Tribunal administratif de Nîmes

Jugement du 9 mai 2023 n° 2300622

09/05/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 février 2023 et le 24 mars 2023, M. B C, représenté par Me Bruna-Rosso, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 24 novembre 2022 par lequel la préfète de Vaucluse a refusé son admission au séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours ;

2°) d'enjoindre à la préfète du Vaucluse de lui délivrer une carte de séjour temporaire sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de 15 jours suivant la notification du jugement à intervenir ou, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour valant autorisation de travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

* S'agissant de la décision de refus de séjour :

- la décision attaquée est entachée par l'incompétence de son auteur ;

- l'autorité préfectorale n'a pas répondu à sa demande de titre de séjour " étudiant " présentée à titre subsidiaire et qu'il n'existe sur ce point aucune motivation ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- la décision attaquée méconnait les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la préfète n'a pas procédé à un examen véritable de sa situation au regard de cet article ;

- la décision attaquée méconnait les dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur sa situation familiale.

* S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision attaquée est entachée par l'incompétence de son auteur ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- par exception d'illégalité, la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée ;

- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- dans la mesure où il peut se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, il ne peut pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;

- la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2023, la préfète de Vaucluse conclut au rejet de la requête.

La préfète soutient que les moyens soulevés par M. C ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 24 mars 2023, M. C, représenté par Me Bruna-Rosso, demande au tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1er alinéa de l'article L. 423-3 et du 3ème alinéa de l'article L. 423-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

M. C soutient que :

- les nouvelles dispositions du 1er alinéa de l'article L. 423-3 et du 3ème alinéa de l'article L. 423-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont applicables au litige et n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil Constitutionnel ;

- la question de la conformité avec les droits et libertés garantis par la constitution présente un caractère sérieux ;

- ces dispositions relatives au refus de renouvellement ou au retrait de la carte de séjour en cas de rupture de la vie commune " dans un délai maximal de quatre années à compter de la célébration du mariage " s'appliquent aux seuls étrangers mariés avec un français et non à ceux qui sont mariés à un ressortissant étranger ; elles méconnaissent ainsi le principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination consacré et protégé tant par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en son article 1 et 6 que par le préambule de 1946 interdisant toute forme de discrimination fondée sur l'origine et la race.

La préfète de Vaucluse a produit un mémoire, enregistré le 18 avril 2023 après la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.

M. C a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C, ressortissant chilien né le 7 novembre 1987, déclare être entré en France le 20 juin 2015. Le 10 décembre 2015, l'intéressé a demandé au préfet de Vaucluse de lui délivrer un titre de séjour. Cette demande a été rejetée par un arrêté du 25 mars 2016. L'obligation de quitter le territoire français qui y était rattachée a ensuite été abrogée sur recours gracieux. Par un arrêté du 4 septembre 2017, le préfet de Vaucluse a de nouveau rejeté la demande d'admission au séjour de M. C et l'a obligé à quitter le territoire français.

2. A la suite de son mariage le 31 mars 2018 avec un ressortissant français, le requérant a obtenu le 18 octobre 2018, en qualité de conjoint de français, un titre de séjour d'une durée d'un an, renouvelé par titre de séjour pluriannuel du 16 juin 2020 au 15 juin 2022. Le couple ayant divorcé le 23 juin 2022, M. C a sollicité, le 9 juin 2022, un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par courriers adressés à la préfecture de Vaucluse en date du 20 juin 2022, 29 juillet 2022 et 1er septembre 2022, son conseil a précisé qu'il sollicitait à titre subsidiaire un titre de séjour portant la mention " étudiant ", dans la mesure où il suivait depuis le 20 septembre 2021 une formation professionnelle de moniteur éducateur. M. C demande au tribunal d'annuler l'arrêté du 24 novembre 2022 par lequel la préfète de Vaucluse a refusé son admission au séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours.

Sur la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. () ".

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 423-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile concernant l'étranger conjoint de français : " Lorsque la rupture du lien conjugal ou la rupture de la vie commune est constatée au cours de la durée de validité de la carte de séjour prévue aux articles L. 423-1 ou L. 423-2, cette dernière peut être retirée. ()". ". Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 423-6 du même code concernant l'étranger conjoint de français : " () Elle (la carte de résident) peut être retirée en raison de la rupture de la vie commune dans un délai maximal de quatre années à compter de la célébration du mariage.().". Aux termes de l'article L. 423-17 du même code concernant l'étranger autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial : "En cas de rupture de la vie commune ne résultant pas du décès de l'un des conjoints, le titre de séjour qui a été remis au conjoint d'un étranger peut, pendant les trois années suivant l'autorisation de séjourner en France au titre du regroupement familial, faire l'objet d'un retrait ou d'un refus de renouvellement. () ".

5. Le requérant soutient que le 1er alinéa de l'article L. 423-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a jamais été contesté devant le Conseil constitutionnel, de même que le 3ème alinéa de l'article L. 423-6 du même code, et que leurs dispositions législatives portent atteinte à des droits et libertés que la Constitution garantit. Il soutient à cet égard qu'elles méconnaissent le principe d'égalité et de non-discrimination, dès lors que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'interdit pas aux conjoints mariés à des ressortissants étrangers le droit de rompre la communauté de vie avec leur conjoint durant les trois premières années de mariage, alors que le conjoint d'un ressortissant français se trouve "contraint" à vivre maritalement au minimum quatre années sous peine de se voir retirer son titre de séjour.

6. Toutefois, dès lors que M. C n'a pas fait l'objet d'un retrait de titre de séjour délivré en qualité de conjoint, mais d'un rejet de sa nouvelle demande tendant à la délivrance d'un titre de séjour d'une durée d'un an portant la mention, à titre principal, " vie privée et familiale ", à titre subsidiaire, " étudiant ", les dispositions contestées ne sont pas applicables au litige.

7. Par suite, il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevé au Conseil d'Etat.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

8. Aux termes de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui établit qu'il suit un enseignement en France ou qu'il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d'existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " d'une durée inférieure ou égale à un an.

En cas de nécessité liée au déroulement des études ou lorsque l'étranger a suivi sans interruption une scolarité en France depuis l'âge de seize ans et y poursuit des études supérieures, l'autorité administrative peut accorder cette carte de séjour sous réserve d'une entrée régulière en France et sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1.

Cette carte donne droit à l'exercice, à titre accessoire, d'une activité professionnelle salariée dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle. ".

9. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'admission au séjour présentée pour M. C le 9 juin 2022, puis les 20 juin 2022, 29 juillet 2022 et 26 septembre 2022, à la préfecture de Vaucluse, portait non seulement sur la délivrance d'un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale, mais également sur son admission au séjour en qualité d'étudiant sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. Pour refuserer de délivrer un titre de séjour à M. C, la préfète de Vaucluse s'est fondée sur la rupture de la vie commune entre les époux. Toutefois, alors que l'arrêté attaqué se borne à indiquer au surplus que " le fait que le requérant ait entrepris une formation professionnelle se terminant le 30 juin 2023 ne saurait lui ouvrir des droits au séjour ", il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de Vaucluse aurait réellement examiné la demande d'admission au séjour au titre de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cet article n'étant pas visé dans la décision attaquée. Ainsi, la préfète de Vaucluse a entaché la décision attaquée d'un défaut d'examen complet de la demande de titre de séjour présentée par M. C.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la décision du 24 novembre 2022 refusant l'admission au séjour de M. C doit être annulée. Par voie de conséquence, les décisions du même jour obligeant le requérant à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant le pays de renvoi, privées de base légale, doivent également être annulées.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

12. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 10, l'exécution du présent jugement implique seulement que la préfète de Vaucluse procède au réexamen de la situation de M. C dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions présentées par le requérant au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté du 24 novembre 2022 de la préfete de Vaucluse est annulé.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de Vaucluse de procéder au réexamen de la situation de M. C, dans le délai de deux mois suivant la notification du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. B C, à Me Bruno-Rossa et à la préfète de Vaucluse.

Délibéré après l'audience du 21 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Brossier, président,

Mme Bala, premier conseiller,

M. Aymard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023.

La rapporteure,

K. A

Le président,

J. B. BROSSIER

La greffière,

E. NIVARD

La République mande et ordonne à la préfète de Vaucluse en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°230062