Conseil d'Etat

Décision du 18 avril 2023 n° 464507

18/04/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La société Régus Paris a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des majorations pour défaut de paiement, dans les délais, des cotisations de taxe d'apprentissage, de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue et de participation des employeurs au financement du congé formation individuel qui lui ont été réclamées au titre de l'année 2015. Par un jugement n° 1903413 du 16 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 21PA00773 du 1er septembre 2021, le président de la 9ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Régus Paris à l'encontre des dispositions des articles 1599 ter I, 235 ter H bis et 235 ter KK du code général des impôts.

Par un arrêt n° 21PA00773 du 28 mars 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Régus Paris contre le jugement du 16 décembre 2020.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 30 mai et 30 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Régus Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 28 mars 2022 de la cour administrative d'appel de Paris ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 30 mai 2022, présenté en application de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, la société Régus Paris conteste le refus de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 1599 ter I, 235 ter H bis et 235 ter KK du code général des impôts que lui a opposé le président de la 9ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la société Régus Paris ;

Considérant ce qui suit :

1. Le document enregistré sous le n° 464532 constitue en réalité le mémoire distinct présenté, à l'appui du pourvoi enregistré sous le n° 464507, par la société Régus Paris en application de l'article R. 771-16 du code justice administrative portant contestation du refus de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 1599 ter I, 235 ter H bis et 235 ter KK du code général des impôts que lui a opposé le président de la 9ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris. Par suite, ce document doit être rayé des registres du secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat et être joint au pourvoi n° 464507.

Sur le refus de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé ". L'article 23-2 de la même ordonnance dispose que : " () Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Selon l'article 23-5 de cette ordonnance : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. A l'appui de son pourvoi, la société Régus Paris demande d'une part, d'annuler l'ordonnance du 1er septembre 2021 par laquelle le président de la 9ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a soulevée à l'encontre des dispositions des articles

1599 ter I, 235 ter H bis et 235 ter KK du code général des impôts et d'autre part, de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel.

4. D'une part, aux termes de l'article 1599 ter I du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige, relatif à la taxe d'apprentissage : " A défaut de versement ou en cas de versement insuffisant de la taxe d'apprentissage aux organismes collecteurs habilités en application des articles L. 6242-1 et L. 6242-2 du code du travail avant le 1er mars de l'année suivant celle du versement des salaires, le montant de la taxe, acquitté selon les modalités définies au III de l'article 1678 quinquies, est majoré de l'insuffisance constatée ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 235 ter D du même code, dans sa rédaction applicable au litige, relatif à la participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue : " Conformément aux dispositions de l'article L. 6331-9 du code du travail, les employeurs d'au moins dix salariés versent aux organismes mentionnés au même article un pourcentage minimal du montant des rémunérations versées pendant l'année en cours s'élevant à 1 % () ". En vertu de l'article R. 6331-2 du code du travail, les versements doivent être effectués avant le 1er mars de l'année suivant celle au titre de laquelle la participation est due. Aux termes de l'article 235 ter H bis du même code, alors applicable : " Conformément et dans les conditions prévues à l'article L. 6331-30 du code du travail, le versement prévu à l'article 235 ter G est majoré du montant de l'insuffisance constatée ". Aux termes de l'article L. 6331-30 du code du travail, alors applicable : " Lorsqu'un employeur n'a pas opéré le versement auquel il est assujetti dans les conditions prévues à l'article L. 6331-9 à l'organisme collecteur paritaire agréé pour collecter ce versement ou a opéré un versement insuffisant, le montant de sa contribution est majoré de l'insuffisance constatée et l'employeur verse au Trésor public une somme égale à la différence entre le montant des sommes versées à l'organisme collecteur et le montant de la contribution ainsi majorée () ".

6. Enfin, aux termes de l'article 235 ter KK du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige, relatif à la participation des employeurs au financement du congé individuel de formation : " () lorsque le versement au titre du financement du congé individuel de formation est inférieur au montant prévu à l'article 235 ter KI, l'employeur effectue au Trésor public un versement égal à la différence constatée majorée du montant de l'insuffisance constatée ". En application de l'article R. 6331-9 du code du travail, les versements doivent être effectués avant le 1er mars de l'année suivant celle au titre de laquelle la participation est due.

7. Il résulte des dispositions précitées que les articles 1599 ter I, 235 ter H bis et 235 ter KK du code général des impôts prévoient une majoration du montant, respectivement, de la taxe d'apprentissage, de la participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue et de la participation des employeurs au financement du congé de formation individuel, à défaut de versement ou en cas de versement insuffisant dans le délai prévu, et égale à 100 % du montant du paiement insuffisant.

8. La société requérante soutient que l'institution d'une telle majoration, à défaut de versement ou en cas de versement insuffisant, égale à l'insuffisance constatée, porte atteinte, de façon disproportionnée, d'une part, aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines, garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, d'autre part, aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de cette Déclaration ainsi qu'au principe de présomption d'innocence garanti par l'article 9 de cette même Déclaration. Elle soutient enfin qu'en instaurant ces dispositions, le législateur a méconnu l'étendue de la compétence qu'il détient en vertu de l'article 34 de la Constitution.

9. En premier lieu, les articles 1599 ter I, 235 ter H bis et 235 ter KK du code général des impôts, dans leur rédaction applicable au litige, visent à prévenir et à réprimer les défauts ou retards constatés de liquidation ou d'acquittement de l'impôt et instituent une sanction financière dont la nature est directement liée à celle de l'infraction et dont les montants, égaux aux insuffisances constatées, correspondent à la part inexécutée des obligations fiscales. Par suite, ces dispositions ne méconnaissent ni le principe d'individualisation des peines ni la présomption d'innocence.

10. En deuxième lieu, d'un montant égal à celui du paiement insuffisant, les majorations contestées ne revêtent pas, en elles-mêmes, un caractère manifestement disproportionné, quand bien même le manquement constaté ne serait pas intentionnel.

11. En troisième lieu, d'une part, si la société requérante soutient que les dispositions des articles 1599 ter I, 235 ter H bis et 235 ter KK du code général des impôts méconnaissent le principe d'égalité devant la loi au motif qu'elles n'instituent aucune différence de traitement entre les personnes qui s'acquittent spontanément de l'impôt, bien qu'avec retard, et les personnes qui ne versent aucun impôt, ce principe n'oblige pas le législateur à instaurer des sanctions différentes pour sanctionner des manquements différents. D'autre part, en tout état de cause, le moyen tiré de ce que les mêmes dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

12. En dernier lieu, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Dès lors qu'à l'appui de son grief tiré de l'incompétence négative du législateur, la société Régus Paris n'invoque aucun autre droit ou liberté garanti par la Constitution que ceux examinés aux points précédents, ce dernier ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. La société requérante n'est par suite pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque en tant qu'elle a refusé de transmettre au Conseil d'Etat cette question prioritaire de constitutionnalité.

Sur les autres moyens du pourvoi :

14. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

15. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la société Régus Paris soutient que la cour administrative d'appel de Paris :

- a méconnu la portée de ses écritures en affirmant qu'elle avait soulevé devant le tribunal un moyen tiré de ce que " les premiers juges n'auraient pas répondu au moyen tiré de ce que les majorations en litige n'avaient pas fait l'objet d'une motivation suffisante " ;

- l'a insuffisamment motivé en omettant de répondre au moyen tiré de ce que le jugement était irrégulier en ce qu'il ne se prononçait pas sur la proportionnalité et l'individualisation de la sanction qui lui a été infligée ;

- a commis une erreur de droit en jugeant que l'application des majorations en litige était suffisamment motivée au sens de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales alors que la proposition de rectification, rédigée en des termes ambigus, ne mentionnait pas ces sanctions dans son point dédié aux pénalités ;

- a commis deux erreurs de droit en jugeant, d'une part, que l'avis de mise en recouvrement respectait les conditions posées par l'article R*. 256-1 du livre des procédures fiscales et, d'autre part, qu'elle avait parfaitement individualisé les majorations en litige dans sa réclamation préalable alors que cette pièce n'avait pas été produite au dossier lors de l'instruction ;

- a commis une erreur de droit au regard des règles de dévolution de la charge de la preuve et de son office de juge d'appel en jugeant qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'administration fiscale n'aurait pas tenu compte des circonstances de l'espèce avant d'appliquer les majorations contestées, sans rechercher si celle-ci avait ou non effectivement pris en compte ces circonstances ;

- a commis une erreur de droit en lui opposant sa connaissance de la règle fiscale applicable en l'espèce sans rechercher si elle pouvait ou non bénéficier de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration en tant qu'il interdit de sanctionner la personne qui a méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ;

- a commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration ne pouvaient pas s'appliquer en l'espèce au seul motif qu'elle connaissait la règle fiscale qu'elle avait enfreinte ;

- a commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration ne pouvaient pas s'appliquer en l'espèce au motif qu'elles n'adoucissaient pas les sanctions fiscales en cause.

16. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La production enregistrée sous le n° 464532 sera rayée du registre du secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat pour être jointe au pourvoi n° 464507.

Article 2 : Le pourvoi de la société Régus Paris n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Régus Paris et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 mars 2023 où siégeaient :

Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 18 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

Le rapporteur :

Signé : M. Vincent Mazauric

La secrétaire :

Signé : Mme Wafak Salem

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

Code publication

D