Cour administrative d'appel de Nantes

Ordonnance du 17 avril 2023 n° 23NT00976

17/04/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de La Ferté-Macé a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 7 octobre 2020 par laquelle la préfète de l'Orne a refusé le retrait de la commune de La Ferté-Macé de la communauté d'agglomération Flers agglomération.

Par un mémoire distinct, la commune de La Ferté-Macé a demandé au tribunal administratif de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales.

Par une ordonnance n° 2002424 du 21 décembre 2022, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Caen a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de La Ferté-Macé.

Par un jugement n° 2002424 du 3 février 2023 le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande d'annulation de la décision de la préfète de l'Orne du 7 octobre 2020 présentée par la commune.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire distinct, enregistré le 5 avril 2023 et présenté à l'appui de sa requête d'appel formée contre ce jugement du 3 février 2023, la commune de La Ferté-Macé, représentée par Me Morice, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 21 décembre 2022 du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Caen refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune ;

2°) de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, et plus précisément au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe d'égalité, des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales.

Elle soutient que :

- l'ordonnance est irrégulière aux motifs que, d'une part, celle notifiée n'est pas signée et rien ne démontre que la minute l'a été conformément à l'article R. 742-5 du code de justice administrative, d'autre part, elle est insuffisamment motivée ;

- la disposition contestée est applicable au litige ;

- cette disposition n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

- la question présente un caractère sérieux dès lors qu'elle n'est pas manifestement infondée ;

- le mécanisme dérogatoire de retrait d'une commune d'un établissement public de coopération intercommunale prévu par l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales entraîne une violation manifestement excessive du principe de la libre administration des collectivités territoriales reconnu par l'alinéa 3 de l'article 72 de la Constitution dès lors qu'elle institue une limite à la liberté d'une commune de se retirer d'un groupement intercommunal sans que cela soit justifié par un intérêt général, en bloquant de facto la possibilité de retrait d'une commune membre d'une ancienne communauté de villes et intégrée dans une communauté d'agglomération sans condition de seuil en application de l'article 56 de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 ;

- par ailleurs, l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales méconnaît le principe d'égalité devant la loi issu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, applicable aux collectivités locales, en ce qu'il implique que la condition de seuil de 50 000 habitants prévue au premier alinéa de l'article L. 5216-1 s'applique indistinctement à toutes les communautés d'agglomération quel que soit le fondement textuel de leur création, cette rupture d'égalité n'étant ni justifiée ni proportionnée.

Vu :

- la requête de la commune de La Ferté-Macé, enregistrée le 5 avril 2023 au greffe de la cour sous le n° 23NT00976 ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de villes du Pays de Flers, créée le 1er janvier 1994, est devenue " communauté d'agglomération de Flers " le 1er janvier 2000, en vertu de la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. Elle a pris la dénomination de " Flers Agglomération " et a intégré à compter du 1er janvier 2017 les communes membres de la communauté de communes du Bocage d'Athis, une partie des communes de la communauté de communes du Pays de Briouze ainsi que la commune nouvelle de La Ferté-Macé et les communes de Lonlay le Tesson et des Monts d'Andaine. Le conseil municipal de La Ferté-Macé, par une délibération du 21 septembre 2020, a sollicité le retrait de cette commune de la communauté d'agglomération Flers Agglomération, en vue de son adhésion à la communauté de communes d'Andaines-Passais. Par une décision du 7 octobre 2020, la préfète de l'Orne a refusé ce retrait au motif qu'il aurait pour effet de méconnaître la règle du second alinéa de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales en vertu duquel un tel retrait ne peut avoir pour conséquence de réduire la population de la communauté d'agglomération en-deçà des seuils démographiques de constitution de cette catégorie d'établissements publics de coopération intercommunale définis par l'article L. 5216-1 du même code.

2. La commune de La Ferté-Macé conteste le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales, qui lui a été opposé par l'ordonnance du 21 décembre 2022 du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Caen, et demande à la cour de transmettre cette question au Conseil d'Etat.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. En premier lieu, d'une part, la circonstance que l'exemplaire de l'ordonnance attaquée notifié à la requérante n'a pas été signé est sans influence sur sa régularité dès lors que l'article R. 742-5 du code de justice administrative ne prévoit que la signature de la minute de l'ordonnance, par le " seul magistrat qui l'a rendue ". D'autre part, en se bornant à alléguer que " rien ne démontre que la minute l'a été ", la requérante, qui pouvait d'ailleurs solliciter du greffe du tribunal administratif une copie de la minute ainsi critiquée, n'établit pas l'irrégularité qu'elle invoque.

4. En second lieu, l'ordonnance du président de la première chambre du tribunal administratif de Caen présente brièvement le contexte factuel de la décision de la préfète de l'Orne du 7 octobre 2020 rejetant la demande de retrait de la communauté d'agglomération Flers Agglomération présentée par la commune de La Ferté-Macé, rappelle les conditions de la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et répond à chacun des moyens soulevés par la commune, tirés de ce que la disposition législative contestée méconnaîtrait le principe de libre administration des collectivités territoriales et porterait une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant la loi. Cette ordonnance, qui n'avait pas à répondre nécessairement à tous les arguments présentés à l'appui de ces moyens, est ainsi suffisamment motivée.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

5. Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " () Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Aux termes de l'article R. 771-12 du code de justice administrative : " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission () ". En vertu de l'article R. 771-5 du même code : " Sauf s'il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, notification de ce mémoire est faite aux autres parties. () ". L'article R. 771-7 de ce code dispose que : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

6. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion du recours formé contre le jugement qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte du jugement, dont il joint alors une copie, ou directement par ce jugement. Saisie de la contestation de ce refus, la cour procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

7. Aux termes de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 25 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique : " Par dérogation à l'article L. 5211-19, une commune peut être autorisée, par le représentant de l'Etat dans le département après avis de la commission départementale de la coopération intercommunale réunie dans la formation prévue au second alinéa de l'article L. 5211-45, à se retirer d'une communauté d'agglomération pour adhérer à un autre établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont l'organe délibérant a accepté la demande d'adhésion. L'avis de la commission départementale de la coopération intercommunale est réputé négatif s'il n'a pas été rendu à l'issue d'un délai de deux mois. / Ce retrait s'effectue dans les conditions fixées à l'article L. 5211-25-1 et ne peut avoir pour conséquence de faire passer la population de la communauté d'agglomération en-dessous des seuils mentionnés à l'article L. 5216-1. Il vaut réduction du périmètre des syndicats mixtes dont la communauté d'agglomération est membre dans les conditions fixées au troisième alinéa de l'article L. 5211-19. ". L'article L. 5211-19 du même code auquel il est ainsi dérogé, dispose que " Une commune peut se retirer de l'établissement public de coopération intercommunale, sauf s'il s'agit d'une communauté urbaine (L. no 2010-1563 du 16 déc. 2010, art. 17-I-5o) "ou d'une métropole", dans les conditions prévues à l'article L. 5211-25-1, avec le consentement de l'organe délibérant de l'établissement. A défaut d'accord entre l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale et le conseil municipal concerné sur la répartition des biens ou du produit de leur réalisation et du solde de l'encours de la dette visés au 2o de l'article L. 5211-25-1, cette répartition est fixée par arrêté du ou des représentants de l'État dans le ou les départements concernés. () / Le retrait est subordonné à l'accord des conseils municipaux exprimé dans les conditions de majorité requises pour la création de l'établissement. () ".

8. En premier lieu, l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources et, en vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, dans les conditions prévues par la loi, les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus. Le législateur peut ainsi, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, ou les soumettre à des interdictions. Le principe de libre administration des collectivités territoriales ne fait dès lors pas obstacle, en lui-même, à ce que le législateur organise les conditions du retrait d'une commune d'un établissement public de coopération intercommunale, il implique toutefois que les obligations édictées dans ce cadre et susceptibles d'affecter la libre administration de ces collectivités, comme c'est le cas s'agissant d'un tel retrait, correspondent à des fins d'intérêt général.

9. En l'espèce, il résulte du premier alinéa de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales que la procédure de retrait prévue par cet article déroge aux conditions de la procédure de droit commun du retrait d'une commune d'un établissement public de coopération intercommunale prévues par l'article L. 5211-19 du même code, comportant en particulier l'accord de l'organe délibérant de l'établissement et d'une majorité qualifiée des conseils municipaux des communes membres, dont la conformité à la Constitution a été admise par la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-304 QPC du 26 avril 2013. La disposition du deuxième alinéa de l'article L. 5216-11 dont la conformité à la Constitution est contestée constitue donc un assouplissement des règles de retrait d'une commune membre d'une communauté d'agglomération et apparaît ainsi de nature à moins affecter le principe de libre administration que la procédure de retrait de droit commun. Dès lors que c'est " dans les conditions prévues par la loi " que ces collectivités s'administrent, leur liberté à cet effet ne saurait être soustraite à toute exigence permettant notamment de maintenir une certaine stabilité des structures intercommunales et de préserver la rationalité de leur fonctionnement. Or, correspond certainement à une telle exigence, qui est d'intérêt général, le respect des seuils démographiques de constitution des différentes catégories d'établissements publics de coopération intercommunale prévus par la loi, et en particulier de la règle selon laquelle les communes regroupées dans une communauté d'agglomération forment " un ensemble de plus de 50 000 habitants d'un seul tenant et sans enclave, autour d'une ou plusieurs communes centre de plus de 15 000 habitants ", issue de l'article L. 5216-1 du code général des collectivités territoriales. Par suite, la commune de La Ferté-Macé n'est pas fondée à soutenir que le deuxième alinéa de l'article L. 5216-11 du code général des collectivités territoriales apporterait au principe de libre administration des collectivités territoriales, tel qu'il résulte de l'article 72 de la Constitution, une limitation de nature à entraîner la violation de ce principe.

10. En second lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi est l'expression de la volonté générale. () Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. () ". Ce principe d'égalité devant la loi s'applique aux collectivités territoriales. Toutefois, ce principe n'impose pas de traiter différemment des collectivités territoriales se trouvant dans des situations différentes, en particulier quand cette différence apparaît très relativisée par leur appartenance à une même catégorie de collectivités, celle en l'espèce des communautés d'agglomération. Ainsi, la seule circonstance que Flers Agglomération soit issue de la transformation d'une communauté de villes en communauté d'agglomération, par application de l'article 56 de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, alors surtout que cet article prévoyait à cet effet une décision du conseil de communauté, respectant ainsi la liberté de celle-ci de s'administrer, ne saurait justifier que la condition du retrait de cette communauté tenant au respect du seuil démographique de plus de 50 000 habitants, en vertu des dispositions combinées des articles L. 5216-11 et L. 5216-1 du code général des collectivités territoriales, ne soit pas applicable à la commune de La Ferté-Macé. Cette dernière n'est, par suite, pas davantage fondée à soutenir que le deuxième alinéa de l'article L. 5216-1 du code général des collectivités territoriales méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de La Ferté-Macé n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée du 21 décembre 2022, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Caen a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait soulevée devant ce tribunal. Par voie de conséquence, cette question ne présentant pas de caractère sérieux, il apparaît de manière certaine, au vu du seul mémoire susvisé de la commune, qu'il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : La contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité opposé à la commune de La Ferté-Macé par l'ordonnance du 21 décembre 2022 du président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Caen est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de La Ferté-Macé et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de l'Orne.

Fait à Nantes, le 17 avril 2023.

Le président de la 4ème chambre,

L. LAINÉ

2 QPC

Code publication

C