Tribunal administratif de Bordeaux

Jugement du 25 avril 2023 n° 2101888

25/04/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

I. Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 avril et 20 mai 2021 sous le n° 2101888, M. A B, représenté par Me Julie Noël, avocate, demande au tribunal :

1°) avant dire droit, de poser à la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) la question suivante : " le droit de l'Union européenne et en particulier l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tendent à établir une liberté d'entreprendre à l'égard des ressortissants de l'Union européenne qui doit s'inscrire dans la libre concurrence, excluant toute discrimination entre les ressortissants des Etats membres ; en ce sens, le fait de conditionner l'octroi d'une carte professionnelle nécessaire à l'exercice d'une activité de service, à l'absence de mention sur le bulletin n°2 du casier judiciaire d'une liste de condamnations issues de codes applicables en droit français uniquement à l'exclusion de toute autre condamnation équivalente dans les lois des autres pays est-il conforme au droit de l'Union européenne et aux principes de liberté d'entreprendre et de libre concurrence ' " ;

2°) d'annuler la décision du 9 mars 2021 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé le renouvellement de sa carte professionnelle d'éducateur sportif ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'un vice d'incompétence de ses signataires ;

- la décision attaquée méconnaît l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration à défaut de mise en œuvre d'une procédure contradictoire ; il n'a pas été informé de ce qu'il avait la possibilité de présenter des observations écrites ou orales et le délai entre le 26 février et le 9 mars était insuffisant, de sorte que le principe du contradictoire a été méconnu ;

- la décision est entachée d'une erreur de fait ; il n'a pas fait l'objet d'une condamnation sur le fondement des articles 222-20 et 221-6 alinéa 2 du code pénal ;

- elle est entachée d'une erreur de droit tenant à l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L. 212-9 du code du sport, conformément aux dispositions de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elle est entachée d'une erreur de droit tenant à l'inconventionnalité de l'article L. 212-9 du code du sport au regard de l'article 56 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ; le fait de conditionner l'octroi d'une carte professionnelle nécessaire à l'exercice d'une activité de service à l'absence de mention sur le bulletin n°2 du casier judiciaire d'une liste de condamnations issues de codes applicables en droit français, sans prévoir de condition équivalente au regard des condamnations éventuellement prononcées dans les autres pays membres, constitue une discrimination des éducateurs sportifs français vis-à-vis des ressortissants des autres Etats membres et porte atteinte aux principes de liberté d'entreprendre et de libre concurrence ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation ; les faits pour lesquels il a fait l'objet d'une condamnation sont isolés, il bénéficie de plusieurs attestations qui lui sont favorables et il s'est soumis aux peines qui ont été prononcées à son encontre ; la mention au bulletin n° 2 de son casier judiciaire de sa condamnation est uniquement due au fait qu'il ait omis d'en demander l'effacement.

La requête a été communiquée au préfet de la Gironde, qui n'a pas produit d'observation.

Par une ordonnance du 3 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée le 3 décembre 2021.

II. Par une requête et un mémoire enregistrés les 19 avril et 20 mai 2021 sous le n° 2101940, M. A B, représenté par Me Julie Noël, avocate, demande au tribunal :

1°) avant dire droit, de poser à la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) la question suivante : " le droit de l'Union européenne et en particulier l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tendent à établir une liberté d'entreprendre à l'égard des ressortissants de l'Union européenne qui doit s'inscrire dans la libre concurrence, excluant toute discrimination entre les ressortissants des Etats membres ; en ce sens, le fait de conditionner l'octroi d'une carte professionnelle nécessaire à l'exercice d'une activité de service, à l'absence de mention sur le bulletin n°2 du casier judiciaire d'une liste de condamnations issues de codes applicables en droit français uniquement à l'exclusion de toute autre condamnation équivalente dans les lois des autres pays est-il conforme au droit de l'Union européenne et aux principes de liberté d'entreprendre et de libre concurrence ' " ;

2°) d'annuler la décision du 9 mars 2021 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé le renouvellement de sa carte professionnelle d'éducateur sportif ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision est entachée d'un vice d'incompétence de ses signataires ;

- la décision attaquée méconnaît l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration à défaut de mise en œuvre d'une procédure contradictoire ; il n'a pas été informé de ce qu'il avait la possibilité de présenter des observations écrites ou orales et le délai entre le 26 février et le 9 mars était insuffisant, de sorte que le principe du contradictoire a été méconnu ;

- la décision est entachée d'une erreur de fait ; il n'a pas fait l'objet d'une condamnation sur le fondement des articles 222-20 et 221-6 alinéa 2 du code pénal ;

- elle est entachée d'une erreur de droit tenant à l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L. 212-9 du code du sport, conformément aux dispositions de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elle est entachée d'une erreur de droit tenant à l'inconventionnalité de l'article L. 212-9 du code du sport au regard du point 56 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ; le fait de conditionner l'octroi d'une carte professionnelle nécessaire à l'exercice d'une activité de service à l'absence de mention sur le bulletin n°2 du casier judiciaire d'une liste de condamnations issues de codes applicables en droit français, sans prévoir de condition équivalente au regard des condamnations éventuellement prononcées dans les autres pays membres, constitue une discrimination des éducateurs sportifs français vis-à-vis des ressortissants des autres Etats membres et porte atteinte aux principes de liberté d'entreprendre et de libre concurrence ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation ; les faits pour lesquels il a fait l'objet d'une condamnation sont isolés, il bénéficie de plusieurs attestations qui lui sont favorables et il s'est soumis aux peines qui ont été prononcées à son encontre ; la mention au bulletin n° 2 de son casier judiciaire de sa condamnation est uniquement due au fait qu'il ait omis d'en demander l'effacement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'elle était en situation de compétence liée pour refuser le renouvellement de la carte professionnelle du requérant du fait de l'inscription sur son bulletin n°2 du casier judiciaire d'une condamnation pour " violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ".

Par une ordonnance du 27 octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée le 30 novembre 2021.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;

- le code pénal ;

- le code du sport ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ballanger, rapporteure,

- les conclusions de Mme Champenois, rapporteure publique,

- et les observations de Me Deyris, représentant M. B.

Considérant ce qui suit :

1. M. A B, titulaire d'une carte professionnelle d'éducateur sportif venant à expiration le 20 mai 2020, a présenté une déclaration auprès du préfet de la Gironde afin d'exercer les fonctions prévues par les dispositions du I de l'article L. 212-1 du code du sport. Par une décision du 9 mars 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer la carte professionnelle sollicitée du fait de l'inscription au bulletin n° 2 de son casier judiciaire d'une condamnation à un délit visé à l'article L. 212-9 du code du sport, par renvoi au code pénal. La requête de M. B tendant à la suspension de l'exécution de cette décision sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative a été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux par une ordonnance n° 2101941 du 11 mai 2021. Par les requêtes n°s 2101888 et 2101940, M. B demande au tribunal d'annuler cette décision du 9 mars 2021.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 2101888 et n° 2101940 présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.

Sur les conclusions en annulation :

3. Aux termes de l'article L. 212-1 du code du sport : " I.- Seuls peuvent, contre rémunération, enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants, à titre d'occupation principale ou secondaire, de façon habituelle, saisonnière ou occasionnelle, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa du présent article et de l'article L. 212-2 du présent code, les titulaires d'un diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification professionnelle : / 1° Garantissant la compétence de son titulaire en matière de sécurité des pratiquants et des tiers dans l'activité considérée ; 2° Et enregistré au répertoire national des certifications professionnelles dans les conditions prévues à l'article L. 6113-5 du code du travail. ()". Aux termes de l'article L. 212-9 de ce code dans sa version applicable au présent litige : " I. - Nul ne peut exercer les fonctions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 212-1 à titre rémunéré ou bénévole, s'il a fait l'objet d'une condamnation pour crime ou pour l'un des délits prévus : 1° Au chapitre Ier du titre II du livre II du code pénal, à l'exception du premier alinéa de l'article 221-6 ; 2° Au chapitre II du même titre II, à l'exception du premier alinéa de l'article 222-19 ; 3° Aux chapitres III, IV, V et VII dudit titre II ; 4° Au chapitre II du titre Ier du livre III du même code ; 5° Au chapitre IV du titre II du même livre III ; 6° Au livre IV du même code ; 7° Aux articles L. 235-1 et L. 235-3 du code de la route ; 8° Aux articles L. 3421-1, L. 3421-4 et L. 3421-6 du code de la santé publique ; 9° Au chapitre VII du titre Ier du livre III du code de la sécurité intérieure ; 10° Aux articles L. 212-14, L. 232-25 à L. 232-27, L. 241-2 à L. 241-5 et L. 332-3 à L. 332-13 du présent code. () ". Aux termes de l'article R. 212-86 du même code : " I.-Le préfet délivre une carte professionnelle d'éducateur sportif aux personnes mentionnées à l'article R. 212-85 à l'exclusion des personnes : 1° Ayant fait l'objet de l'une des condamnations mentionnées au I de l'article L. 212-9 ; () ".

4. En premier lieu, il n'appartient pas au juge administratif, en dehors du cas prévu par les dispositions de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions applicables de l'article L. 212-9 du code du sport seraient inconstitutionnelles, qui n'a pas été assorti d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans un mémoire distinct, doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 212-7 du code du sport : " Les fonctions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 212-1 peuvent être exercées sur le territoire national par les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne ou des Etats parties à l'accord sur l'Espace économique européen, qui sont qualifiés pour les exercer dans l'un de ces Etats () ". Aux termes de l'article R. 212-88 de ce code : " Tout ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qualifié pour y exercer tout ou partie des activités dans les fonctions mentionnées à l'article L. 212-1 conformément aux conditions mentionnées à l'article R. 212-90 et qui souhaite s'établir sur le territoire national à cet effet doit en faire préalablement la déclaration au préfet du département dans lequel il compte exercer son activité à titre principal. () La liste des pièces nécessaires à la déclaration d'activité et à son renouvellement est fixée par arrêté du ministre chargé des sports. ()". Aux termes de l'article R. 212-89 du même code : " Le préfet, () délivre une carte professionnelle d'éducateur sportif au déclarant dont les qualifications professionnelles répondent aux conditions de reconnaissance mentionnées à l'article R. 212-90, à l'exclusion des personnes ayant fait l'objet de l'une des condamnations ou mesures mentionnées les articles L. 212-9, L. 212-13 et L. 232-23 ou d'une interdiction judiciaire d'exercer les activités mentionnées à l'article L. 212-1 () ". Le formulaire de déclaration et la liste des pièces nécessaires à la déclaration d'activité des ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen souhaitant s'établir en France figurent à l'annexe II-12-2a du code du sport. A cette annexe, il est mentionné les " documents à joindre à la déclaration ", parmi lesquels : " 6. Les documents attestant que le déclarant n'a pas fait l'objet, dans l'Etat membre d'origine, d'une des condamnations ou mesures mentionnées aux articles L. 212-9 et L. 212-13 traduits en français par un traducteur ou un organisme assermenté. ".

6. Il résulte de ces dispositions que l'exercice des activités mentionnées à l'article L. 212-1 du code du sport par les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne est limité au respect de la condition d'honorabilité prévue par les dispositions de l'article L. 212-9 du code du sport, laquelle doit-être définie comme l'absence de condamnation pour une même infraction que celles mentionnées par les dispositions visées du code pénal, du code de la route, du code de la santé publique, du code de sécurité intérieure et du code du sport. Dans ces conditions, M. B n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article L. 212-9 du code du sport, sur lesquelles est fondée la décision attaquée, seraient incompatibles avec les objectifs fixés aux considérants 56 et 69 de la directive 2006/123/CE du 16 décembre 2006 du Parlement européen et du Conseil, ni qu'elles méconnaitraient le principe de non-discrimination et le principe de libre concurrence. Par suite, la préfète de la Gironde pouvait légalement se fonder, pour prendre la décision attaquée, sur les dispositions de l'article L. 212-9 du code du sport.

7. En dernier lieu, la condition relative à l'honorabilité posée par l'article L. 212-9 précité du code du sport, dont l'autorité administrative est tenue de tirer les conséquences en cas de condamnation pour le délit de violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail commises par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité prévu et réprimé par l'article 222-13 du code pénal, est distincte des conditions de préservation de la santé et de la sécurité physique ou morale des pratiquants dont cette autorité doit assurer le respect en vertu des pouvoirs de police spéciale qui lui sont conférés aux articles L. 212-13 et suivants du même code et pour l'exercice desquels elle conserve une marge d'appréciation.

8 Pour refuser la délivrance de la carte professionnelle d'éducateur sportif à M. B, la préfète de la Gironde s'est fondée sur la circonstance que le bulletin n° 2 de son casier judiciaire mentionne une condamnation pour un délit prévu aux dispositions de l'article 222-13 du code pénal. La préfète de la Gironde était dès lors tenue de lui notifier son incapacité à exercer la fonction d'éducateur sportif qui résultait de cette condamnation. L'administration se trouvant en situation de compétence liée, les moyens soulevés par le requérant, tirés de l'incompétence des signataires de l'acte, de l'erreur de fait et de l'erreur d'appréciation doivent par suite être écartés comme inopérants.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que M. B n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 9 mars 2021 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé le renouvellement de sa carte professionnelle d'éducateur sportif.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Molina-Andréo, première conseillère faisant fonction de présidente,

Mme de Gélas, première conseillère,

Mme Ballanger, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 avril 2023 .

La rapporteure,

M. BALLANGER

La première conseillère

faisant fonction de présidente,

B. MOLINA-ANDRÉO

La greffière,

C. LALITTE

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N°s 2101888, 2101940

Code publication

D