Tribunal administratif de Bordeaux

Jugement du 9 mai 2023 n° 2102041

09/05/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 23 avril 2021, Mme B A, représentée par Me Serhan, avocat, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 4 février 2021 par laquelle la Commission nationale d'agrément et de contrôle du Conseil national des activités privées de sécurité lui a infligé une interdiction temporaire d'exercer toute activité de sécurité privée d'une durée de douze mois et une pénalité financière de 2 000 euros ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national des activités privées de sécurité une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision litigieuse a été prise au terme d'une procédure irrégulière et en méconnaissance des droits de la défense, dès lors qu'elle n'a pas été régulièrement informée de la possibilité de prendre connaissance de son dossier, que la commission a statué sur des pièces qui n'étaient pas présentes au dossier, et que l'audience s'est déroulée hors de sa présence en visioconférence, alors qu'elle avait demandé à être entendue en présentiel ;

- la Commission nationale d'agrément et de contrôle ne pouvait légitimement fonder sa sanction sur la circonstance qu'elle employait un salarié dont la carte professionnelle avait été retirée, dès lors qu'elle n'avait pas été informée, ni par l'intéressé, ni par l'administration, de cette situation ; ce salarié a finalement été licencié le 28 novembre 2018 ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2022, le Conseil national des activités privées de sécurité conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 26 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée le 28 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et d'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'ordonnance n°2014-1329 du 6 novembre 2014 ;

- l'ordonnance n°2020-1507 du 2 décembre 2020 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme de Gélas,

- les conclusions de Mme Champenois, rapporteure publique,

- et les observations de Me Serhan, représentant Mme A.

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 novembre 2018, la société Plage audit conseil sécurité (PACS) a été contrôlée par les agents de la délégation territoriale Sud-Ouest du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). A la suite de ce contrôle, la Commission locale d'agrément et de contrôle (CLAC) du CNAPS a engagé une procédure disciplinaire contre cette société et ses gérants. Par décision en date du 9 octobre 2020, la CLAC a prononcé à l'encontre de Mme B A une interdiction d'exercer toute activité privée de sécurité d'une durée de soixante mois et une pénalité financière de 2 000 euros. Cette dernière a formé un recours administratif préalable auprès de la Commission nationale d'agrément et de contrôle (CNAC), qui a été enregistré le 3 décembre 2020. Par décision en date du 4 février 2021, la CNAC a prononcé à l'encontre de Mme A une interdiction d'exercer toute activité privée de sécurité d'une durée de douze mois et une pénalité financière de 2 000 euros. Dans le cadre de la présente instance, Mme A demande l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la procédure :

2. L'article L. 633-3 du code de la sécurité intérieure dispose que : " Tout recours contentieux formé par une personne physique ou morale à l'encontre d'actes pris par une commission d'agrément et de contrôle est précédé d'un recours administratif préalable devant la Commission nationale d'agrément et de contrôle, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. ". Aux termes de l'article R. 633-9 du même code : " Le recours administratif préalable obligatoire devant la Commission nationale d'agrément et de contrôle prévu à l'article L. 633-3 peut être exercé dans les deux mois de la notification, par la commission locale d'agrément et de contrôle, de la décision contestée. Cette notification précise les délais et les voies de ce recours. Toute décision de la Commission nationale d'agrément et de contrôle se substitue à la décision initiale de la commission locale d'agrément et de contrôle. () ".

3. L'institution par ces dispositions d'un recours administratif préalable obligatoire à la saisine du juge a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Il s'ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale et qu'elle est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Si l'exercice du recours administratif a pour but de permettre à la CNAC, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale de la CLAC, sans attendre l'intervention du juge, la décision prise sur le recours n'en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité. Si la requérante ne peut ainsi invoquer utilement des moyens tirés des vices propres à la décision initiale, lesquels ont nécessairement disparu avec elle, elle est recevable à exciper de l'irrégularité de la procédure suivie devant la CLAC.

S'agissant du respect du principe du contradictoire :

4. En premier lieu, les articles 32 et 34 du règlement intérieur du CNAPS sont relatifs à la procédure préparatoire à la séance de la CLAC. Par suite, Mme A n'est pas fondée à se prévaloir de ces dispositions à l'appui de son recours dirigé contre la décision de la CNAC.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant. ".

6. Si les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration impose à l'administration, lorsqu'elle entend prendre une sanction, de mettre à même la personne en cause de demander la communication du dossier la concernant, elles n'imposent pas les modalités de cette communication. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A n'a pas été informée par la CNAC de ce droit. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier que, lors de sa convocation devant la CLAC, elle a été informée de la possibilité de consulter, au siège de la délégation locale du CNAPS, le dossier la concernant, dont elle ne démontre ni n'allègue que sa composition aurait été modifiée lors de la nouvelle procédure mise en œuvre par la CNAC. La circonstance que la CLAC n'a pas précisé que cette communication pouvait également se faire par voie dématérialisée est sans influence sur la légalité de la procédure.

7. En troisième lieu, d'une part, si Mme A soutient que, lors de l'instruction devant la CLAC, elle n'a pas eu accès au " compte rendu final du contrôle opéré devant l'établissement de nuit de La Plage pour la nuit du 22 au 23 novembre 2018 ", aux " entretiens individuels réalisés courant juillet 2018 des agents de la société PACS ", et au " rapport établi le 14 mars 2018 par la sûreté départementale de la DDSP de la Gironde ", cette circonstance, à la supposer établie, constitue un vice propre à la décision prise par celle-ci. D'autre part, si la requérante fait grief à la CNAC d'avoir fondé sa décision sur ces mêmes pièces, dont elle n'aurait pas reçu communication, elle reconnait toutefois dans ses écritures que ces pièces faisaient partie du dossier de la procédure diligentée par la CLAC auquel elle n'a pas demandé à avoir accès. Par suite, le moyen manque en faits et doit être écarté.

S'agissant de l'audition devant la CNAC :

8. L'article 1er de l'ordonnance n°2020-1507 du 2 décembre 2020 adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives dispose, dans sa version alors en vigueur : " Jusqu'à l'expiration de la période de l'état d'urgence sanitaire () peuvent procéder à des délibérations dans les conditions prévues par l'ordonnance du 6 novembre 2014 susvisée () les conseils d'administration ou organes délibérants en tenant lieu, organes collégiaux de direction ou collèges des établissements publics, quel que soit leur statut, () des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, y compris notamment l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, et des organismes de droit privé chargés d'une mission de service public administratif. () Cette faculté s'exerce nonobstant la circonstance que les dispositions législatives ou réglementaires propres à ces organismes ou instances, y compris leurs règles internes, ne prévoient pas de possibilités de délibération à distance ou les excluent. () ". L'article 2 de l'ordonnance n° 2014- 329 du 6 novembre 2014 relative aux délibérations à distance des instances administratives à caractère collégial : " Sous réserve de la préservation, le cas échéant, du secret du vote, le président du collège d'une autorité mentionnée à l'article 1er peut décider qu'une délibération sera organisée au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. ". Il résulte de l'article 1er de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 que l'état d'urgence sanitaire déclaré à compter du 17 octobre 2020 par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 a été prorogé jusqu'au 16 février 2021 inclus.

9. Aux termes de l'article R. 634-2 du code de la sécurité intérieure : " En matière disciplinaire, la séance de la commission locale ou nationale d'agrément et de contrôle est publique. Toutefois, le président de la commission peut, d'office ou à la demande de la personne mise en cause, interdire au public l'accès de la salle pendant tout ou partie de l'audience dans l'intérêt de l'ordre public ou lorsque le respect de la vie privée ou d'un secret protégé par la loi l'exige. () "

10. D'une part, si Mme A invoque l'inconstitutionnalité des dispositions précitées sur le fondement desquelles le président de la CNAC a décidé de procéder à son audition par visioconférence, et sans publicité des débats, ce moyen ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R 771-3 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé à l'appui d'une telle question présentée dans un mémoire distinct et motivé, il ne peut qu'être écarté.

11. D'autre part, il résulte des dispositions précitées que le président de la CNAC, instance administrative à caractère collégial, pouvait, à bon droit, alors que l'état d'urgence sanitaire avait été prorogé jusqu'au 16 février 2021, décider que l'audience et la délibération de la CNAC se tiendrait par la visioconférence, et sans publicité des débats. Par suite, Mme A n'est pas fondée à soutenir que la procédure litigieuse aurait porté atteinte aux droits de la défense.

En ce qui concerne la sanction :

12. Aux termes de l'article R. 631-15 du code de la sécurité intérieure : " Vérification de la capacité d'exercer. / Les entreprises et leurs dirigeants s'interdisent d'employer ou de commander, même pour une courte durée, des personnels de sécurité et de recherches ne satisfaisant pas aux conditions de qualification professionnelle ou ne possédant pas les autorisations valides requises pour exercer leurs missions. () ".

13. Il ressort des pièces du dossier que, le 23 novembre 2018, un contrôle réalisé aux abords et au sein de l'établissement de nuit " La Plage " par les agents de la Police nationale et de la délégation territoriale Sud-Ouest du CNAPS a permis d'établir, sans que ce ne soit d'ailleurs contesté par Mme A, que la société PACS employait un agent de sécurité dont la carte professionnelle avait été retirée par décision de la CLAC notifiée le 17 septembre 2018. La circonstance que ni l'agent ni l'administration n'ont informé son employeur de ce retrait n'est pas de nature à exonérer la société de son obligation de contrôle des autorisations d'exercice détenues par les agents qu'elle emploie posée par l'article R. 631-15 du code de la sécurité intérieure. A tout le moins, le contrat de cet agent ayant fait l'objet d'un avenant le 23 septembre 2018, la société aurait dû, à cette occasion, procéder à la vérification de la validité de sa carte professionnelle. Eu égard aux faits reprochés à la société PACS, en décidant d'infliger à Mme A, sa gérante, une sanction, la CNAC n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

14. Il résulte de ce qui précède que Mme A n'est pas fondée, par les moyens qu'elle soulève, à demander l'annulation de la décision du 4 février 2021.

Sur les frais liés à l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du CNAPS, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B A est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et au Conseil national des activités privées de sécurité.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Molina-Andréo, première conseillère faisant fonction de présidente,

Mme de Gélas, première conseillère,

Mme Ballanger, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023.

La rapporteure

C. DE GÉLAS

La première conseillère,

faisant fonction de présidente,

B. MOLINA-ANDRÉOLa greffière,

A. JAMEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière

Code publication

D