grand Langres est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes du Grand Langres et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la préfète de la Haute-Marne.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Haudier, présidente assesseure,

- M. Meisse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.

Le rapporteur,

Signé : E. A

Le président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

Code publication

C