Tribunal administratif de Paris

Jugement du 9 mai 2023 n° 2014110

09/05/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 septembre 2020 et le 12 avril 2021, la société Arthur D. Little Services, représentée par Me Quentin, demande au tribunal :

1°) de prononcer la restitution, en droits et intérêts, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre l'exercice clos le 31 décembre 2015 correspondant à la reprise partielle du report déficitaire de l'année 2015 pour un montant total de 1 873 132 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

-elle a déduit par erreur de ses résultats imposables les provisions pour dépréciation des prêts octroyés à ses filiales coréenne et hongkongaise et, cette erreur étant rectifiable, le service aurait dû procéder à la réintégration des provisions litigieuses au résultat imposable du premier exercice non prescrit et admettre en compensation en déduction du résultat imposable de cet exercice le produit né de la reprise des provisions devenues sans objet ;

-la rectification opérée par le service aboutit à majorer artificiellement le bénéfice imposable de l'exercice 2015 en raison du plafonnement des déficits reportables institué par le 3° du I de l'article 209 du code général des impôts ;

-les dispositions de cet article sont contraires à la Constitution puisqu'elles entraînent une inégalité devant les charges publiques ;

-contrairement à ce qu'indique l'administration, elle n'a pas procédé à la correction spontanée de cette erreur en effectuant la réintégration des dotations aux provisions en cause.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 mars et le 6 mai 2021, l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

-le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

-le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

-le rapport de Mme A,

-et les conclusions de M. Charzat, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Arthur D. Little Services est la société holding d'un groupe de sociétés exerçant l'activité de consultant et de conseil en stratégie, technologie, gestion et organisation. A l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, le service lui a notifié, par une proposition de rectification du 7 novembre 2017, notamment des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales consécutives à la reprise d'une partie du report déficitaire qu'elle avait imputé sur ses résultats de l'exercice clos en 2015. La société Arthur D. Little Services demande la restitution, en droits et intérêts, des impositions auxquelles elle a été ainsi assujettie.

2. Aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. - Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45,53 A à 57, 108 à 117, 237 ter A et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. () Sous réserve de l'option prévue à l'article 220 quinquies, en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d'un montant de 1 000 000 € majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants. Il en est de même de la fraction de déficit non admise en déduction en application de la première phrase du présent alinéa ".

3. En outre, aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 de ce même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : () 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. () Les provisions qui, en tout ou en partie, reçoivent un emploi non conforme à leur destination ou deviennent sans objet au cours d'un exercice ultérieur sont rapportées aux résultats dudit exercice. Lorsque le rapport n'a pas été effectué par l'entreprise elle-même, l'administration peut procéder aux rectifications nécessaires dès qu'elle constate que les provisions sont devenues sans objet. () 13. Sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt les aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l'exception des aides à caractère commercial. () ".

4. Il résulte des dispositions précitées du 5° de l'article 39 du code général des impôts qu'une provision faisant l'objet d'un emploi non conforme à sa destination ou devenue sans objet au cours d'un exercice doit être réintégrée au bilan de clôture de ce même exercice ou, si cet exercice est prescrit, dans les bilans des exercices non prescrits à l'exception du bilan d'ouverture du premier de ces exercices. Toutefois, lorsque cette provision ne satisfaisait pas, dès l'origine, aux conditions de déductibilité, cette erreur initiale, pour autant qu'elle ne revête pas, pour le contribuable, un caractère délibéré, doit être corrigée dans le bilan de clôture de l'exercice au cours duquel elle a été irrégulièrement constituée ou, si cet exercice est prescrit, dans les bilans des exercices non prescrits à l'exception du bilan d'ouverture du premier de ces exercices, rendant ainsi sans objet sa reprise ultérieure pour emploi non conforme ou perte d'objet.

5. Il résulte de l'instruction que la société Arthur D. Little Services a disposé, à l'ouverture de l'exercice clos le 31 décembre 2015, d'un déficit reportable de 14 211 829 euros ayant pour origine, pour l'essentiel, des provisions constituées à compter de 2012 pour dépréciation de prêts consentis à ses filiales chinoise et coréenne et qu'après imputation de ce déficit à hauteur du bénéfice réalisé au titre de cette année soit 11 091 639 euros, elle a déclaré un résultat nul et un déficit à reporter de 3 120 190 euros. L'administration a estimé, au regard du plafonnement prévu par les dispositions précitées de l'article 209 du code général des impôts, que le déficit reportable imputable au titre de l'exercice clos en 2015 ne pouvait être que de 6 045 820 euros.

6. D'une part, la société soutient que les dispositions précitées de l'article 209 du code général des impôts, en ce qu'elles prévoient un plafonnement sans correctif, créent une rupture d'égalité devant les charges publiques. Toutefois, à l'exception des cas où, en application de l'article 61-1 de la Constitution, une question prioritaire de constitutionnalité est présentée par mémoire distinct, il n'appartient pas au juge administratif de connaître de la question de la conformité d'une loi à la Constitution ou à des principes à valeur constitutionnelle. Dans ces conditions, le moyen, qui n'est pas recevable, doit être écarté.

7. D'autre part, la société Arthur D. Little Services soutient qu'elle avait déduit, par erreur, des résultats imposables de l'exercice clos en 2015 et des exercices antérieurs des provisions pour dépréciation des prêts octroyés à ses filiales coréenne et chinoise dès lors que, s'agissant d'aides accordées pour raison financière, ces provisions n'étaient pas déductibles en application du 13 de l'article 39 du code général des impôts et que cette erreur comptable aurait dû être corrigée par l'administration. Elle soutient que la somme de 11 480 358 euros aurait ainsi dû être réintégrée au premier exercice non prescrit soit l'exercice 2015 et que l'administration aurait dû admettre en compensation en déduction du résultat imposable de ce même exercice le produit né de la reprise des provisions devenues sans objet soit un montant de 11 480 358 euros, ce qui n'aurait pas modifié le résultat imposable de cet exercice.

8. Il résulte de l'instruction que, lors des opérations de contrôle, la société Arthur D. Little Services a indiqué que les provisions en litige avaient été constituées dans le cadre d'un montage financier mis en place lors de la restructuration du groupe afin de contrebalancer les augmentations de capital accordées à ses deux filiales et rationaliser son propre bilan. La société ne pouvait, dès la constitution de ces provisions, ignorer qu'elles étaient irrégulières dès lors, d'une part, que s'agissant d'aides accordées à des entreprises, les prêts en cause ne constituaient pas une charge déductible, en application des dispositions précitées du 13 de l'article 39 et, d'autre part, qu'il n'existait pas de risque probable de perte. Dans ces conditions, la société Arthur D. Little Services ne peut pas être regardée comme ayant commis une simple erreur comptable en inscrivant les provisions en cause en charges et elle n'est pas fondée à demander la réintégration de la provision en litige au premier exercice non prescrit, soit l'exercice 2015.

9. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin de restitution de la société Arthur D. Little Services doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E

Article 1er : La requête de la société Arthur D. Little Services est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société Arthur D. Little Services et à l'administrateur général des finances publiques de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Vidal, président,

Mme Dousset, première conseillère,

M. Khansari, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023.

La rapporteure,

A. A

La présidente,

S. VIDAL

La greffière,

L. REGNIER

La République mande et ordonne au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Code publication

C