Tribunal administratif de Montreuil

Jugement du 6 avril 2023 n° 2115088

06/04/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 2 novembre 2021, l'association " Juristes pour l'enfance ", représentée par Me Le Gouvello, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision par laquelle l'Agence de la biomédecine a lancé une campagne nationale d'information et de recrutement pour le don d'ovocytes et de spermatozoïdes à compter du 21 octobre 2021 ;

2°) à défaut, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la constitutionnalité des dispositions de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique interdisant l'établissement de tout lien de filiation entre le donneur de gamètes et l'enfant issu du don ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable et elle justifie d'un intérêt pour agir suffisant ;

- la décision de mettre en œuvre la campagne d'information méconnaît les stipulations de l'article 7 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est illégale par voie d'exception, dès lors qu'elle est fondée sur les dispositions légales des articles L. 2141-2 du code de la santé publique et 342-9 à 342-11 du code civil qui sont inconventionnelles, en ce qu'elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 3 et 7 de la convention internationale des droits de l'enfant ; en particulier, l'interdiction d'établissement de la filiation biologique en cas de recours à un don de gamètes porte une atteinte à une liberté fondamentale qui ne résulte pas pour l'enfant du fait d'être né ; cette impossibilité d'établir la filiation biologique liée au don, qui ne peut être comparée à celle résultant de l'adoption, porte donc atteinte au droit de l'enfant et n'est pas compatible avec la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle illégale dès lors qu'elle est fondée sur ces dispositions qui sont inconstitutionnelles, en ce qu'elles méconnaissant le principe d'égalité constitutionnellement garanti à l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le droit au respect de la vie privée et familiale et l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant consacrée par une décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019 du Conseil constitutionnel ;

- la décision de mettre en œuvre la campagne d'information, qui œuvre à créer des situations de discrimination, méconnaît le principe constitutionnel d'égalité ;

- elle méconnaît le droit à la protection de la santé prévu à l'article L. 1110-1 du code de la santé publique ;

- elle méconnaît le principe de précaution prévu à l'article 5 de la charte de l'environnement.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 mars 2022, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'association requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors que l'association requérante ne justifie pas d'un intérêt pour agir suffisant ;

- les conclusions tendant à ce que le tribunal transmette au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la constitutionnalité des dispositions de la loi du

2 août 2021 relative à la bioéthique interdisant l'établissement de tout lien de filiation entre le donneur de gamètes et l'enfant issu du don sont irrecevables, faute d'avoir été présentées par un mémoire distinct ;

- les moyens tirés de la méconnaissance du point 1 de l'article 7 de la convention internationale des droits de l'enfant, qui n'est pas d'effet direct et ne s'applique qu'à des enfants mineurs alors que la campagne informative s'adresse à un public majeur, plus globalement de l'exception d'inconventionnalité du cadre légal, notamment des articles 342-9 du code civil et

L. 1418-1 du code de la santé publique, de la méconnaissance du principe d'égalité constitutionnel en raison de l'interdiction pour les enfants issus d'une assistance médicale à la procréation avec don de gamètes d'établir leur filiation biologique, qui résulte non de la campagne litigieuse mais de l'article 342-9 du code civil, ainsi qu'enfin de la méconnaissance du principe de précaution prévu à l'article 5 de la Charte de l'environnement, sont inopérants ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule, ainsi que la Charte de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 23 mars 2023 :

- le rapport de M. B,

- les conclusions de M. Terme, rapporteur public,

- les observations de Me Dussert-Vidalet, substituant Me Le Gouvello, représentant l'association requérante, et de Me de Cenival, représentant l'Agence de la biomédecine.

Considérant ce qui suit :

1. L'Agence de la biomédecine a, en octobre 2021, lancé une campagne de communication et d'information " sur le cadre de la nouvelle loi de bioéthique et de sensibilisation pour le don de gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) ", indiquant notamment les changements apportés par la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et en particulier l'élargissement de l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux " couples de femmes et aux femmes non mariées ", la possibilité donnée aux enfants majeurs issus d'une AMP avec tiers donneur d'accéder à l'identité du donneur ayant permis leur conception ainsi, par ailleurs, qu'à des données non identifiantes le concernant, et la circonstance que " l'accès aux origines n'impacte en aucun cas la filiation ", dès lors qu' " aucune filiation légale ne peut être établie entre la personne issue d'une AMP avec don de gamètes et le donneur ". L'association Juristes pour l'enfance demande au tribunal d'annuler la décision, révélée par l'existence d'un dossier de presse, d'un communiqué de presse du 20 octobre 2021, et de la mise en ligne sur le site internet de l'agence d'une annonce de cette campagne d'information, par laquelle l'Agence de la biomédecine a décidé d'entreprendre et lancé cette campagne nationale d'information en en définissant le contenu.

Sur la demande de transmission de questions prioritaires de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ". ". Et aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ".

3. Le moyen tiré de ce que la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, en ce qu'elle a en particulier maintenu, aux articles 342-9 et 342-11 du code civil créés par cette loi, l'interdiction de l'établissement d'un lien de filiation entre l'individu né d'un don de gamètes et le donneur et a étendu les cas de recours à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules, ainsi que le prévoit désormais l'article L. 2141-2 du code de la santé publique modifié par cette loi, serait contraire au droit au respect de la vie privée et familiale, à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant tirée des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 et surtout au principe constitutionnel d'égalité, n'a pas été soulevé dans un mémoire distinct, en méconnaissance des dispositions ci-dessus reproduites de l'article R. 771-3 du code de justice administrative, et est, par suite, irrecevable.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article L. 1418-1 du code de la santé publique : " L'Agence de la biomédecine est un établissement public administratif de l'Etat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé. / Elle est compétente dans les domaines de la greffe, de la reproduction, de l'embryologie et de la génétique humaines. Elle a notamment pour missions : / () 5° De promouvoir () le don de gamètes ; () ".

En ce qui concerne l'exception d'inconventionnalité :

5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Cet article a ainsi d'abord pour objet de prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics. Toutefois, son application peut aussi impliquer l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. Dans les deux cas, un juste équilibre doit être ménagé entre les intérêts concurrents et l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation. Pour l'application de cet article, la marge d'appréciation dont dispose l'Etat en vue d'assurer un juste équilibre entre intérêts concurrents dépend de différents facteurs. Lorsqu'il n'y a pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, ce qui est le cas en matière de procréation médicale assistée, que ce soit sur l'importance relative de l'intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l'affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, cette marge d'appréciation est plus large. Celle-ci est encore plus grande quand la question porte sur les rapports individuels. Elle s'applique tant à la décision de légiférer ou non en la matière que, le cas échéant, aux règles détaillées édictées pour ménager un équilibre entre les intérêts publics et les intérêts privés en conflit. Pour déterminer si cette marge d'appréciation a été outrepassée, il appartient au juge de se prononcer sur le dispositif juridique critiqué, et non sur le point de savoir si une autre solution pourrait être mise en œuvre. En application de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les règles applicables en matière de procréation médicale assistée doivent prendre en compte les différents intérêts privés en cause, à savoir ceux du donneur et de sa famille, du couple receveur, de l'enfant issu du don de gamètes et de la famille de l'enfant ainsi conçu. Par ailleurs, aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale () ". Aux termes de l'article 7 de cette convention : " 1. L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. / 2. Les Etats parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l'enfant se trouverait apatride ".

6. Aux termes de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, dans sa version issue de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique susvisée : " L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l'assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l'équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l'article

L. 2141-10. / Cet accès ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l'orientation sexuelle des demandeurs. / Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l'insémination artificielle ou au transfert des embryons () ". Aux termes de l'article 342-9 du code civil, créé par la loi du 2 août 2021 susvisée et reprenant les dispositions antérieurement en vigueur de l'article 311-19 du même code : " En cas d'assistance médicale à la procréation nécessitant l'intervention d'un tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de l'assistance médicale à la procréation. / Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l'encontre du donneur () ". L'article 342-10 de ce code, créé par cette même loi, dispose par ailleurs : " () Le consentement donné à une assistance médicale à la procréation interdit toute action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation, à moins qu'il ne soit soutenu que l'enfant n'est pas issu de l'assistance médicale à la procréation ou que le consentement a été privé d'effet () ". Aux termes de l'article 342-11 de ce code, également créé par la loi du 2 août 2011 susvisée : " Lors du recueil du consentement prévu à l'article 342-10, le couple de femmes reconnaît conjointement l'enfant. / La filiation est établie, à l'égard de la femme qui accouche, conformément à l'article 311-25. Elle est établie, à l'égard de l'autre femme, par la reconnaissance conjointe prévue au premier alinéa du présent article. Celle-ci est remise par l'une des deux femmes ou, le cas échéant, par la personne chargée de déclarer la naissance à l'officier de l'état civil, qui l'indique dans l'acte de naissance. / Tant que la filiation ainsi établie n'a pas été contestée en justice dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 342-10, elle fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation dans les conditions prévues au présent titre ".

7. La contrariété d'une disposition législative aux stipulations d'un traité international ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre un acte réglementaire que si ce dernier a été pris pour son application ou si elle en constitue la base légale.

8. Par ailleurs, les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.

9. En l'espèce, si la campagne d'information, qui propose une présentation du droit positif relatif au don de gamètes, a certes pour but d'influer les comportements en incitant aux dons de gamètes, elle n'a pas pour objet de le mettre en œuvre mais seulement d'en restituer le sens et la portée afin d'en informer le public. Par ailleurs, la campagne d'information n'a pas été prise pour l'application des dispositions précitées au point 6, et celles-ci n'en constituent pas la base légale. Il suit de là que la contrariété des dispositions législatives précitées au point 6 aux stipulations internationales précitées au point 5 ne peut être utilement invoquée à l'appui des conclusions dirigées contre la décision attaquée de mettre en œuvre une campagne d'information.

10. Au surplus, l'association Juristes pour l'enfance soutient que les dispositions légales précitées au point 6, telles qu'issues de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique susvisée, dont la campagne de promotion du don de gamètes en litige informe le public du contenu, sont incompatibles avec les stipulations précitées au point 5, en ce qu'est maintenue, sans exception, l'interdiction de filiation entre l'individu né d'un don de gamètes et le donneur, interdiction s'appliquant également en cas de recours à la procréation médicalement assistée par des couples de femmes ou des femmes seules auxquelles la possibilité d'un tel recours a été étendue. Cependant, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui ont pour objet d'assurer un juste équilibre entre l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde de la vie privée, y compris dans les relations des individus entre eux, laissent au législateur, ainsi qu'il a précédemment été dit au point 5, une marge d'appréciation étendue dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation. Il n'appartient ainsi qu'au seul législateur, qui a écarté toute modification de la règle de l'interdiction de la filiation dans le cadre de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique susvisée, de porter, le cas échéant, une nouvelle appréciation sur les considérations d'intérêt général à prendre en compte et sur les conséquences à en tirer. Par ailleurs, la règle d'interdiction de l'établissement d'un lien de filiation entre l'auteur du don et l'enfant issu de l'assistance médicale à la procréation répond à l'objectif de préservation de la vie privée du donneur et de sa famille et, en ce qui concerne le couple receveur, à l'objectif de respect de la vie familiale au sein de la famille légale de l'enfant conçu à partir de gamètes issues de ce don. Cette règle n'implique donc par elle-même aucune atteinte à la vie privée au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle ne méconnaît pas davantage les stipulations invoquées de la convention internationale des droits de l'enfant.

En ce qui concerne les autres moyens :

11. En premier lieu, l'association Juristes pour l'enfance soutient que la campagne nationale de communication pour promouvoir le don d'ovocytes et de spermatozoïdes organisée par l'Agence de la biomédecine, en ce qu'elle promeut le don de gamètes alors que la loi interdit toute possibilité d'avoir accès à ses parents biologiques et qu'elle a pour but d'inciter à de tels dons, conduit ainsi à favoriser l'existence de situations dans lesquelles les enfants n'auront pas accès à leurs origines ni et surtout la possibilité de faire établir leur filiation biologique. Cependant, cette campagne n'a ni pour objet ni pour effet, par elle-même, de priver les personnes nées d'un don de gamètes d'informations sur l'identité du donneur, dans le respect des conditions légales qui encadrent ce droit à l'information résultant en particulier de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique susvisée, ni d'interdire l'établissement d'un lien de filiation avec le donneur, cette interdiction résultant également des dispositions légales dont la campagne en cause vise à informer le public, sans en méconnaître le sens ou la portée. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le principe d'anonymat du donneur, alors d'ailleurs que la loi du

2 août 2021 susvisée a autorisé les enfants majeurs issus d'une assistance médicale à la procréation à accéder à l'identité ou certaines données non identifiantes du donneur, ou l'interdiction de filiation de la personne née d'un don de gamètes avec le donneur, méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 7 de la convention internationale des droits de l'enfant déjà citées au point 5 est inopérant à l'encontre de la décision d'entreprendre la campagne litigieuse.

12. En deuxième lieu, l'association requérante soutient que la campagne d'information sur le don de gamètes porte atteinte au principe d'égalité devant la loi, compte tenu du traitement différencié des personnes nées ou non d'un don de gamètes en matière d'accès à leurs origines et en particulier en raison de l'interdiction d'établir une filiation à l'égard de la personne à l'origine du don de gamète. Toutefois, ce moyen est inopérant à l'encontre de la campagne litigieuse, qui s'est bornée à tirer les conséquences, sans en méconnaître le sens ni la portée, et informer le public des modalités légales du don de gamètes, et n'a ni pour objet ni pour effet, par elle-même, de poser une interdiction en matière de filiation. Au demeurant, l'inconstitutionnalité, au regard du principe d'égalité, des dispositions légales prévoyant l'interdiction de filiation entre le donneur de gamètes et l'enfant né d'un don de gamètes est, dans cette instance, contestée par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité qui est, ainsi qu'il a précédemment été dit au point 3, irrecevable.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1110-1 du code de la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne () ".

14. L'association requérante, qui se borne à cet égard à se prévaloir de publications scientifiques de 2020 et 2021 qu'elle ne produit d'ailleurs pas, n'est pas fondée à soutenir qu'en n'évoquant pas les éventuels risques pour la santé des enfants nés de fécondations in vitro, la décision de mettre en œuvre la campagne d'information en litige, qui n'avait en tout état de cause pour objet que d'informer le public sur le don de gamètes et ses modalités, méconnaîtrait manifestement le droit à la protection de la santé protégée par les dispositions précitées au point 13.

15. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ".

16. Il résulte des dispositions précitées au point 15 que le principe de précaution s'applique en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Il ne saurait dès lors être utilement invoqué par la requérante à l'encontre de la décision qu'elle attaque, qui ne porte par elle-même aucune atteinte à l'environnement.

17. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense par l'Agence de la biomédecine, les conclusions à fin d'annulation de la requête de l'association Juristes pour l'enfance doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

18. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par l'association requérante doivent être rejetées.

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association requérante la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'Agence de la biomédecine et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l'association Juristes pour l'enfance est rejetée.

Article 2 : L'association Juristes pour l'enfance versera à l'Agence de la biomédecine la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l'association Juristes pour l'enfance, à l'Agence de la biomédecine et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Gauchard, président,

M. A, magistrat honoraire faisant fonction de premier conseiller,

M. Breuille, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

Le rapporteur,

L. B

Le président,

L. Gauchard La greffière,

S. Jarrin

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.