Conseil d'Etat

Décision du 21 avril 2023 n° 471018

21/04/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

M. A C et Mme D C, à l'appui de leur requête d'appel tendant à l'annulation du jugement du 10 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 6 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions de l'autorité consulaire française à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer des visas d'entrée et de long séjour à Awa C, à Abdoulaye C, à Aïcha C et à Amade C, ont produit un mémoire, enregistré le 9 décembre 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 22NT03622QPC du 31 janvier 2023, enregistrée le 2 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la présidente de la 2ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a transmis au Conseil d'État, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Dans la question ainsi transmise et dans un nouveau mémoire, enregistré le 7 mars 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme C soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti notamment par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, le droit de mener une vie familiale normale garanti par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant découlant des mêmes dispositions, en ce qu'elles excluent la possibilité pour un réfugié mineur de bénéficier de son droit à être rejoint par ceux de ses frères et sœurs non accompagnés par un ascendant direct.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier, avocat de M. et Mme C ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 avril 2023, présentée par M. et Mme C ;

1. Le syndicat des avocats de France et le Groupe d'information et de soutien des immigrés, qui sont intervenus dans le cadre de l'action principale, doivent être regardés comme justifiant d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de l'appel de M. et Mme C. Dès lors, leur intervention devant le Conseil d'Etat au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme C à l'appui de leur requête, présentées par un mémoire distinct, doit être admise pour l'examen de cette question.

2. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. En vertu de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la carte de résident prévue à l'article L. 424-1, délivrée à l'étranger reconnu réfugié, est également délivrée à son conjoint, sous certaines conditions, à ses enfants dans l'année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou qui entrent dans les prévisions de l'article L. 421-35 et à " 4° Ses parents si l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié, sans que la condition de régularité du séjour ne soit exigée. "

4. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective () ".

5. Les dispositions citées au point 4, issues de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, permettent à un réfugié d'être rejoint au titre de la réunification familiale par certains membres de sa famille, qui ont en outre le droit à une carte de résident en application de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou en sont dispensés parce qu'ils sont mineurs, sans que le bénéfice de ce droit soit soumis aux conditions de régularité et de durée préalable du séjour, de ressources et de logement qui s'appliquent au droit des étrangers séjournant en France à être rejoints par leur conjoint ou par leurs enfants mineurs au titre du regroupement familial, en application des articles L. 432-2 et suivants de ce code. Elles ont été complétées par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie pour permettre, lorsqu'un enfant mineur sollicite la réunification familiale avec ses parents restés à l'étranger, que ceux-ci soient accompagnés des enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective.

6. En premier lieu, si les requérants soutiennent que la différence de traitement, opérée par les dispositions litigieuses de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, entre les mineurs bénéficiant de la qualité de réfugié selon que leurs parents résident ou non sur le territoire français et selon que leurs frères et sœurs mineurs demeurés à l'étranger accompagnent ou non leurs parents porte atteinte au principe d'égalité, une telle différence de traitement est justifiée par la différence de situation entre les mineurs réfugiés en France selon qu'ils sont ou non accompagnés de leurs parents, au regard de l'objet des dispositions contestées, qui est de leur permettre d'être rejoints par leurs parents demeurés à l'étranger tout en évitant que la mise en œuvre de ce droit n'implique que des enfants qui seraient dans l'impossibilité d'accompagner leurs parents sur le territoire national soient séparés de leur famille. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi ne présente pas de caractère sérieux.

7. En second lieu, les dispositions contestées, qui visent à permettre aux réfugiés d'être rejoints par certains membres de leur famille dans des conditions plus favorables que celles qui permettent aux étrangers séjournant régulièrement en France de solliciter le regroupement familial, ne portent aucune atteinte au droit à une vie familiale normale ni, en tout état de cause, à l'intérêt supérieur de l'enfant.

8. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention du syndicat des avocats de France et de l'association groupe d'information et de soutien des immigrés est admise.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A C et Mme D C, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au syndicat des avocats de France et au Groupe d'information et de soutien des immigrés. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la cour administrative d'appel de Nantes.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.

Rendu le 21 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Hadrien Tissandier

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard

Code publication

C