Tribunal administratif de Toulouse

Jugement du 27 avril 2023 n° 2103931

27/04/2023

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 juin 2021 et le 10 janvier 2022, Mme C, représentée par Me Nabet-Martin, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 7 octobre 2020 par laquelle le maire de la commune de Toulouse a refusé de lui rembourser des frais qu'elle a engagée du fait de son handicap pour prendre part aux séances des conseils municipaux et métropolitains ;

2°) d'enjoindre à la commune de Toulouse et à Toulouse métropole à lui verser la somme de 6 683,48 euros à parfaire ;

3°) d'enjoindre à la commune de Toulouse et à Toulouse métropole de prendre en charge les frais liés à l'aide humaine à laquelle, selon elle, elle peut prétendre en vue de préparer les séances des conseils municipaux et métropolitains ainsi que des commissions et également de leur enjoindre de mettre à sa disposition un ordinateur portable pour un usage, à la fois, professionnel et personnel et lui permettre ainsi d'accéder à sa messagerie électronique personnelle ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse et de Toulouse métropole la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est recevable ;

- sa demande n'est pas prescrite ;

- le principe d'égalité, tel que garanti par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi que par la Constitution de 1958 a été méconnu, de même qu'ont été méconnus les droits civils et politiques garantis par ces mêmes instruments ;

- le principe d'égalité, tel que garanti par l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le protocole n° 12 à cette Convention a été méconnu ;

-l'article 29 de la convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées, publiée par le décret n° 2010-356 du 1er avril 2010, a été méconnu ;

- la décision attaquée méconnaît les articles L.2123-18-1 et D.5211-4-1 du code général des collectivités territoriales et le refus de Toulouse métropole de la rembourser des frais engagés, en application des dispositions de l'article L.5211-13 du même code, est entaché d'une erreur de droit dès lors les frais d'aide technique visés par ces textes comprennent les frais engagés par les élus en situation de handicap pour préparer les séances des conseils municipaux et intercommunaux ;

- elle est victime d'une rupture d'égalité et de discriminations dans la mesure où sa situation particulière de handicap la contraint à engager des frais supplémentaires pour exercer correctement ses fonctions électives alors que les autres élus disposent librement de leurs indemnités ;

- elle est fondée à demander, pour la période comprise entre juillet 2020 et novembre 2021, le remboursement de la somme de 6 683,48 euros, correspondante au financement de l'aide humaine qui lui est nécessaire pour préparer les séances des conseils municipaux et métropolitains ainsi que les commissions ;

- elle est fondée à demander, depuis la fin de cette période, une prise en charge financière pour l'aide humaine qui lui est nécessaire pour préparer les séances des conseils municipaux et métropolitains ainsi que les commissions ;

* l'aide humaine nécessaire doit être fixée à 25 heures pour la préparation de chaque conseil, 10 heures pour l'assister durant le conseil, 90 heures pour la préparation des commissions et 12 heures pour l'assister durant les commissions ;

* le tarif horaire minimum doit être fixé à 14,21 euros

- elle est fondée à demander la mise à disposition d'un ordinateur portable pour un usage, à la fois, professionnel et personnel et lui permettre ainsi d'accéder à sa messagerie électronique personnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 novembre 2021, la commune de Toulouse conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Elle fait valoir que :

- en l'absence de demande indemnitaire préalable, la requête de Mme C est irrecevable ;

- le délai de prescription n'a pas été interrompu par le dépôt d'une requête en médiation ;

- en application des dispositions du code général des collectivités territoriales, la commune n'a pas à prendre en charge les frais d'assistance humaine des élus en situation de handicap relatifs à la seule préparation des séances ;

- le tribunal ne peut pas lui enjoindre de prendre en charge contra legem les frais liés à l'aide humaine sollicités par la requérante pour la seule préparation des séances et des commissions ;

- le tribunal ne peut pas lui enjoindre de mettre à la disposition de Mme C un ordinateur portable qui ne respecterait pas les consignes sécuritaires ;

- si les textes applicables en matière de mise à disposition des moyens informatiques concernent l'ensemble des élus et ne prévoient pas de droit spécifique pour les élus en situation de handicap, il n'en demeure pas moins que la commune a tenu compte de la situation particulière de Mme C, en lui proposant un ordinateur portable et non une tablette numérique.

Par des mémoires en défense enregistrés le 4 novembre 2021 et le 16 février 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Toulouse métropole conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et fait valoir les mêmes arguments que ceux présentés par la commune de Toulouse.

La clôture de l'instruction a été fixée au 17 février 2022 par une ordonnance du 18 janvier précédent.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées ;

- la loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019 ;

- le décret n°2021-258 du 9 mars 2021 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu, au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de Mme Chalbos, rapporteure publique,

- et les observations de Me Nabet-Martin, représentant Mme C, ainsi que celles de M. D, représentant la commune de Toulouse et Toulouse métropole.

Considérant ce qui suit :

1. Par courriel du 7 juillet 2020, Mme C, conseillère municipale et métropolitaine, a demandé au maire de la commune de Toulouse de prendre en charge, notamment, les frais d'assistance technique et d'aide humaine rendus nécessaires en raison de son handicap pour préparer les séances des conseils municipaux et des conseils de la métropole. Par décision du 7 octobre 2020, le maire de la commune de Toulouse a refusé de prendre en charge de tels frais au motif que les dispositions légales et réglementaires en vigueur ne prévoyaient pas cette prise en charge. Par sa requête, Mme C doit être regardée comme demandant au tribunal d'annuler cette décision du 7 octobre 2020 et d'enjoindre à l'administration de de lui verser la somme de 6 683,48 euros à parfaire en remboursement des frais qu'elle estime avoir engagés. Mme C demande également au tribunal de leur enjoindre de prendre en charge les frais de l'aide humaine à laquelle elle peut prétendre en vue de préparer les séances des conseils municipaux et métropolitains ainsi que des commissions et de mettre à sa disposition un ordinateur portable pour un usage, à la fois, professionnel et personnel et lui permettre ainsi d'accéder à sa messagerie électronique personnelle.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2123-18-1 du code général des collectivités territoriales : " Les membres du conseil municipal peuvent bénéficier du remboursement des frais de transport et de séjour qu'ils ont engagés pour se rendre à des réunions dans des instances ou organismes où ils représentent leur commune ès qualités, lorsque la réunion a lieu hors du territoire de celle-ci. / Lorsqu'ils sont en situation de handicap, ils peuvent également bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique qu'ils ont engagés pour les situations visées à l'alinéa précédent, ainsi que pour prendre part aux séances du conseil municipal et aux réunions des commissions et des instances dont ils font partie ès qualités qui ont lieu sur le territoire de la commune () ". Aux termes de l'article L. 5211-13 du même code applicable aux métropoles : " Lorsque les membres des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale mentionnés à l'article L. 5211-12 engagent des frais de déplacement à l'occasion des réunions de ces conseils ou comités, du bureau, des commissions instituées par délibération dont ils sont membres, des comités consultatifs prévus à l'article L. 5211-49-1, de la commission consultative prévue à l'article L. 1413-1 et des organes délibérants ou des bureaux des organismes où ils représentent leur établissement, ces frais peuvent être remboursés lorsque la réunion a lieu dans une commune autre que celle qu'ils représentent, dans les conditions fixées par décret. / () Lorsque lesdits membres sont en situation de handicap, ils peuvent également bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique qu'ils ont engagés pour les situations mentionnées au premier alinéa, dans des conditions fixées par décret ". Enfin, l'article D. 5211-4-1 du même code, créé par le décret du 9 mars 2021 relatif au remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique engagés par les élus locaux en situation de handicap, prévoit que " Peuvent obtenir le remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique, les élus des établissements publics de coopération intercommunale en situation de handicap mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 5211-13 et relevant des dispositions des articles L.5213-1 et L. 5213-2 du code du travail ou pouvant prétendre au bénéfice des dispositions des articles L. 5212-1 à L. 5212-17 de ce même code, ou pouvant prétendre au bénéfice de l'article L. 241-3 du code de l'action sociale et des familles. /La prise en charge de ces frais spécifiques est assurée sur présentation d'un état de frais et dans la limite, par mois, du montant de l'indemnité maximale susceptible d'être versée au maire d'une commune de moins de 500 habitants en application du barème fixé à l'article L. 2123-23. /Le remboursement de ces frais est cumulable avec les remboursements prévus à l'article D. 5211-5 ".

3. En application de ces dispositions, les élus municipaux en situation de handicap peuvent demander le remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique pour assister aux séances du conseil municipal et aux réunions des commissions et des instances dont ils font partie des qualités qui ont lieu sur le territoire de la commune. En revanche, contrairement à ce que soutient Mme C, ces mêmes dispositions ne prévoient pas la possibilité d'un remboursement d'autres frais d'accompagnement et d'aide technique au bénéfice d'élus en situation de handicap et notamment pas les frais que ces élus peuvent devoir engager pour la préparation des séances et réunions auxquelles ils doivent participer en leur qualité d'élu.

4. En deuxième lieu, si Mme C soutient que la décision attaquée a été prise en violation du principe de non-discrimination consacré par l'article 14 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son Protocole n° 12, le moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le refus qui lui a été opposé de rembourser des frais autres que ceux prévus par les textes législatifs et réglementaires précités n'est pas motivé par la circonstance qu'elle souffre d'un handicap. De même, la circonstance que ces mêmes textes ne prévoient pas le paiement de frais dont la requérante souhaiterait le remboursement ne constitue aucunement une discrimination prohibée par les stipulations de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de son protocole additionnel n° 12.

5. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 29 de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées : " Les États Parties garantissent aux personnes handicapées la jouissance des droits politiques et la possibilité de les exercer sur la base de l'égalité avec les autres, et s'engagent : / a) À faire en sorte que les personnes handicapées puissent effectivement et pleinement participer à la vie politique et à la vie publique sur la base de l'égalité avec les autres, que ce soit directement ou par l'intermédiaire de représentants librement choisis, et notamment qu'elles aient le droit et la possibilité de voter et d'être élues, et pour cela les États Parties, entre autres mesures : / i) Veillent à ce que les procédures, équipements et matériels électoraux soient appropriés, accessibles et faciles à comprendre et à utiliser; / ii) Protègent le droit qu'ont les personnes handicapées de voter à bulletin secret et sans intimidation aux élections et référendums publics, de se présenter aux élections et d'exercer effectivement un mandat électif ainsi que d'exercer toutes fonctions publiques à tous les niveaux de l'État, et facilitent, s'il y a lieu, le recours aux technologies d'assistance et aux nouvelles technologies ; / iii) Garantissent la libre expression de la volonté des personnes handicapées en tant qu'électeurs et à cette fin si nécessaire, et à leur demande, les autorisent à se faire assister d'une personne de leur choix pour voter ; / b) À promouvoir activement un environnement dans lequel les personnes handicapées peuvent effectivement et pleinement participer à la conduite des affaires publiques, sans discrimination et sur la base de l'égalité avec les autres, et à encourager leur participation aux affaires publiques, notamment par le biais : / i) De leur participation aux organisations non gouvernementales et associations qui s'intéressent à la vie publique et politique du pays, et de leur participation aux activités et à l'administration des partis politiques ; ii) De la constitution d'organisations de personnes handicapées pour les représenter aux niveaux international, national, régional et local et de l'adhésion à ces organisations ". Ces stipulations requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers et sont, par suite, dépourvues d'effet direct. Dès lors, leur méconnaissance ne peut être utilement invoquée par Mme C à l'encontre de la décision prise par Toulouse Métropole.

6. En quatrième, la décision attaquée a été prise en stricte application des dispositions législatives précitées. Dès lors, Mme C, qui n'a présenté aucune question prioritaire de constitutionnalité, ne peut utilement se prévaloir devant le tribunal administratif de ce que la décision attaquée serait contraire aux principes garantis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Constitution de 1958, parmi lesquels figure le principe d'égalité.

7. En cinquième et dernier lieu, si Mme C demande également l'annulation de la décision du 7 octobre 2020 en tant qu'elle refuse de lui mettre à disposition un ordinateur portable permettant un usage à la fois professionnel et personnel sans contrainte particulière de sécurité informatique et à ce qu'il soit enjoint à l'administration d'y procéder, compte tenu de sa situation de handicap, elle ne se prévaut d'aucun texte qui imposerait une telle mesure à l'administration.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation présentées par Mme C doivent être rejetées, de même que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant au bénéfice d'une somme sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de Mme C est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B C, à la commune de Toulouse et à Toulouse Métropole.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Katz, président,

Mme Jorda, conseillère,

Mme Péan, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2023.

La rapporteure,

V. A

Le président,

D. KATZLa greffière,

F. DEGLOS

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef

Code publication

C