Tribunal administratif de Rennes

Jugement du 12 avril 2023 n° 2005471

12/04/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2020, Mme C A, représentée par Me de Montgolfier, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 18 novembre 2020 par laquelle le directeur départemental des finances publiques du Finistère a rejeté sa réclamation préalable ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu qui lui ont été réclamées au titre des années 2008 à 2011 et des cotisations supplémentaires de prélèvements sociaux mises à sa charge au titre de l'année 2011, ainsi que des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- elle n'a pas reçu la proposition de rectification avant la mise en recouvrement des impositions ;

- les conditions de la mise en œuvre de la taxation d'office prévue à l'article L. 68 du livre des procédures fiscales n'étaient pas réunies ;

- la procédure de vérification de comptabilité a été indûment mise en œuvre ; les agissements en cause n'impliquant pas la tenue d'une comptabilité, l'administration aurait dû procéder à un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle ; si elle a demandé que le premier rendez-vous se déroule dans les locaux de l'administration, cette demande ne concernait que cette rencontre ; or, le second rendez-vous s'est également déroulé dans les locaux de l'administration ; la procédure d'imposition est, par suite, viciée ;

- l'administration a méconnu l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales dès lors qu'elle n'a pas répondu à la demande de communication des documents fondant les rectifications, formulée par courrier du 21 octobre 2014 ;

- la proposition de rectification n'est pas suffisamment motivée et l'administration a ainsi méconnu l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;

- les sommes imposées n'étaient pas imposables dès lors qu'il s'agissait de prêts consentis par son employeur au taux annuel de 2 % et garantis par une hypothèque ; les sommes empruntées ne constituent pas des bénéfices non commerciaux au sens de l'article 92 du code général des impôts ; le gain réalisé correspond à une charge non déductible qu'elle a exposée dès lors qu'elle ne peut pas déduire le remboursement opéré de ses revenus imposables ; il ne provient pas davantage d'un capital ou d'une activité et doit être considéré comme non imposable afin de l'encourager à le rembourser ;

- elle n'avait pas la disposition de l'argent viré sur ses comptes, puisqu'il a toujours été à la disposition de la SAS Maisons Bois GLV, qui en était propriétaire ; elle a ainsi dû reverser cet argent à cette société ; elle n'en a pas été la bénéficiaire au sens de la doctrine ;

- en l'empêchant de déduire de son revenu les sommes remboursées, le principe d'annualité de l'impôt viole les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, ainsi que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le Pacte international de New York relatif aux droits civils et politiques dans plusieurs de leurs stipulations ;

- la qualification de gain d'activité est subordonnée à la possibilité de renouvellement ; or, les sommes en cause sont isolées ; le manuel de M. D, professeur à l'école des impôts est opposable à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

- l'imposition est confiscatoire dès lors qu'elle a dû rembourser les sommes imposées et méconnaît ainsi l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'imposition résultant d'une procédure pénale, elle aurait dû bénéficier des garanties prévues par les points 2 et 3 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la somme de 8 692,56 euros imposée au titre de l'année 2011 correspond à des salaires encaissés en 2011, qui ont déjà été imposés ;

- les sommes imposées ne procédant pas d'une activité, mais d'une opération de prêt, la majoration de 80 % pour activité occulte n'est pas fondée ; le principe d'indépendance des procédures implique que la qualification de l'infraction retenue sur le plan pénal, à savoir celle de détournement de fonds, ne peut servir à elle seule de motivation suffisante pour établir la qualification des faits en matière fiscale ; cette majoration ne peut pas être appliquée en vertu du principe non bis in idem " protégé par " la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 4 du protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 14-7 du Pacte international de New York relatif aux droits civils et politiques et l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2021, le directeur des finances publiques de Bretagne et du département d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme A n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment son protocole n° 7 ;

- la charte des droits de l'Union européenne ;

- le code général des impôts ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B,

- et les conclusions de M. Fraboulet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 13 mai 2014, le tribunal correctionnel de Brest a reconnu Mme A coupable de faits de détournement de fonds constitutifs d'un abus de confiance et l'a condamnée à huit mois d'emprisonnement avec sursis et au versement de dommages et intérêts à la victime, son employeur, la SAS Maisons Bois GLV. Informée de cette condamnation, l'administration fiscale a exercé, le 3 juillet 2014, son droit de communication, prévu à l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, auprès du procureur de la République et a, ainsi, été autorisée à consulter le dossier pénal et à prendre copies de procès-verbaux d'audition dressés à l'occasion de cette procédure. Le service a, parallèlement, adressé à Mme A, un avis de vérification de comptabilité relatif à l'ensemble des déclarations fiscales ou opérations susceptibles d'être examinées et portant sur la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2012. La première intervention du vérificateur s'est déroulée, le 22 juillet 2014, dans les locaux de l'administration à la demande de Mme A. Le 23 septembre 2014, l'administration a adressé à la contribuable une proposition de rectification l'informant de l'imposition des fonds détournés en tant que bénéfices non commerciaux, évalués d'office. Par un courrier du 21 octobre 2014, Mme A a sollicité la prorogation du délai de réponse à la proposition de rectification et demandé la communication des documents fondant les rectifications. Le 23 octobre 2104, le vérificateur lui a répondu que la procédure d'imposition mise en œuvre faisait obstacle à la prorogation du délai de réponse et lui a communiqué des pièces. Après la mise en recouvrement des impositions supplémentaires et des pénalités appliquées, la contribuable a déposé plusieurs réclamations successives, dont une dernière le 20 juin 2020, ainsi que des demandes de remises gracieuses. Le 9 septembre 2020, l'administration a consenti une remise gracieuse des pénalités en ramenant de 80 % à 10 % le taux de la majoration pour activité occulte. Le 18 novembre 2020, le service a rejeté les réclamations contentieuses de Mme A.

Sur les conclusions en décharge des impositions :

En ce qui concerne le caractère imposable des sommes en litige et leur rattachement catégoriel :

S'agissant de la loi fiscale :

2. Aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année. ".

3. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus () ".

4. Il ressort des constatations de fait qui sont le support nécessaire du jugement du 13 mai 2014, par lequel le tribunal de grande instance de Brest, statuant en matière correctionnelle, a reconnu Mme A coupable de détournement de fonds au détriment de la SAS Maisons Bois GLV, qu'elle a personnellement appréhendé, entre le 1er mai 2008 et le 30 avril 2011, une somme totale de 161 443,37 euros, sans justifications. Il ressort, par ailleurs, des procès-verbaux d'audition dressés dans le cadre de cette procédure pénale, que Mme A a reconnu les faits qui lui étaient reprochés.

5. Si Mme A soutient que les sommes en cause constituaient des prêts consentis par son employeur au taux annuel de 2 % et garantis par une hypothèque, l'acte de reconnaissance de dette sous-seing privé, du 12 avril 2011, ainsi que l'acte authentique du 13 juillet 2011 ayant le même objet, dont elle se prévaut, sont contemporains de la découverte par son employeur de ses agissements et n'établissent pas la réalité des prêts invoqués, mais matérialisent uniquement l'accord conclu entre la requérante et la SAS Maisons Bois GLV afin de fixer les modalités de remboursement des sommes détournées, dont le non-respect par Mme A a abouti, en 2012, au dépôt de plainte du dirigeant de la société Maisons Bois GLV.

6. Par ailleurs, la circonstance que légalement la SAS Maisons Bois GLV soit restée propriétaire des sommes détournées ne fait pas obstacle à ce que Mme A soit regardée comme en ayant eu la disposition durant les années en cause, au sens de l'article 12 du code général des impôts, dès lors qu'elle a pu appréhender ces sommes en les déposant sur ses comptes bancaires et qu'elle en a effectivement disposé, notamment pour régler des dettes et des achats personnels.

7. Ainsi, c'est à bon droit que l'administration a estimé que les sommes détournées par Mme A étaient les fruits d'une source de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenu, au sens de l'article 92 du code général des impôts, et étaient, par suite, imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.

S'agissant de l'interprétation de la loi fiscale par l'administration :

8. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans leur rédaction applicable au présent litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. ".

9. Le bulletin officiel des finances publiques-Impôts, publié sous l'identifiant juridique BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, au demeurant postérieur aux années d'imposition en litige, ainsi que la documentation administrative de base, 5 B-214 du 1er octobre 1999, ne comportent aucune interprétation de la loi fiscale dérogeant à l'application qui en est faite aux points précédents et ne peuvent, par suite, être utilement opposés à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

10. Un livre écrit par un ancien professeur de l'école des impôts, dont le contenu n'engage que son auteur, n'est pas au nombre des documents de nature à contenir une interprétation de la loi fiscale formellement admise par l'administration pouvant lui être opposée sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Par suite, Mme A ne peut utilement invoquer des passages du livre intitulé " Gestion fiscale du patrimoine " dont elle produit, au demeurant, des extraits issus d'une édition largement postérieure aux années en litige.

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales : " Dans les conditions prévues au présent livre, l'administration des impôts peut procéder à l'examen contradictoire de la situation fiscale des personnes physiques au regard de l'impôt sur le revenu, qu'elles aient ou non leur domicile fiscal en France, lorsqu'elles y ont des obligations au titre de cet impôt. / À l'occasion de cet examen, l'administration peut contrôler la cohérence entre, d'une part les revenus déclarés et, d'autre part, la situation patrimoniale, la situation de trésorerie et les éléments du train de vie des membres du foyer fiscal. () ".

12. Aux termes de l'article L. 13 du même livre : " I. - Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. ".

13. Lorsqu'elle constate, à l'occasion d'un contrôle sur pièces ou d'une vérification de comptabilité, qu'un contribuable a commis un détournement de fonds et a eu la disposition de sommes appréhendées à cette occasion, imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, l'administration n'est pas tenue de procéder à un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle avant de lui adresser une proposition de rectification. Par ailleurs, la mise en œuvre de la procédure de vérification de comptabilité n'a privé Mme A d'aucune garantie, mais l'a, au contraire, fait bénéficier d'un débat oral et contradictoire, préalable à la réception de la proposition de rectification, alors même que le détournement de fonds ne constitue pas une activité professionnelle. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration aurait dû, avant d'adresser à Mme A une proposition de rectification, procéder non pas à une vérification de comptabilité, mais à un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, doit être écarté.

14. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de la réception de l'avis de vérification de comptabilité, Mme A a demandé, le 16 juillet 2014, pour des raisons personnelles, que la première intervention du vérificateur, prévue le 22 juillet 2014, se déroule dans les locaux de l'administration et non à son domicile. Le 8 septembre 2014, le vérificateur a proposé à la contribuable une nouvelle rencontre dans son bureau, le 22 septembre 2014, afin de l'informer des éléments obtenus dans le cadre de l'exercice du droit de communication. Mme A n'ayant pas émis de réserve sur le lieu de cette seconde entrevue avec le vérificateur, la totalité de la vérification de comptabilité s'est donc déroulée dans les locaux de l'administration. Toutefois, alors qu'il est constant qu'elle ne tenait pas de comptabilité des fonds détournés, Mme A ne soutient ni qu'elle aurait fait connaître à l'administration que les circonstances ayant motivé sa demande du 16 juillet avaient disparu en septembre 2014 ni que le déroulement de cette vérification de comptabilité ne lui a pas permis de bénéficier d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur. Par suite, la requérante ne peut valablement faire valoir, désormais, que la procédure d'imposition est irrégulière au simple motif que la vérification de comptabilité ne s'est pas déroulée sur place, au sens de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales.

15. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales : " Peuvent être évalués d'office : / () / 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal ; / () Les dispositions de l'article L. 68 sont applicables dans les cas d'évaluation d'office prévus aux 1° et 2° ". Aux termes de l'article L. 68 du même livre : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'articl' L. 66 n'est applicable que si le contribuabl' n'a pas rég'larisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : / () / 3° Si le contribuable s'est livré à une activité occulte, au sens du troisième alinéa de l'article L. 169 ; (). ". Aux termes du troisième aliéna de l'article 169 du même livre : " Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite. ".

16. Il résulte de ce qui a été dit précédemment, notamment aux points 4 à 7, que Mme A s'est livrée à une activité illicite entre le 1er mai 2008 et le 30 avril 2011, qui est à l'origine de l'appréhension des sommes régulièrement imposées par l'administration dans la catégorie de bénéfices non commerciaux. Par suite, l'administration a pu, en l'absence de souscription spontanée par Mme A de déclarations de bénéfices non commerciaux au titre des années en litige, procéder à l'évaluation d'office des bénéfices non commerciaux tirés de cette activité sur le fondement des dispositions des articles du livre des procédures fiscales cités au point ci-dessus, sans envoyer au préalable à l'intéressée une mise en demeure de souscrire les déclarations omises. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 68 du livre des procédures fiscales doit être écarté.

17. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 21 octobre 2014, Mme A a notamment sollicité la prolongation du délai de trente jours dans lequel elle pouvait présenter des observations en réponse à la proposition de rectification du 26 septembre 2014. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle n'aurait pas été destinataire de cette proposition de rectification avant la mise en recouvrement des impositions en litige, qui n'est intervenue que les 30 avril et 31 mai 2015, manque en fait et ne peut qu'être écarté.

18. En cinquième lieu, les impositions litigieuses ayant été établies selon la procédure d'évaluation d'office, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales est inopérant. Il y a lieu par suite d'apprécier la motivation de la proposition de rectification au regard des dispositions de l'article L. 76 du même livre, applicables en matière d'imposition d'office. Aux termes de ce dernier article : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions. Cette notification est interruptive de prescription. ".

19. Le vérificateur rappelle dans la proposition de rectification du 26 septembre 2014 le déroulement de la vérification de comptabilité, précise qu'il a exercé le droit de communication, que l'administration détient en vertu de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, auprès du procureur de la République et qu'il a ainsi pu avoir accès au dossier pénal ayant abouti à la condamnation de Mme A pour détournements de fonds. Ce document cite ensuite des extraits des procès-verbaux d'audition dressés à l'occasion de cette procédure, ainsi que du jugement du 13 mai 2014, puis comporte l'énoncé des raisons pour lesquels il est fait application de la procédure d'office ainsi que le régime d'imposition applicable selon les années. La proposition de rectification indique ensuite les montants de bénéfices commerciaux en résultant, les conséquences des rectifications sur le revenu imposable de chacune des années en litige, ainsi qu'en matière de prélèvements sociaux. Elle comporte en annexe, la liste de l'ensemble des sommes détournées, identifiées par leur date, leur montant et leur nature, ainsi que les conséquences financières du contrôle. Dès lors, que Mme A réside en France et y était déjà imposée dans la catégorie des traitements et salaires et que, par ailleurs, elle n'a pas contesté jusqu'à la présente instance, les détournements de fonds dont elle a été reconnue coupable par le juge pénal, la circonstance que la proposition de rectification du 26 septembre 2014 n'aborde pas la question de la localisation de son domicile fiscal et se borne à rappeler les principaux éléments de la procédure pénale établissant la réalité des détournements de fonds, ne la prive pas d'une motivation suffisante. Par suite, Mme A n'est pas fondée à soutenir que la proposition de rectification du 26 septembre 2014 ne serait pas suffisamment motivée.

20. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. ".

21. Si Mme A soutient que l'administration n'a pas répondu à sa demande de communication des documents obtenus de tiers, présentée le 21 octobre 2014, l'administration établit que, par un courrier du 23 octobre 2014, distribué le 25 octobre 2014, les documents obtenus dans le cadre du droit de communication exercé auprès du procureur de la République, sur lesquels les rectifications ont été fondées et qui ont été cités dans la proposition de rectification du 26 septembre 2014 ont été communiqués à Mme A. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.

22. En septième et dernier lieu, une imposition ne constituant pas une sanction, le moyen tiré de ce que la procédure d'imposition aurait dû respecter les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que l'administration a tiré les conséquences fiscales des faits constatés à l'occasion d'une procédure pénale, doit être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

23. Il résulte des dispositions citées au point 3 de l'article 92 du code général des impôts que, dans le cas d'occupations, d'exploitations lucratives ou de sources de profits ne constituant pas une activité professionnelle proprement dite, le bénéfice imposable est le profit brut retiré de l'opération, duquel sont retranchés, s'il y a lieu, les frais et charges de toute nature qu'a entraînés pour le contribuable la réalisation de cette opération.

24. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition. ".

25. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le principe de l'annualité de l'impôt sur le revenu serait contraire aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, en tant qu'il fait obstacle à la prise en compte pour calculer l'impôt assis sur une somme, de son remboursement intervenu postérieurement à l'année d'imposition, doit être écarté dès lors que le principe de l'annualité de l'impôt procède de dispositions législatives dont il n'appartient pas au juge administratif de connaître de la constitutionnalité, en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution relative à la transmission de questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil d'État et au Conseil Constitutionnel. À supposer que Mme A ait entendu invoquer des principes généraux du droit, un tel moyen est inopérant dès lors ces principes sont de valeur infra-législative.

26. En deuxième lieu, si Mme A soutient que, pour le même motif, le principe d'annualité de l'impôt sur le revenu méconnaîtrait la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et le pacte international de New York relatif aux droits civils et politiques, dans plusieurs de leurs stipulations, elle n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Il ne peut, dès lors, qu'être écarté.

27. En troisième lieu, en vertu du principe de l'annualité de l'impôt procédant de l'article 12 du code général des impôts, Mme A ne peut valablement invoquer le remboursement des sommes détournées, dès lors qu'elle n'établit pas qu'elle y aurait procédé au cours des années durant lesquelles elle a eu la disposition de ces sommes et au titre desquelles elles ont été imposées.

28. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Il résulte des termes mêmes de cet article que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque État partie au protocole additionnel de mettre en œuvre les lois qu'il juge nécessaires pour assurer le paiement des impôts. L'imposition des sommes mises à la disposition d'un contribuable ne saurait être regardée comme portant par elle-même atteinte au respect des biens au sens de l'article 1er de ce protocole.

29. Il résulte de l'instruction que les sommes détournées par Mme A étaient imposables et ont été imposées au titre des années au cours desquelles elle en a eu la disposition. La circonstance qu'elle a été amenée à les rembourser, postérieurement à ces années, en raison de leur origine délictuelle, n'a pas pour effet de conférer à leur imposition un caractère confiscatoire. Par suite, le moyen tiré de ce que la mise en recouvrement des impositions en litige aurait porté au droit de propriété de Mme A une atteinte prohibée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

30. En cinquième lieu, si, Mme A soutient qu'au titre de l'année 2011, la somme de 8 692,56 euros correspond à des salaires déclarés et déjà imposés, elle ne produit aucun élément le confirmant, alors que ce montant ne correspond à aucun des montants figurant dans la proposition de rectification du 23 septembre 2014. La requérante ne mettant pas ainsi le tribunal à même d'apprécier le bien-fondé de ce moyen, il ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les pénalités :

31. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / () / c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte () ".

32. L'administration qui relève, sans être valablement contredite, que Mme A a procédé de 2008 à 2011 à des détournements de fonds, n'a pas fait connaître cette activité à un centre de formalités des entreprises et n'a pas déclaré les revenus ainsi appréhendés auprès de l'administration fiscale, justifie l'application de la majoration applicable en cas de découverte d'une activité occulte prévue au c de l'article 1728 du code général des impôts.

33. Si Mme A soutient que l'application de cette majoration contrevient au principe général du droit " Non bis in idem " repris notamment à l'article 4 du protocole n° 7 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel : " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par des juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État. ". Ces stipulations ne trouvent à s'appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux sanctions infligées par le juge répressif. Par ailleurs, les stipulations de l'article 14 § 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont la requérante se prévaut également et qui prévoient que : " Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays. " ne trouvent à s'appliquer que dans le cas où une même infraction pénale ayant déjà donné lieu à un jugement définitif de condamnation ou d'acquittement ferait l'objet d'une nouvelle poursuite et, le cas échéant, d'une condamnation devant ou par une juridiction répressive. Enfin, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dont Mme A invoque l'article 50, n'est applicable que dans la mise en œuvre du droit de l'Union et, par suite, n'est pas valablement invocable à l'appui d'une contestation relative au bien-fondé de l'application d'une majoration en matière d'impôt sur le revenu. Par suite Mme A n'est pas fondée à soutenir qu'en lui infligeant la majoration de 80 %, dont le taux a été ramené par le service à titre gracieux à 10 %, l'administration aurait méconnu les stipulations précitées de ces différents instruments juridiques internationaux.

34. Il résulte de toute ce qui précède que les conclusions de la requête de Mme A tendant à la décharge des impositions litigieuses doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

35. L'État n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, la demande présentée par Mme A sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme C A et au directeur régional des finances publiques de Bretagne et du département d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Etienvre, président,

M. Albouy, premier conseiller,

M. René, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2023.

Le rapporteur,

signé

E. BLe président,

signé

F. Etienvre

La greffière,

signé

S. Guillou

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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