Tribunal administratif de Nancy

Jugement du 4 mai 2023 n° 2203225

04/05/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 9 novembre 2022, M. C A, représenté par Me Charliquart, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge partielle des cotisations d'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre de l'année 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que l'indemnité de rupture conventionnelle qu'il a perçue au titre de l'année 2020 entre dans le champ de l'exonération prévue par le 6° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 février 2023, le directeur départemental des finances publiques de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct enregistré le 9 novembre 2022 et un mémoire enregistré le 17 février 2023, M. A, représenté par Me Charliquart, demande au tribunal en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 :

1°) de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans leur version issue de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 ;

2°) de surseoir à statuer dans l'attente des décisions du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel.

Il soutient que :

- les dispositions du 1° de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans leur version issue de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019, n'ont pas été préalablement soumises au contrôle du constitutionnel ; subsidiairement, des changements dans les circonstances de droit et de fait sont intervenus depuis la décision du Conseil constitutionnel n°2013-340 QPC du 20 septembre 2013 jugeant conforme à la constitution les dispositions de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans leur version issue de la loi de finances rectificative pour 2000 ;

- les dispositions en litige méconnaissent le principe d'égalité devant la loi dès lors que, son contrat ayant fait l'objet d'une rupture conventionnelle, il se trouve dans une situation comparable à celle des salariés de droit privé et des agents publics qui concluent une rupture conventionnelle avec leur employeur ; la différence de traitement entre le traitement fiscal versé aux directeurs d'offices publics de l'habitat, n'est pas justifiée par des raisons d'intérêt général ;

- les dispositions en litige méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que la différence de traitement fiscal des indemnités de rupture conventionnelle versées aux directeurs généraux d'offices publics de l'habitat ne repose sur aucun critère objectif et rationnel.

Par des mémoires, enregistrés les 28 novembre 2022, 9 février 2023 et un mémoire non communiqué enregistré le 28 février 2023, le directeur départemental des finances publiques de Meurthe-et-Moselle conclut à la non-transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. A.

Il soutient que la question est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- code de la construction et de l'habitation ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Durand, rapporteur ;

- et les conclusions de Mme Florence Milin-Rance, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A, qui exerçait les fonctions de directeur général de l'Office public de l'habitat du Grand-Nancy, a rompu le contrat qui le liait à son employeur au cours de l'année 2020. Il a intégré l'indemnité de rupture conventionnelle qu'il a perçue à cette occasion dans ses revenus imposables de l'année 2020. Par réclamation du 12 juillet 2022, l'intéressé a demandé que cette indemnité bénéficie de l'exonération prévue par le 6° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts. Cette demande a été explicitement rejetée, le 9 septembre 2022. Par sa requête, M. A demande au tribunal de prononcer la décharge partielle des cotisations d'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre de l'année 2020.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

3. Il résulte des dispositions combinées de l'article LO. 771-1 du code de justice administrative et des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une ou plusieurs dispositions législatives portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que les dispositions contestées soient applicables au litige ou à la procédure, qu'elles n'aient pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État () ".

4. En vertu de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa version issue de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 : " 1. Toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes. / Ne constituent pas une rémunération imposable : () 6° La fraction des indemnités prévues à l'article L. 1237-13 du code du travail versées à l'occasion de la rupture conventionnelle du contrat de travail d'un salarié, ainsi que la fraction des indemnités prévues aux articles 3 et 7-2 de l'annexe à l'article 33 du Statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie versées à l'occasion de la cessation d'un commun accord de la relation de travail d'un agent, lorsqu'ils ne sont pas en droit de bénéficier d'une pension de retraite d'un régime légalement obligatoire () Le présent 6° est applicable aux indemnités spécifiques de rupture conventionnelle versées en application des I et III de l'article 72 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ".

5. Aux termes de l'article L. 421-12 du code de la construction et de l'habitation : " Le directeur général dirige l'activité de l'office dans le cadre des orientations générales fixées par le conseil d'administration. / Il est recruté par un contrat à durée indéterminée. Néanmoins, lorsque le directeur général est recruté par la voie du détachement, la durée du contrat est liée à celle du détachement. Un décret en Conseil d'Etat précise les principales caractéristiques du contrat et fixe notamment les conditions d'exercice des fonctions et de rémunération, le cas échéant les avantages annexes, ainsi que l'indemnité pouvant être allouée en cas de cessation de fonction. () ". Aux termes de l'article L. 421-12-2 du même code : " L'office et le directeur général peuvent décider par convention des conditions de la rupture du contrat qui les lie. Le président et le directeur général conviennent des termes de la convention lors d'un entretien préalable à la rupture, au cours duquel chacun peut être assisté par la personne de son choix. La convention de rupture définit le montant de l'indemnité de rupture. Cette disposition n'est pas applicable aux fonctionnaires détachés dans l'emploi de directeur général () ".

6. Le requérant soutient que les dispositions du 6° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts, telles que modifiées par la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 méconnaissent, dans leur intégralité, les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

7. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet d'un traitement différent, sous réserve que le législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et qu'il ne fasse pas peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs capacités contributives.

8. D'une part, par une décision n°2022-10333 du 27 janvier 2023, le Conseil constitutionnel a jugé que le dernier alinéa du 6 ° du 1 de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, est conforme à la Constitution. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A, ne présente pas un caractère de nouveauté en tant qu'elle concerne le dernier alinéa des dispositions en litige.

9. D'autre part, il résulte de l'instruction que l'Office public de l'habitat du Grand-Nancy a versé à M. A une indemnité découlant de la rupture du contrat à durée indéterminée qui les unissait. M. A ne relevait ni du statut de salarié de droit privé, ni de celui de personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie, ni de celui des agents publics visés par l'article 72 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et se trouvait par suite dans une situation différente de celle des personnes visées par les dispositions litigieuses du code général des impôts. Par ailleurs, il résulte des travaux parlementaires et notamment des motifs de l'amendement n°Com-432 du 13 mars 2015 que la possibilité pour un office public de l'habitat de conclure une rupture conventionnelle de son contrat a pour objet d'éviter l'émergence de contentieux couteux pour les offices publics. A l'inverse il résulte du rapport de présentation de l'article 26 de la loi n°2019-828 du 6 août 2019, qui a introduit la possibilité de conclure une rupture conventionnelle avec un fonctionnaire et de l'exposé sommaire de l'amendement gouvernemental n°I-2999, à l'origine de l'article 5 de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019, que ces textes ont pour objet de créer des outils permettant d'inciter des agents qui le souhaitent à quitter la fonction publique. Au regard de tels buts, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en réservant le bénéfice de l'extension de l'avantage aux seuls agents relevant de la fonction publique et des personnels administratifs des chambres de commerce et d'industrie. Si M. A soutient qu'il en résulte une différence de traitement préjudiciable aux directeurs d'offices publics de l'habitat, celle-ci répond à une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A est dépourvue de caractère sérieux.

10. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A est dépourvue de caractère sérieux et ne peut, dès lors, faire l'objet d'une transmission au Conseil d'Etat.

Sur les conclusions aux fins de décharge :

11. Aux termes de l'article 80 duodecies du code général des impôts : " 1. Toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes. / Ne constituent pas une rémunération imposable : () 6° La fraction des indemnités prévues à l'article L. 1237-13 du code du travail versées à l'occasion de la rupture conventionnelle du contrat de travail d'un salarié, ainsi que la fraction des indemnités prévues aux articles 3 et 7-2 de l'annexe à l'article 33 du Statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie versées à l'occasion de la cessation d'un commun accord de la relation de travail d'un agent, lorsqu'ils ne sont pas en droit de bénéficier d'une pension de retraite d'un régime légalement obligatoire () Le présent 6° est applicable aux indemnités spécifiques de rupture conventionnelle versées en application des I et III de l'article 72 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ".

12. Il résulte de l'instruction que l'Office public de l'habitat du Grand-Nancy a versé à M. A une indemnité découlant de la rupture du contrat à durée indéterminée qui les unissait. M. A ne relevait d'aucune des hypothèses limitativement énumérées exonérant un tel versement. Par suite, c'est à tort qu'il soutient que l'administration a méconnu les dispositions précitées en incluant le montant de son indemnité de rupture dans son assiette imposable au titre de l'impôt sur les revenus de l'année 2020.

13. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin de décharge doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

14. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par la société requérante et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. C A et au directeur départemental des finances publiques de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 6 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Marti, président,

M. Durand, premier conseiller,

Mme Marini, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2023.

Le rapporteur,

F. Durand

Le président,

D. MartiLa greffière,

M. B

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

N°2203225

Code publication

C