Cour administrative d'appel de Versailles

Ordonnance du 2 mai 2023 n° 23VE00608

02/05/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Gefco-France a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise :

I, sous le n° 2000087, d'annuler la décision du 28 octobre 2019 par laquelle le directeur régional de l'économie, de la compétitivité, de la concurrence, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a infligé des amendes administratives à hauteur de 1 600 000 euros au titre de la méconnaissance des délais de paiement prévus par le code de commerce, et, à titre subsidiaire, de ramener le montant des amendes à 161 680 euros.

II, sous le n° 2009838, d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté sa réclamation tendant à l'annulation du titre de perception du 6 février 2020 portant sur la somme de 1 600 000 euros.

Par un jugement n° 2000087-2009838 du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a joint les deux requêtes et les a rejetées.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 mars 2023, la société Gefco-France, représentée par Me Wachsmann et Me Zacharie, avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 28 octobre 2019 par laquelle le directeur régional de l'économie, de la compétitivité, de la concurrence, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a prononcé à son encontre une amende administrative de 100 000 euros et une amende administrative de 1 500 000 euros, représentant un montant total de 1 600 000 euros ;

3°) subsidiairement, de ramener le montant de l'amende administrative retenu à la somme de 161 680 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 27 mars 2023, la société Gefco-France demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce.

Elle soutient que :

- les dispositions contestées sont applicables au litige ;

- le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions contestées ;

- les dispositions contestées méconnaissent le principe d'individualisation des peines consacré par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 et son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ". En vertu des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, la juridiction, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstance, et qu'elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 441-3 du code de commerce dans sa version applicable au litige, devenu depuis lors l'article L. 441-9 du même code : " Tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation. / Sous réserve des deuxième et troisième alinéas du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer. La facture doit être rédigée en double exemplaire. Le vendeur et l'acheteur doivent en conserver chacun un exemplaire ".

3. La société Gefco-France soutient que ces dispositions législatives seraient contraires à l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, texte ayant valeur constitutionnelle, en ce qu'elles méconnaissent le principe d'individualisation des peines.

4. Aux termes de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ".

5. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions des deux premiers alinéa de l'article L. 441-3 alors en vigueur du code de commerce, la société Gefco France ne peut utilement invoquer les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors que les dispositions contestées, qui n'instituent à elles seules aucune sanction, se bornent à prévoir que l'acheteur doit réclamer la facture que le vendeur est tenu de lui délivrer. En tout état de cause, l'édiction d'une norme légale applicable à tous n'est pas de nature caractériser une atteinte au principe d'individualisation des peines.

6. Il résulte de ce qui précède que la question posée par la société Gefco-France n'apparait pas présenter un caractère sérieux. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le caractère applicable au litige ou sur le caractère nouveau de la question posée, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question posée par la société Gefco-France.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Gefco-France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Fait à Versailles, le 2 mai 2023.

Le président de la 1ère chambre,

P. BEAUJARD

Pour expédition conforme,

La greffière,