Tribunal administratif d'Orléans

Jugement du 4 mai 2023 n° 2104604

04/05/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2021 et un mémoire, enregistré le 14 avril 2022, M. B C, représenté par Me Di Vizio, doit être regardé comme demandant au tribunal :

1°) à titre principal, d'annuler la décision du 21 octobre 2021 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Centre-Val de Loire lui a notifié, compte tenu de l'absence de présentation des justificatifs requis en application des dispositions de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, une interdiction d'exercice valant suspension automatique de son activité professionnelle depuis le 15 septembre 2021 ;

2°) d'ordonner le versement d'une indemnité compensatrice pour perte d'activité durant la période de suspension, évaluée sur la même période ayant précédé l'arrêt d'activité ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à l'exécution de la décision de suspension de son exercice en tant que médecin libéral dans la commune de Tigy puisqu'il s'agit d'une zone de désert médical ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de surseoir à l'exécution de la décision de suspension de son exercice en tant que médecin libéral dans la commune de Tigy en ce qui concerne les ordonnances et les traitements d'urgence dans une zone de désert médical.

Il soutient que :

- il a intérêt à agir ;

- par courrier du 1er octobre 2021, il a reçu un délai de soixante-douze heures pour faire connaître son statut vaccinal, sans être informé ni de la raison précise ni de l'article précis de la loi auquel il est assujetti ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée dès lors que l'obligation vaccinale dont il fait l'objet apparaît comme une mesure de police disproportionnée et ne répond pas aux objectifs du législateur pour les motifs suivants : le vaccin n'empêche pas la transmission du virus et, en particulier, ses nouvelles variantes ; sa suspension d'exercice porte atteinte au droit à la santé de sa patientèle, droit reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle et à la bonne continuité des soins de ses patients, alors même qu'il exerce dans un désert médical et que l'absence de médecin référent sort le patient du parcours de soins avec un risque de non-remboursement pour l'intéressé ; cette décision viole le secret médical protégé de manière générale et absolue par les articles R. 4127-4 et L. 1110-4 du code de la santé publique et par l'article 226-13 du code pénal ; la vaccination obligatoire des professionnels de santé au moyen d'un vaccin autorisé sous condition expose cette partie de la population à un risque disproportionné.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 mars 2022 et le 24 mai 2022, l'agence régionale de santé Centre Val de Loire, conclut au rejet de la requête.

L'agence régionale de santé fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénal ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D,

- les conclusions de Mme Palis De Koninck, rapporteure publique,

- et les observations de Mme A, représentant l'agence régionale de santé Centre-Val de Loire.

Considérant ce qui suit :

1. M. B C, médecin libéral, exerce à Tigy. Par lettre du 8 septembre 2021, le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Centre-Val de Loire l'a informé, d'une part, qu'en l'absence de justification de l'engagement d'un schéma vaccinal contre la Covid-19 au 15 septembre 2021, il ne pourra plus exercer son activité, d'autre part, que s'il a engagé un schéma vaccinal à cette date, il devra l'avoir complété au 16 octobre 2021 et qu'enfin, dans la négative, il sera en interdiction d'exercice. Puis par lettre du 1er octobre 2021, le directeur de l'ARS l'a mis en demeure de transmettre sous soixante-douze heures la preuve de son statut vaccinal. Finalement, par décision du 21 octobre 2021, le directeur de l'ARS l'a interdit d'exercer sa profession de médecin. M. C demande au tribunal d'annuler cette dernière décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes des trois premiers alinéas de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; ". Aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 121-2 de ce code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ; ".

3. En l'espèce, à l'occasion du contrôle du respect de l'obligation vaccinale diligenté par l'ARS Centre-Val de Loire, celle-ci a rappelé au requérant, par lettre du 8 septembre 2021, ses obligations au regard de l'obligation vaccinale. Elle lui a ensuite adressé, le 1er octobre 2021, une lettre lui demandant de transmettre un certificat assurant de la conformité de sa situation au regard de l'obligation vaccinale, dans un délai maximal de soixante-douze heures après réception de ce courrier, et l'a informé qu'en l'absence de réception du justificatif demandé, il recevrait une lettre valant interdiction d'exercer. Cette lettre précise encore que l'interdiction d'exercer interviendra sur le fondement de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 et entrainera la suspension automatique de son exercice ainsi que, pour ses patients, la fin des remboursements par l'assurance maladie. Ainsi, le requérant a été mis à même de pouvoir présenter utilement ses observations avant l'édiction de la décision attaquée intervenue le 21 octobre 2021. En tout état de cause, M. C ne précise pas quelles observations auraient pu conduire l'ARS à ne pas prendre sa décision. Le moyen est par suite écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

5. Le I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire instaure une obligation de vaccination contre la Covid-19, sauf contre-indication médicale reconnue, pour les personnes qu'il énumère, notamment, au 1°, les personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé, les établissements sociaux et médicaux sociaux et les autres établissements et services dont il fixe la liste, ainsi que : " 2° Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, lorsqu'ils ne relèvent pas du 1° du présent I ; /() ". Le I de l'article 13 de cette même loi dispose que : " Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1° () / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité ". Aux termes du premier alinéa du B du I de l'article 14 de la loi : " A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret ".

6. En adoptant pour l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, ainsi que pour les autres professionnels de santé n'exerçant pas dans ces établissements, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de Covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir le bon fonctionnement des établissements de santé grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des patients.

7. Cette obligation vaccinale ne s'impose pas, en vertu de l'article 13 de la même loi du 5 août 2021, aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la vaccination contre la Covid-19, dont l'efficacité au regard des deux objectifs rappelés ci-dessus est établie en l'état des connaissances scientifiques, n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée porterait, en raison des effets indésirables susceptibles d'être générés par l'injection des produits existants, atteinte à son droit à l'intégrité physique, tel qu'il découle des stipulations précitées de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. En troisième lieu, le requérant soutient que l'obligation vaccinale qui lui est imposée n'est pas justifiée surtout lorsqu'elle intervient, comme en l'espèce, dans une zone de désert médical où les prescriptions et le suivi d'un certain nombre de patients sont mis en danger. Il ajoute que l'obligation vaccinale appliquée indifféremment à tous les médecins, sans distinction de la fonction qu'ils exercent, est illégale et disproportionnée et qu'elle va à l'encontre de l'objectif central de la mise en œuvre d'une telle mesure, à savoir le droit à la protection de la santé. A supposer que ce faisant, le requérant ait entendu soutenir que l'obligation vaccinale instaurée par les dispositions de la loi du 5 août 2021 méconnaît l'objectif à valeur constitutionnelle de droit à la protection de la santé, un tel moyen ne peut être soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R. 771-3 du code de justice administrative. Ainsi, faute d'être soulevé à l'appui d'une telle question présentée dans un mémoire distinct et motivé, ce moyen ne peut qu'être écarté.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique : " () Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venue à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. () ". Aux termes de l'article 13 de la loi du 5 août 2021 dans sa version applicable au litige : " II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. Pour les autres personnes concernées, les agences régionales de santé compétentes accèdent aux données relatives au statut vaccinal de ces mêmes personnes, avec le concours des organismes locaux d'assurance maladie. En cas d'absence du certificat de statut vaccinal mentionné au I du présent article, les personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent II adressent à l'agence régionale de santé compétente le certificat de rétablissement ou le certificat médical de contre-indication prévus au I. Les personnes mentionnées au I de l'article 12 peuvent transmettre le certificat de rétablissement ou le certificat médical de contre-indication mentionnés au I du présent article au médecin du travail compétent, qui informe l'employeur, sans délai, de la satisfaction à l'obligation vaccinale avec, le cas échéant, le terme de validité du certificat transmis. ".

10. Il résulte des dispositions précitées de la loi du 5 août 2021 qu'elles dérogent au secret médical institué par les dispositions de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique. Par suite, le moyen tenant à la violation de ce secret médical par les agents de l'ARS doit être écarté.

11. En cinquième lieu, le requérant soutient que la vaccination obligatoire imposée par les dispositions de la loi du 5 août 2021 par l'intermédiaire d'un vaccin autorisé à titre conditionnel expose une partie de la population à un risque disproportionné. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les vaccins contre la Covid-19 autorisés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament, en considération d'un rapport bénéfice/risque positif. Si l'autorisation est conditionnelle, il ne s'ensuit pas pour autant que les vaccins en cause auraient un caractère expérimental. En vertu du règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, celle-ci ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif. La vaccination contre la Covid-19, dont l'efficacité au regard des objectifs rappelés au point 6 du jugement est établie en l'état des connaissances scientifiques, n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la vaccination au moyen du vaccin autorisé à titre conditionnel présenterait un caractère disproportionné.

12. En dernier lieu, si M. C se prévaut de ce que certaines décisions des juridictions prud'homales ont ordonné l'annulation de la suspension de contrats de travail et de ce que la Cour européenne des droits de l'homme a retenu une disproportion dans les mesures adoptées par la Suisse et Malte, ces circonstances ne sont pas de nature à établir que la décision de suspension prononcée à son encontre par l'ARS Centre-Val de Loire présenterait un caractère disproportionné.

13. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 21 octobre 2021 du directeur général de l'ARS Centre-Val de Loire présentées par M. C doivent être rejetées.

Sur les autres conclusions :

14. Le présent jugement rejette les conclusions à fin d'annulation formulées par M. C. Par suite, les conclusions tendant au versement d'une indemnité compensatrice pour perte d'activité durant la période de suspension ainsi que les conclusions tendant à surseoir à l'exécution de la décision de suspension de son exercice en tant que médecin libéral dans la commune de Tigy, et à titre infiniment subsidiaire, à surseoir à l'exécution de la décision de suspension de son exercice en tant que médecin libéral dans la commune de Tigy en ce qui concerne les ordonnances et les traitements d'urgence, doivent être également rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B C et l'agence régionale de santé Centre-Val de Loire.

Délibéré après l'audience du 13 avril 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Rouault-Chalier, présidente,

M. Viéville, premier conseiller,

M. Nehring, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2023.

Le rapporteur,

Sébastien VIEVILLE

La présidente,

Patricia ROUAULT-CHALIER

La greffière,

Emilie DEPARDIEU

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C