Conseil d'Etat

Décision du 31 mars 2023 n° 470151

31/03/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'action sociale et des familles, notamment ses articles L. 311-1 et L. 312-1 ;

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 ;

- la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Société mutuelle assurance des instituteurs de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article L. 311-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " L'action sociale et médico-sociale, au sens du présent code, s'inscrit dans les missions d'intérêt général et d'utilité sociale suivantes : () 3° Actions éducatives, médico-éducatives, médicales, thérapeutiques, pédagogiques et de formation adaptées aux besoins de la personne, à son niveau de développement, à ses potentialités, à l'évolution de son état ainsi qu'à son âge ; / 4° Actions d'intégration scolaire, d'adaptation, de réadaptation, d'insertion, de réinsertion sociales et professionnelles, d'aide à la vie active, d'information et de conseil sur les aides techniques ainsi que d'aide au travail () ". Cet article prévoit par ailleurs les conditions auxquelles les établissements et services privés qui exercent ces missions peuvent être qualifiés d'établissements sociaux et médico-sociaux privés d'intérêt collectif. Aux termes de l'article L. 312-1 du même code : " Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : () 2° Les établissements ou services d'enseignement qui assurent, à titre principal, une éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés ou présentant des difficultés d'adaptation ".

3. Si les actions médico-éducatives en faveur des enfants et des jeunes en situation de handicap constituent une mission d'intérêt général, il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires des établissements et services aujourd'hui mentionnés au 2° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, dont font partie les instituts médico-éducatifs, revête le caractère d'une mission de service public.

4. La société MAIF soutient que les dispositions mentionnées au point 2, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat rappelée au point 3, méconnaissent les principes d'égal accès à l'instruction et d'égalité devant la loi, en tant qu'elles excluent que la mission assurée par les instituts médico-éducatifs revête le caractère d'une mission de service public, y compris au titre du service public de l'éducation.

5. D'une part, aux termes du treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat ".

6. Aux termes de l'article L. 111-1 du code de l'éducation : " Le service public de l'éducation () veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction () ". En application de ce principe, l'article L. 112-1 du même code dispose : " Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2, le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant ". En vertu des articles L. 112-1 à L. 112-5 et L. 351-1 à L. 351-5 de ce code, cette mission du service public de l'éducation s'exerce en principe au sein d'établissements scolaires et, si nécessaire, au sein de dispositifs adaptés dans les conditions précisées par des conventions visées aux articles D. 351-17 et D. 351-18. Dans ce cadre, il incombe à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article D. 351-7, au vu du projet personnalisé de scolarisation élaboré par une équipe pluridisciplinaire et des observations formulées par l'élève majeur, ou s'il est mineur par ses parents ou son représentant légal, de l'orienter soit vers une scolarisation en milieu ordinaire, soit vers une unité d'enseignement créée au sein d'un établissement mentionné au 2° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, soit encore vers une scolarisation alternée entre une telle unité d'enseignement et un établissement scolaire. Dans tous les cas, les dépenses relatives à l'éducation relèvent de l'Etat et l'enseignement est dispensé par des personnels qualifiés relevant du ministère chargé de l'éducation, en référence au socle de connaissances, de compétences et de culture défini à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation.

7. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif. Lorsqu'elle s'effectue en tout ou en partie dans une unité d'enseignement créée au sein d'un institut médico-éducatif, cette scolarisation participe du service public de l'éducation. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la société requérante, la circonstance que les dispositions qu'elle conteste ne confèrent pas à la mission de ces instituts le caractère d'un service public ne saurait en tout état de cause, par elle-même, avoir d'incidence sur l'égal accès à l'instruction des élèves en situation de handicap.

8. D'autre part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La loi () doit être la même pour tous () ". Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

9. A supposer que puisse être regardée comme constitutive d'une différence de traitement l'orientation, dans les conditions rappelées au point 6, des élèves en situation de handicap vers des structures particulières adaptées à leurs besoins alors que celles-ci ne sont pas, contrairement aux établissement scolaires, chargés d'une mission de service public, il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'une telle différence serait en rapport direct avec l'objet des dispositions contestées, qui visent précisément à assurer la scolarisation de l'ensemble des enfants au moyen, pour ceux d'entre eux présentant un handicap, d'un régime particulier de scolarisation, par l'éducation nationale elle-même, dans l'enceinte d'établissements adaptés.

10. Il suit de là que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la requérante, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, par suite, pas lieu de la transmettre au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société MAIF.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Société mutuelle assurance des instituteurs de France.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre, au ministre de la santé et de la prévention, au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 mars 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Pierre Collin, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 31 mars 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Vincent Mahé

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

Code publication

C