Tribunal administratif de Marseille

Jugement du 6 avril 2023 n°2104141

06/04/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

I. Sous le n° 2104141, par une requête enregistrée le 8 mai 2021, la commune d'Eyguières, représentée en dernier lieu par Me Gonand, demande au tribunal :

1°) d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2020 prononçant la carence de la commune d'Eyguières pour la période 2017-2019, au titre de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 17 février 2021 ;

2°) de réformer la majoration du taux de prélèvement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est entaché de vices de procédure relatifs à l'avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement et de la commission nationale solidarité et renouvellement urbain, ces avis n'ayant pas été communiqués à la commune, méconnaissant ainsi le principe du respect des droits de la défense ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en prononçant la carence ;

- le montant du prélèvement, qui excède 5% du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune d'Eyguières, est disproportionné ;

- compte tenu des difficultés de la commune, les objectifs assignés en matière de logements sociaux sont inatteignables ;

- l'arrêté de carence du 22 décembre 2020 et l'arrêté du 26 février 2021 pris pour son application sont contraires au 3ème paragraphe de l'article 8 de la charte européenne de l'autonomie locale et à l'article 9 du même texte ;

- la commune entend soulever une question prioritaire de constitutionnalité contre le dispositif législatif sur les carences en matière de réalisation de logements sociaux, qui apparaît contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe constitutionnel d'égalité entre les personnes publiques.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir, à titre principal, que la requête est irrecevable en raison de l'absence de production de la délibération autorisant le maire à ester en justice et, à titre subsidiaire, qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Une note en délibéré, présentée par la commune d'Eyguières, a été enregistrée le 27 mars 2023.

II. Sous le n° 2104143, par une requête enregistrée le 8 mai 2021, la commune d'Eyguières, représentée en dernier lieu par Me Gonand, demande au tribunal :

1°) d'annuler l'arrêté du 26 février 2021 fixant à 420 196,40 euros dont 273 041,35 euros de majoration, le montant du prélèvement résultant de l'arrêté de carence du 22 décembre 2020, sur le fondement de l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation, au titre de l'année 2021 ;

2°) de réformer la majoration du taux de prélèvement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le défaut de communication des avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement et de la commission nationale solidarité et renouvellement urbain constituent des vices de procédure qui ont entaché d'illégalité l'arrêté de carence du 22 décembre 2020, l'illégalité de ce dernier entraînant par voie de conséquence l'illégalité de l'arrêté du 26 février 2021 ;

- l'arrêté du 22 décembre 2020 méconnaît les dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, dès lors que le préfet n'a pas pris en compte les difficultés rencontrées par la commune pendant la période triennale 2017-2019, ni les projets en cours de réalisation, l'erreur manifeste d'appréciation dont est entachée l'arrêté de carence entraînant par voie de conséquence l'illégalité de l'arrêté du 26 février 2021 ;

- pour les autres moyens, elle conclut par les mêmes moyens que ceux exposés sous le n° 2104141.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir les mêmes motifs que ceux exposés sous le n° 2104141.

Une note en délibéré, présentée par la commune d'Eyguières, a été enregistrée le 27 mars 2023.

III. Sous le n° 2104200, par une requête enregistrée le 11 mai 2021, la commune d'Eyguières, représentée par Me Gonand, demande au tribunal :

1°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2020 prononçant la carence de la commune d'Eyguières et fixant la majoration à 400 % de son taux de prélèvement pour la période 2017-2019, au titre de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 22 février 2021 ;

2°) de prononcer la décharge des sommes éventuelles appelées au titre de la majoration prononcée à son encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de réformer la majoration du taux de prélèvement ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est entaché de vices de procédure relatifs à l'avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement et de la commission nationale solidarité et renouvellement urbain ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, dès lors que le préfet n'a pas pris en compte les difficultés rencontrées par la commune pendant la période triennale 2017-2019, ni les projets en cours de réalisation ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que les objectifs assignés ne sont pas atteignables ;

- en application de l'article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales, la compétence en matière de logement social a été transférée à la métropole ;

- au regard du taux de réalisation de la commune de 44,01 % en matière de construction de logements sociaux, des difficultés rencontrées par la commune et des projets de réalisation en cours, la sanction de majoration de 400 % est excessive.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir les mêmes motifs que ceux exposés sous les n° 2104141 et 2104143.

Une note en délibéré, présentée par la commune d'Eyguières, a été enregistrée le 27 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte européenne de l'autonomie locale du 5 mai 2007 ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B,

- les conclusions de Mme Beyrend, rapporteure publique,

- les observations de Me Gonand, représentant la commune d'Eyguières ;

- et les observations de M. A, représentant le préfet des Bouches-du-Rhône.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet des Bouches-du-Rhône a prononcé, par arrêté du 22 décembre 2020, la carence, au regard de ses objectifs de production de logements sociaux au titre de la période triennale 2017-2019, de la commune d'Eyguières, telle que définie par l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, et a fixé le taux de majoration à appliquer au prélèvement effectué sur ses ressources fiscales à 400 %. Par arrêté du 26 février 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône a fixé à 420 196,40 euros le montant du prélèvement au titre de l'article L. 302-7 du même code. Par trois requêtes, la commune d'Eyguières demande au tribunal d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2020 et l'arrêté du 26 février 2021.

Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées présentées par la commune d'Eyguières présentent à juger des questions liées et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu, par suite, de les joindre afin de statuer par un seul jugement.

Sur le cadre juridique applicable :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Lorsque, dans les communes soumises aux obligations définies aux I et II de l'article L. 302-5 au terme de la période triennale échue, le nombre de logements locatifs sociaux à réaliser en application du I de l'article L. 302-8 n'a pas été atteint ou lorsque la typologie de financement définie au III du même article L. 302-8 n'a pas été respectée, le représentant de l'Etat dans le département informe le maire de la commune de son intention d'engager la procédure de constat de carence. Il lui précise les faits qui motivent l'engagement de la procédure et l'invite à présenter ses observations dans un délai au plus de deux mois. / En tenant compte de l'importance de l'écart entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale échue, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, le représentant de l'Etat dans le département peut, par un arrêté motivé pris après avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement et, le cas échéant, après avis de la commission mentionnée aux II et III de l'article L. 302-9-1-1, prononcer la carence de la commune () Cet arrêté peut aussi prévoir les secteurs dans lesquels le représentant de l'Etat dans le département est compétent pour délivrer les autorisations d'utilisation et d'occupation du sol pour des catégories de constructions ou d'aménagements à usage de logements listées dans l'arrêté. Par le même arrêté et en fonction des mêmes critères, il fixe, pour une durée maximale de trois ans à compter du 1er janvier de l'année suivant sa signature, la majoration du prélèvement défini à l'article L. 302-7. Le prélèvement majoré ne peut être supérieur à cinq fois le prélèvement mentionné à l'article L. 302-7. Le prélèvement majoré ne peut excéder 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune figurant dans le compte administratif établi au titre du pénultième exercice. Ce plafond est porté à 7,5 % pour les communes dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur ou égal à 150 % du potentiel fiscal médian par habitant sur l'ensemble des communes soumises au prélèvement défini à l'article L. 302-7 au 1er janvier de l'année précédent ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 302-9-1-1 du même code, dans sa version applicable à l'espèce : " I. Pour les communes n'ayant pas respecté la totalité de leur objectif triennal, le représentant de l'Etat dans le département réunit une commission chargée de l'examen du respect des obligations de réalisation de logements sociaux. Cette commission, présidée par le représentant de l'Etat dans le département, est composée du maire de la commune concernée, du président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'habitat si la commune est membre d'un tel établissement, des représentants des bailleurs sociaux présents sur le territoire de la commune et des représentants des associations et organisations dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées, œuvrant dans le département. / () Si la commission parvient à la conclusion que la commune ne pouvait, pour des raisons objectives, respecter son obligation triennale, elle saisit, avec l'accord du maire concerné, une commission nationale placée auprès du ministre chargé du logement. / II.- La commission nationale () entend le maire de la commune concernée ainsi que le représentant de l'Etat du département dans lequel la commune est située. / () / Les avis de la commission sont motivés et rendus publics. / III. Préalablement à la signature par les représentants de l'Etat dans les départements des arrêtés de carence dans les conditions définies à l'article L. 302-9-1, dans le cadre de la procédure de bilan triennal, la commission nationale peut se faire communiquer tous les documents utiles et solliciter les avis qu'elle juge nécessaires à son appréciation de la pertinence d'un projet d'arrêté de carence, de l'absence de projet d'arrêté de carence et de la bonne prise en compte des orientations nationales définies par le ministre chargé du logement. Elle peut, dans ce cadre, de sa propre initiative ou sur saisine du comité régional de l'habitat et de l'hébergement, émettre des avis et des recommandations aux représentants de l'Etat dans les départements. Elle transmet ses avis au ministre chargé du logement. / () ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsqu'une commune n'a pas respecté son objectif triennal de réalisation de logements sociaux, il appartient au préfet, après avoir recueilli ses observations et les avis prévus à l'article L. 302-9-1, d'apprécier si, compte tenu de l'écart existant entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, il y a lieu de prononcer la carence de la commune, et, dans l'affirmative, s'il y a lieu de lui infliger une majoration du prélèvement annuel prévu à l'article L. 302-7, en en fixant alors le montant dans la limite des plafonds fixés par l'article L. 302-9-1.

5. Lorsqu'une commune demande l'annulation d'un arrêté préfectoral prononçant sa carence et lui infligeant un prélèvement majoré en application de l'article L. 302 9-1 du code de la construction et de l'habitation, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer si le prononcé de la carence procède d'une erreur d'appréciation des circonstances de l'espèce et, dans la négative, d'apprécier si, compte tenu des circonstances de l'espèce, la sanction retenue est proportionnée à la gravité de la carence et d'en réformer, le cas échéant, le montant.

Sur le constat de carence :

6. Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé () ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ".

7. Si la commune d'Eyguières soutient que les dispositions de la loi du 13 décembre 2000, qui fondent la décision attaquée, méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales et le principe constitutionnel d'égalité entre les personnes publiques, ces moyens ne peuvent être soulevés qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R. 771-3 du code de justice administrative. Faute d'être présentés par mémoire distinct et motivé, ce moyen ne peut qu'être écarté comme étant irrecevable.

En ce qui concerne les vices de procédure :

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du compte-rendu de sa séance plénière du 16 décembre 2020 produit en défense, que le comité régional de l'habitat et de l'hébergement a effectivement été consulté. Il ne ressort d'aucun texte, pas plus que d'un principe, que cet avis aurait dû être communiqué à la commune. Par suite, cette première branche du moyen tirée d'un vice de procédure au regard de l'avis émis par le comité régional de l'habitat et de l'hébergement doit être écartée.

9. En second lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du compte-rendu de la réunion du 10 juillet 2020 produit en défense, que la commission départementale prévue par les dispositions du I précité de l'article L. 302-9-1-1 du code de la construction et de l'habitation s'est réunie pour l'examen du respect des obligations de la commune d'Eyguières au titre du bilan triennal 2017-2019. Il ressort du compte-rendu de cette réunion que la commission départementale a constaté, sur la période envisagée, que la commune avait réalisé 0,47 % de l'objectif quantitatif 2017-2019, 0 % de prêt locatif aidé d'intégration et 0 % de prêt locatif social. A l'issue de cette commission départementale, la saisine de la commission nationale sur le fondement des dispositions citées ci-dessus du II de l'article L. 302-9-1-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été décidée, de telle sorte que la commune d'Eyguières ne peut utilement soutenir que la procédure prévue par ces dispositions aurait été méconnue. La commune elle-même n'ayant pas souhaité saisir la commission nationale sur le fondement du II, elle ne saurait être regardée comme ayant été privée d'une garantie, et en tout état de cause, dès lors que les dispositions du II de l'article L. 302-9-1-1 du code de la construction et de l'habitation ne s'appliquaient pas à l'hypothèse d'espèce, la deuxième branche du moyen tirée d'un vice de procédure au regard de l'avis émis par la commission nationale solidarité et renouvellement urbain est inopérante.

10. En troisième lieu, la commune soutient que le défaut de communication des avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement et de la commission nationale solidarité et renouvellement urbain ont méconnu le principe du respect des droits de la défense. Ainsi qu'il a été dit au point 8, cette communication n'est pas prévue par les textes. Par suite, il y a lieu d'écarter cette dernière branche du moyen comme inopérante.

En ce qui concerne le bien-fondé de l'arrêté de carence :

11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'objectif global de réalisation de logements sociaux de la commune d'Eyguières pour la période triennale 2017-2019 était de 215 logements locatifs sociaux. Or, le bilan triennal de la période fait état d'une réalisation globale d'un seul logement social, soit un taux de réalisation de l'objectif quantitatif triennal de rattrapage de 0,5 %. La commune a réalisé zéro logement social financé en prêt locatif aidé d'insertion alors que l'objectif sur la période était de soixante-cinq logements et a réalisé zéro logement financé en prêt locatif social, alors que l'objectif était de quarante-trois logements. Le taux de réalisation sur les trois périodes triennales précédentes est de 44,01 % des objectifs cumulés pour ces mêmes périodes. Pour fonder le constat de carence, le préfet rappelle l'écart entre l'objectif de réalisation de logements locatifs sociaux de la commune et le résultat atteint pour la période en litige et vise le compte-rendu de la commission départementale solidarité et renouvellement urbain, au cours de laquelle les spécificités de la commune ont bien été prises en considération, de façon détaillée, et dans lequel la commission départementale déplorait le refus de la commune de signer un contrat de mixité sociale. Le préfet fait valoir, sans être contredit, que l'instruction ministérielle du 23 juin 2020 relative aux conditions de réalisation du bilan triennal et de la procédure de constat de carence au titre de la période 2017-2019 enjoint les préfets à faire du respect de l'objectif quantitatif s'agissant du stock de logements sociaux mis en service ou financés sur la période triennale, un objectif de premier rang. Il est constant que la seule évolution du plan local d'urbanisme, en vue de créer une orientation d'aménagement et de programmation concernant le quartier du Pin, était insuffisante pour atteindre l'objectif de rattrapage, même en cas de succès, la commune comprenant trop peu de secteurs de mixité sociale, avec de surcroît des taux de logements locatifs sociaux trop faibles (30%). L'insuffisance de structures d'accueil scolaire et de soins ne saurait par ailleurs en tout état de cause justifier une dérogation aux objectifs qui lui ont été fixés. Par suite, la commune d'Eyguières n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige a été pris sans tenir compte des difficultés de la commune. Dès lors, cette première branche du moyen devra être écartée.

12. En deuxième lieu, s'agissant des projets en cours de réalisation, le préfet fait valoir sans être contredit que le programme " résidence DE AMICIS 2 ", qui représente vingt-deux logements locatifs sociaux, n'a fait l'objet d'aucune demande d'agrément et ne pouvait donc pas être comptabilisé. Il fait également valoir que le bail emphytéotique conclu en vue de la construction d'une résidence d'autonomie (soixante-dix logements locatifs sociaux) n'est qu'à l'état de projet, et ne pourra donc être comptabilisé que dans le cadre d'un futur bilan triennal. Enfin, il est constant que la construction d'un groupe scolaire et d'un centre médical ne peut être comptabilisée comme un projet de création de logements locatifs sociaux en cours de réalisation. Par suite, la commune d'Eyguières n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige a été pris sans prendre en considération les projets en cours de réalisation.

13. En troisième lieu, aux termes du § 3 de l'article 8 de la Charte européenne de l'autonomie locale, " Le contrôle administratif des collectivités locales doit être exercé dans le respect d'une proportionnalité entre l'ampleur de l'intervention de l'autorité de contrôle et l'importance des intérêts qu'elle entend préserver ". Et aux termes du § 2 de l'article 9 du même texte : " Les ressources financières des collectivités locales doivent être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution ou la loi ".

14. En l'espèce, la requérante soutient que l'arrêté en litige méconnaît les stipulations précitées de la Charte européenne de l'autonomie locale. Toutefois, le constat de carence, tout comme le prélèvement sur les ressources fiscales de la commune, résultent de l'application de la loi et, ainsi qu'il a été exposé aux point 11 et 12, il n'est pas établi que les arrêtés contestés auraient eu pour objet ou pour effet de méconnaître les stipulations précitées, la commune d'Eyguières ayant bien été consultée préalablement à l'arrêté du 22 décembre 2020 et le taux de majoration à appliquer au prélèvement ne peut pas être regardé comme ayant porté atteinte, par lui-même, aux droits garantis par les stipulations précitées. Dans ces conditions, les arrêtés ne sauraient être regardés, en tout état de cause, comme portant atteinte aux droits stipulés aux articles précités de la Charte européenne de l'autonomie locale.

15. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la commune d'Eyguières n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige est entaché d'une erreur d'appréciation.

Sur la majoration :

16. En premier lieu, la commune soutient qu'en fixant par arrêté du 26 février 2021 le montant du prélèvement résultant de l'arrêté de carence du 22 décembre 2020 à 420 196,40 euros dont 273 041, 35 euros de majoration, le montant du prélèvement est disproportionné en ce qu'il excède 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune et qu'il n'aurait pas dû dépasser la somme de 379 184, 24 euros. Toutefois, la commune, qui propose un autre calcul du montant du prélèvement majoré maximal, n'apporte pas de précisions suffisantes s'agissant du montant des dépenses réelles de fonctionnement figurant dans le compte administratif d'un montant de 7 583 684,79 euros. Par ailleurs, le prélèvement majoré n'excède pas le seuil prévu. Enfin, comme il a été dit aux points 11 et 12, le prononcé de la carence ne procède pas d'une erreur d'appréciation qu'aurait commise le préfet. Par voie de conséquence, l'arrêté du 22 décembre 2020 n'étant entaché d'aucune illégalité, la commune n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté du 26 février 2021 fixant à 420 196,40 euros le montant du prélèvement résultant pour partie de l'arrêté de carence du 22 décembre 2020 est illégal.

17. En second lieu, il résulte de l'instruction que les difficultés objectives de la commune ont bien été prises en compte par le préfet pour la période triennale litigieuse, mais il est constant que la construction de groupes scolaires ou d'établissements de santé est sans incidence sur la procédure de carence et le taux de réalisation de logements locatifs sociaux pour la période n'a été que de 0,5 %. Contrairement à ce que soutient la requérante, le taux de réalisation de 44,01 % ne concerne pas la période triennale 2017-2019 mais les trois périodes triennales antérieures. Dans ces conditions, eu égard au taux quasi nul de réalisation de logements sociaux au cours de la période triennale 2017-2019, la sanction infligée à la commune d'Eyguières, qu'il aurait été loisible au préfet de porter à 500 % en application du dispositif prévu par le législateur à l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, ne présente pas de caractère disproportionné.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation, de réformation et de décharge des requêtes de la commune d'Eyguières doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais de l'instance doivent être également rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de la commune d'Eyguières sont rejetées.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la commune d'Eyguières et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Laso, président,

Mme Niquet, première conseillère,

Mme Ollivaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

La rapporteure,

Signé

J. B

Le président,

Signé

J.-M. Laso

Le greffier,

Signé

P. Giraud

 

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône, en ce qui le concerne, et à tous les commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef,

Le greffier,

N° s 2104141, 2104143 et 2104200