Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 12 avril 2023 n° 23PA00728

12/04/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B A a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2017, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 2021604/2-3 du 5 janvier 2023, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 février 2023, Mme A, représentée par la SCP Nataf et Planchat, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2021604/2-3 du 5 janvier 2023 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge de cette imposition ;

3°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Par un mémoire distinct, enregistré le 20 février 2023, Mme A, représentée par la SCP Nataf et Planchat, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° du II de l'article 156 du code général des impôts limitant la déduction des pensions alimentaires versées aux enfants majeurs au montant fixé par l'abattement prévu par l'article 196 B du même code.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et le principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en raison de la différence de traitement qu'elles instituent entre les pensions alimentaires versées aux enfants mineurs, dont la déduction n'est pas limitée, et celles versées aux enfants majeurs, ne reposant pas sur un critère rationnel, compte tenu du but poursuivi par le législateur, qui est d'alléger la charge fiscale des contribuables exécutant leur obligation de contribuer à l'entretien et à l'éduction de leurs enfants.

Par des observations en réponse, enregistrées le 7 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour de ne pas faire droit à la transmission demandée.

Il soutient que la question soulevée est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 81-1160 du 31 décembre 1981 de finances pour 1982 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. L'article 156 du code général des impôts dispose : " L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est déterminé eu égard aux propriétés et aux capitaux que possèdent les membres du foyer fiscal désignés aux 1 et 3 de l'article 6, aux professions qu'ils exercent, aux traitements, salaires, pensions et rentes viagères dont ils jouissent ainsi qu'aux bénéfices de toutes opérations lucratives auxquelles ils se livrent, sous déduction : () II- Des charges ci-après lorsqu'elles n'entrent pas en compte pour l'évaluation des revenus des différentes catégories : / () 2° () pensions alimentaires répondant aux conditions fixées par les articles 205 à 211, 367 et 767 du code civil (). / La déduction est limitée, par enfant majeur, au montant fixé pour l'abattement prévu par l'article L. 196 B () ".

6. La possibilité de déduire du revenu net imposable les pensions alimentaires versées aux enfants majeurs résulte de la loi du 31 décembre 1981 de finances pour 1982. Les enfants majeurs, dans certains cas, peuvent également être rattachés sur option au foyer fiscal de leurs parents, qui bénéficient alors d'une majoration de quotient familial. En vue notamment de ne pas avantager les parents demandant la déduction d'une pension alimentaire par rapport à ceux rattachant un enfant majeur à leur foyer fiscal, auxquels s'applique le plafonnement du quotient familial, le législateur a institué, au b) du 3. du II de l'article 12 de cette loi, la limitation faisant l'objet de la question prioritaire de constitutionalité. Les enfants majeurs, qui sont normalement des contribuables imposés personnellement et sont susceptibles de percevoir des revenus d'activité et de détenir un patrimoine, dont ils disposent librement, ne sont pas dans la même situation que les enfants mineurs. Par ailleurs, le législateur n'est pas tenu de compenser exactement l'ensemble des dépenses engagées par un parent pour l'entretien et l'éducation d'un enfant et il lui est loisible, dans son appréciation des facultés contributives des contribuables, pour respecter en particulier l'objectif de progressivité de l'impôts sur le revenu, de limiter cette compensation. Dans ces conditions, la différence de traitement entre les enfants mineurs et les enfants majeurs, s'agissant de la déduction des pensions alimentaires, n'est contraire ni au principe d'égalité devant la loi, ni à celui d'égalité devant les charges publiques.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, par suite, de la transmettre au Conseil d'Etat.

Sur les autres moyens de la requête :

8. Le dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative dispose : " Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter les conclusions à fin de sursis à exécution d'une décision juridictionnelle frappée d'appel, les requêtes dirigées contre des ordonnances prises en application des 1° à 5° du présent article ainsi que, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement () ".

9. Mme A reprend en appel le moyen tiré de ce que le principe de sécurité juridique et l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ont été méconnus. Elle n'apporte cependant sur ces points aucun élément de fait ou de droit de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges sur son argumentation de première instance. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête d'appel de Mme A, en ce qu'elle tend à l'annulation du jugement attaqué et à la décharge des impositions en litige, est manifestement dépourvue de fondement. Par voie de conséquence, ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (pôle contrôle fiscal et affaires juridiques - SCAD).

Fait à Paris, le 12 avril 2023.

Le président,

Claude JARDIN

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.