Tribunal administratif de Grenoble

Jugement du 7 avril 2023 n° 2200027

07/04/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 janvier 2022 et le 9 janvier 2023, Mme A, représentée par Me Joseph, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 8 novembre 2021 par laquelle le Directeur du Centre Hospitalier de Rives l'a suspendue sans traitement de ses fonctions à compter du 15 décembre 2021 ;

2°) d'enjoindre au Centre Hospitalier de Rives de la réintégrer dans ses fonctions et de lui reverser les salaires qu'elle aurait dû percevoir dans les huit jours du jugement à intervenir ;

3°) de mettre à la charge du Centre Hospitalier de Rives une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans un délai de huit jours à compter du jugement à intervenir, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Elle soutient que :

- il s'agit d'une sanction disciplinaire qui n'a pas été précédée d'un avis du conseil de discipline et qui a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire ; la décision méconnaît les dispositions de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'obligation vaccinale n'était pas en vigueur à la date de la décision litigieuse ; le décret d'application instaurant l'obligation vaccinale n'étant pas intervenu en l'absence de l'avis de la haute autorité de santé postérieur à la loi du 5 août 2021 sur la question ; tous les détails mentionnés à l'article 12 de la loi du 5 août 2021 ne sont pas précisés par le décret du 7 août 2021 ;

- c'est à tort que son employeur l'a suspendue sans traitement alors qu'elle était en congé de maladie ;

- il est matériellement impossible de se vacciner ; les produits utilisés contre la COVID-19 ne sont pas des vaccins mais des substances géniques injectables qui ne peuvent être utilisés que dans le cadre d'essais cliniques ; ces produits génèrent une grande quantité d'effets indésirables ;

- la décision ne paraît pas justifiée ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- toute intervention médicale nécessite de rechercher le consentement libre et éclairé du patient ; la décision méconnaît l'article 7 du pacte international relatifs aux droits économiques sociaux et culturels, les articles 5 et 13 de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine et son protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale, les articles 3 et 6 de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme, la déclaration d'Helsinki de l'association médicale mondiale, le code de Nuremberg issu de la jurisprudence pénale internationale, la directive 2001/20/CE, le règlement 2021/953, la résolution n° 2361 de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe , les articles 1er, 3 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que les articles 16 et 16-3 du code civil et L. 1111-2, 1111-4 et R. 4127-2 et suivants du code de la santé publique.

Une mise en demeure de produire des observations en application de l'article R.612-3 du code de justice administrative a été adressée le 15 novembre 2022 au directeur du Centre Hospitalier de Rives, lequel n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 15 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 10 janvier 2023.

Par une ordonnance du 9 janvier 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 20 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;

- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine du 4 avril 1997 ;

- la déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme du 19 octobre 2005 ;

- la directive 2021/20/CE du parlement européen et du conseil du 4 avril 2001 ;

- le règlement 2021/953 du parlement européen et du conseil du 14 juin 2021 ;

- le code civil ;

- le code de déontologie des médecins ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié par les décrets n° 2021-1059 du 7 août 2021 et n° 2021-1215 du 22 septembre 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C,

- les conclusions de M. Argentin, rapporteur public,

- les observations de Me Joseph, représentant M. A,

Considérant ce qui suit :

1. Par décision du 8 novembre 2021, le directeur du Centre Hospitalier de Rives a suspendu de ses fonctions sans traitement Mme A, infirmière, à compter du 15 décembre 2021 et jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou d'un justificatif de contre-indication. Par ailleurs, par décision du 15 juin 2022, l'intéressée a été placée en disponibilité pour convenances personnelles à compter du 20 juin 2022. Par la présente requête, Mme A demande l'annulation de la décision du 8 novembre 2021.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision dans son ensemble :

Sur le vice de procédure entachant d'illégalité la sanction disciplinaire :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la COVID-19 : 1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code ; () ". L'article 13 de la même loi dispose quant à lui que : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. () 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication () ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. () B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la COVID-19 prévu par le même décret. () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (). La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public ". Il résulte de ces dispositions que toute personne soumise à l'obligation vaccinale qu'elles instituent et refusant de s'y conformer se place dans l'impossibilité de poursuivre son activité professionnelle.

3. Il ressort des énonciations de la décision en litige qu'elle a été prise sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 ci-dessus. Cette mesure de suspension sans rémunération, que l'employeur met en œuvre lorsqu'il constate que l'agent public concerné ne peut plus exercer son activité en application du I de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, s'analyse comme une mesure prise dans l'intérêt de la santé publique, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de COVID-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire, et n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautifs commis par cet agent, qui demeure par ailleurs soumis aux dispositions relatives aux droits et obligations conférés aux agents publics, particulièrement à celles de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que cette suspension présenterait le caractère d'une sanction qui n'a pas été précédée d'un avis du conseil de discipline et qui a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire, de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant et doit être écarté.

Sur l'absence d'entrée en vigueur de l'obligation vaccinale :

4. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 précitée : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 :1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code ; () II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la COVID-19 des personnes mentionnées au I du présent article. Il précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises. /Ce décret fixe les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal pour les personnes mentionnées au même I et les modalités de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis. Il détermine également les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la COVID-19 et le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la COVID-19. ". Aux termes de l'article 49-1 du décret 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dans sa rédaction issue du décret n°2021-1059 du 7 août 2021 en vigueur à compter du 9 août 2021 : " Hors les cas de contre-indication médicale à la vaccination mentionnés à l'article 2-4, les éléments mentionnés au second alinéa du II de l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 susvisée sont :/1° Un justificatif du statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2 ;/2° Un certificat de rétablissement délivré dans les conditions mentionnées au 3° de l'article 2-2 ;/3° A compter de la date d'entrée en vigueur de la loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus et à défaut de pouvoir présenter un des justificatifs mentionnés aux présents 1° ou 2°, le résultat d'un examen de dépistage, d'un test ou d'un autotest mentionné au 1° de l'article 2-2 d'au plus 72 heures. A compter 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, ce justificatif doit être accompagné d'un justificatif de l'administration d'au moins une des doses d'un des schémas vaccinaux mentionnés au 2° de l'article 2-2 comprenant plusieurs doses./ Les seuls tests antigéniques pouvant être valablement présentés pour l'application du présent 3° sont ceux permettant la détection de la protéine N du SARS-CoV-2./ La présentation de ces documents est contrôlée dans les conditions mentionnées à l'article 2-3. ".

5. La requérante soutient qu'à la date de la décision attaquée, la Haute Autorité de santé n'avait rendu aucun avis préalablement à la parution du décret du 7 août 2021, empêchant l'entrée en vigueur de ce dernier et de l'obligation vaccinale pesant sur le personnel médical.

6. Toutefois, le principe de l'obligation vaccinale ne résulte pas du décret en cause, mais uniquement de la loi du 5 août 2021, dont l'article 12 rappelé ci-dessus a institué une obligation de vaccination contre la Covid-19 pour les professionnels au contact direct des personnes les plus vulnérables dans l'exercice de leur activité professionnelle ainsi qu'à celles qui travaillent au sein des mêmes locaux, obligation qui s'impose, en particulier, aux professionnels médicaux et paramédicaux exerçant en établissement ou en libéral. Au surplus, il ressort des visas du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire qu'il a été pris suite à deux avis de la Haute Autorité de santé, l'un du 4 août 2021 relatif aux contre-indications à la vaccination contre la COVID-19 et, l'autre, du 6 août 2021 relatif à l'intégration des autotests de détection antigénique supervisés parmi les preuves justifiant l'absence de contamination par le virus SARS-CoV-2 dans le cadre du passe sanitaire et à l'extension de la durée de validité des résultats négatifs d'un examen de dépistage de virologique. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'obligation vaccinale n'était pas en vigueur à la date de la décision litigieuse, à défaut d'avis de la Haute Autorité de santé préalablement à la parution du décret du 7 août 2021, manque en fait et doit être écarté.

Sur la méconnaissance des dispositions relatives au congé de maladie :

7. Il résulte, d'une part, de l'article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, d'autre part, du I de l'article 12 et du III de l'article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 que le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie. Dès lors, Mme A n'est pas fondée à soutenir qu'en la suspendant pour le motif d'absence de vaccination, la décision a violé les dispositions statutaires relatives au droit pour tout agent public d'être placé en arrêt maladie et de percevoir son traitement afférent.

Sur la mise en œuvre de médicaments expérimentaux utilisés dans le cadre d'un essai clinique :

8. La requérante soutient que les seuls vaccins permettant d'obtenir le schéma vaccinal mentionné par la loi du 5 août 2021 se trouvaient en phase d'essai clinique au 15 septembre 2021, date à laquelle la présentation dudit schéma vaccinal devenait obligatoire pour les professionnels de santé, que toute intervention médicale nécessite de rechercher le consentement libre et éclairé du patient. Ainsi, la décision attaquée serait contraire à l'article 7 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, aux articles 5 et 13 de la convention d'Oviedo et à son protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale, à la déclaration d'Helsinki de l'Association médicale mondiale, aux articles premier, 3 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux articles 3 et 6 de la déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme, aux six premiers principes du code de Nuremberg issu de la jurisprudence pénale internationale, à la résolution n° 2361 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adoptée le 27 janvier 2021, au considérant 2 et aux articles 2 et 3 de la directive 2001/20/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 et au règlement (UE) n° 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021, à l'article 28, h) du règlement européen n°536/2014, à la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme adoptée le 19 octobre 2005, à la résolution n° 2361 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adoptée le 27 janvier 2021. Ces textes invoqués par la requérante imposent de recueillir le consentement libre et éclairé de toute personne avant de procéder à un essai clinique ou à une intervention dans le domaine de la santé ou des recherches scientifiques, prohibent toute forme de discrimination, en particulier en ce qui concerne le droit d'une personne à recevoir des soins médicaux, ou toute discrimination directe ou indirecte à l'encontre des personnes qui ne sont pas vaccinées. La requérante invoque également la méconnaissance par la décision attaquée de textes nationaux, notamment les articles 16 et 16-3 du code civil assurant la primauté de la personne, garantissant le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, le respect de l'intégrité du corps humain, les articles L. 1111-2, L. 1121-2, L. 1111-4, L. 1122-1-1, L. 1121-5, R. 4127-34 du code de la santé publique garantissant le droit de toute personne d'être informée sur son état de santé, excluant la pratique d'acte médical, de traitement ou de recherche sans le consentement libre et éclairé de la personne, imposant pour les femmes enceintes, les parturientes et les mères qui allaitent de s'assurer, notamment, dans le cadre de recherches mentionnées aux 1° ou 2° de l'article L. 1121-1 de l'importance du bénéfice escompté pour elles-mêmes ou pour l'enfant de nature à justifier le risque prévisible encouru.

9. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 6, le principe de l'obligation vaccinale ne résulte ni du décret du 1er juin 2021 modifié ni de la décision attaquée, mais uniquement de l'article 12 de la loi du 5 août 2021. La conformité de ces dispositions législatives aux normes de droit international et européen précitées relatives au principe du consentement libre et éclairé du patient ne peut être discutée ici que dans le cadre d'un moyen tiré de l'exception d'inconventionnalité de la loi qui n'a pas été soulevé par la requérante. Par suite, le moyen tiré de l'inconventionnalité de l'arrêté attaqué est inopérant. Par ailleurs, il n'appartient pas au juge administratif dans le cadre d'un litige portant sur une mesure individuelle prise en vertu de dispositions législatives d'apprécier la conformité de dispositions de valeur législative à des dispositions de valeur constitutionnelle, notamment à celles de l'article 55 de la Constitution française du 4 octobre 1958, sous réserve de la faculté d'examiner de tels moyens selon les formes et modalités requises pour une question prioritaire de constitutionnalité qui n'a pas été formée par la requérante. Enfin, le droit du patient de donner son consentement libre et éclairé aux soins médicaux qui lui sont prodigués ne saurait être utilement invoqué à l'encontre des dispositions prises par le pouvoir réglementaire ou par le chef de service pour mettre en œuvre une obligation de vaccination établie par la loi pour lutter contre l'épidémie de Covid 19, dont le principe même écarte l'application de ce droit.

Sur les autres moyens :

10. En premier lieu, la requérante soutient que la décision attaquée par laquelle elle a été suspendue de ses fonctions est illégale pour des motifs d'erreurs de fait et de droit car les produits injectés sont, selon elle, en réalité, des substances géniques et non pas des vaccins. Elle fait valoir, également, que les soignants sont dans l'incapacité de se vacciner, car les produits disponibles ne sont pas des vaccins, mais des médicaments géniques qui ont généré près de 1 000 000 d'effets secondaires graves en Europe, dont près de 25 000 décès (répertoriés) et qu'il n'est ainsi pas possible de la contraindre à se faire "vacciner", sauf à lui indiquer quel est le produit disponible dont l'efficacité et l'innocuité sont garanties. Toutefois, la requérante ne saurait utilement se prévaloir, à l'encontre de la décision attaquée, des conditions de renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle délivrée pour les vaccins contre la Covid-19. Par ailleurs, les vaccins contre la Covid-19 autorisés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament et répondent à la définition du vaccin de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il serait matériellement impossible de se vacciner en raison du fait que les produits sur le marché ne seraient pas des vaccins manque en fait et doit être écarté.

11. En deuxième lieu, la requérante invoque la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

13. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. En l'état des connaissances disponibles, la vaccination réduit de 95 % le risque d'hospitalisation, réduit de plus de 60% le risque d'infection et les risques de circulation du virus sont également réduits lorsqu'une personne est vaccinée. En adoptant pour l'ensemble des professionnels des secteurs sanitaire et médico-social, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de Covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale, protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des patients et notamment des personnes vulnérables (immunodéprimées, âgées), protéger également la santé des professionnels de santé, qui sont particulièrement exposés au risque de contamination compte tenu de leur activité, et diminuer ainsi le risque de saturation des capacités hospitalières. Par ailleurs, l'article 13 de la même loi du 5 août 2021 prévoit que l'obligation de vaccination ne s'applique pas aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Ainsi, les dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021, fondement de la décision attaquée, ont apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique et proportionnée à ce but. Par suite, le moyen tiré de la violation par la décision attaquée de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

14. En troisième lieu, la requérante n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance de l'article 36 du code de déontologie des médecins, ce texte n'étant plus en vigueur depuis son abrogation par l'article 113 du décret n°95-1000 du 6 septembre 1995.

Sur la date de prise d'effet de la mesure :

15. Il résulte des dispositions rappelées au point 7 que si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question.

16. Par une décision en date du 8 novembre 2021, le centre hospitalier de Rives a suspendu de ses fonctions sans traitement Mme A, infirmière, à compter du 15 décembre 2021. Toutefois, il ressort de la décision de prolongation de mise en congé pour maladie ordinaire (pièce n° 32) que Mme A a été en arrêt- de travail depuis le 2 septembre 2021 jusqu'au 16 mars 2022. Dans ces conditions, la décision attaquée ne pouvait avoir d'effet immédiat et devait voir son entrée en vigueur différée au terme du congé maladie. En conséquence, la requérante est fondée à soutenir que la décision de suspension du 8 novembre 2021 est entachée d'une erreur de droit en tant qu'elle prend effet à compter du 15 décembre 2021.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

17. Dans la mesure où Mme A a été placée en disponibilité depuis le 20 juin 2022, l'annulation de la décision attaquée n'implique pas sa réintégration effective sur un poste. L'annulation de la décision attaquée, en tant qu'elle prend effet à compter du 15 décembre 2021, implique seulement que le directeur du centre hospitalier de Rives procède au versement à Mme A du traitement auquel elle a droit dans le cadre de son arrêt de travail, assimile la période d'absence du service de l'intéressée à compter de cette même date à une période de travail effectif pour la détermination de la durée de ses congés payés ainsi que pour ses droits acquis au titre de son ancienneté, et prenne en compte cette même période au titre de son avancement.

Sur les frais d'instance :

18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du Centre hospitalier de Rives une somme de 900 euros au titre des frais exposés par Mme A et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du directeur du centre hospitalier de Rives en date du 8 novembre 2021 est annulée en ce qu'elle prend effet avant le retour de congés de maladie de Mme A.

Article 2 : Il est enjoint au directeur du centre hospitalier de Rives de procéder au versement du traitement de Mme A auquel elle a droit dans le cadre de son arrêt de travail entre le 15 décembre 2021 et le 16 mars 2022, d'assimiler la période d'absence du service de l'intéressée à compter de cette même date à une période de travail effectif pour la détermination de la durée de ses congés payés ainsi que pour ses droits acquis au titre de son ancienneté, et de prendre en compte cette même période au titre de son avancement.

Article 3 : Le centre hospitalier de Rives versera à Mme A la somme de 900 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requérante est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme A et au Centre hospitalier de Rives.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. C, président- rapporteur,

M. d'Argenson, premier conseiller,

Mme Fourcade, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2023.

Le président-rapporteur,

C. C

L'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau,

P-H. d'ARGENSON

Le greffier,

G. MORAND

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C